1.3.2. Gens d’Outreglas

La mort n’existe pas en puissance : rien n’est plus présent qu’elle. L’onomastique donne une idée de cette ultraprésence en nous confrontant directement à elle. Ici, la  couleur « mort » est annoncée d’emblée ; on recense en effet : « L’Homme de Billot », « L’Homme de Gibet » , « l’Homme de Macabère », « L’Homme de Cendres », « L’Homme de Poussière », « L’Homme de Ténébron », « L’Homme de Macabre » : homme et mort ne font qu’un.

De même, un nom comme « Adam Terreux » (J.S., p. 33) pourra susciter la terreur, « Jean » n’étant pas mieux loti (voir D.V. et D.A.) : il y a « Jean Terreux », « Jean Macabon », « Jean des Planches », « Jean Tombe de quoi », « Jean du Tombe Long », « Jean d’Hécatombe », » Jean Sapin », « Jean Taupin », « Jean Toussaint », « Jean Cadavre », « Jean Son Cadavre » « Jean Cadavre et d’esprit » : Jean est marqué aussi.

La notion de sarcophage se retrouvera dans « Doc Sarcophe » et » Sarcophrier » ; notons aussi « Le Moribet », « Le Cadavrier Pouf », « Macabère », « madame la cadavresse » voire « le docteur de Pompes » (sans doute funèbres). Pêle-mêle, on croise encore un « Creuseur Nécromant » (J.R., p. 90), une « Femme Funéraire » (J.R., p. 39) et une « Madame de Couic » (S., p. 19). Ici donc, Homo Sapiens est un "Homo Sapin" en puissance et la mort est présente dans le nom même, l’exemple le plus frappant étant sans doute celui de « Mademoiselle Corbillard » (cas superbe d’oxymoron). Dans L’Acte inconnu, on croise (p. 9) « L’Homme de sous la terre » et on assiste, à l’occasion d’une didascalie (p. 17) au « [passage] d’un mort » tandis qu’on nous promet à la page 151 un réveil de « ceux qui dorment sous la terre » et qu’on invente la figure du « mort imposteur », avec le cas d’un cadavre « [feignant] la vie » à la page 160.

De même, dans certains noms de lieux, la marque de la mort se verra comme le nez au milieu de la figure ; c’est évident pour les rues de La Chair de l’homme (voir ci-avant) mais cela pourra également concerner des villes-fantômes comme « Sarcophiac » (D.A., p. 121), « Caveau-Plage » (C.H., p. 60) et « Veyrier-du-Glas » (D.A., p. 226), villes que l’on peut éventuellement visiter : « Alors il me prit, et m’emmena dans la tombe, couloir dix-huit, section 3 ter, pension 8 cordes, escalier A, écrou huit-cent. » (D.A., p. 22).

Toute cette population (dont l’œuvre de Novarina nous donne un aperçu) aurait donc une sorte d’organisation sociale (chacun a son rôle ; il y a des activités et même des métiers), de cohérence – ainsi qu’un mode particulier d’alimentation : « le mort se nourrit d’un bouillon tragique » (D.V., p. 160). Les langues en usage sont un silence éloquent, le vieux dèf et le parler cadavret. La « Nécromobile », quant à elle, se présente comme un moyen de locomotion possible. Dans cet univers parallèle, malheur, ennui et désolation ne sont pas forcément de mise car nos zombies ont de l’humour : « Demain d’accord, je change de tête de mort » (D.A., p. 269), etc.

On met ici le doigt sur un nouveau paradoxe novarinien : si la mort n’est pas vraie, elle est partout – mais c’est peut-être parce qu’elle se confond avec la vie.