1.3.3. Le thème de la mort qui sort 

On a donc des cas isolés de retour, des fantômes, des revenants comiques : Ouvrard par exemple, qui (voir plus haut) semble effectuer un étonnant come-back en métaphysiquant son inénarrable « J’ai la rate qui s’dilate ». Dans L’Atelier volant (p. 129), on croise l’expression « fants revenants » qui désigne peut-être des « enfantômes ». Dans Le Drame de la vie (p. 233), on s’exclamera : « Vivent les esprits ! », etc. Un peu comme dans la culture indienne et africaine ou les nouvelles d’Akutagawa et la littérature japonaise en général, il y a comme une porosité entre le monde des esprits et nous : Novarina nous le signifie donc à son tour et de comique façon car les revenants qu’il convoque inspirent plus le rire que l’effroi.

Le thème de la résurrection se retrouve tout naturellement dans l’évocation de Lazare437  ; ainsi, « l’Homme Tolozat » est soumis à un interrogatoire « pour avoir lézardé sa tombe » dans Le Drame de la vie (p. 201) ; à la page 196, on verra « sortir le trépas tout béant du tombeau ». Dans Le Discours aux animaux, on aura : « Voici que notre tombe maintenant s’ouvre » (C.H., p. 151). Dans Je suis, on croisera un « Jean François de la mort qui sort ». Enfin, dans La Scène, le nom de Lazare se verra iconoclastement apocopé en « Laz » (p. 146), comme si était tout à coup rendue possible une sorte de familiarité voire de fraternité entre l’homme du commun et le plus illustre des ex-morts. Ressusciter Lazare, redresser ce qui est mort : voilà ce qu’arrive presque à faire Valère Novarina ; plus que l’auteur, ses acteurs y parviennent, rendant possible l’impossible et faisant exister ce théâtre des morts.

On aura également des récits de sortie du corps, comme dans La Scène (p. 113) : « Je quitte ma dépouille. Adieu cadavre ! (Il sort) ». Le « mort qui sort » peut par la suite « hanter corps », quitte à « s’tromper d’corps » (mais cela sort ne notre sujet). L’idée d’âme (de déhommage et de désarraisonnement) n’est donc pas loin – et pourtant, il ne s’agit pas tout à fait de cela. Quoi qu’il en soit, il semble qu’un « nœud » (coulant ? ombilical ?) « [unisse] l’âme au corps » (O.I., p. 44) : dans ces conditions, l’envol total est-il possible ? En tout cas, comme parfois chez Platon, Jarry ou Hergé, âme et conscience sont des présences fantomatiques avec lesquelles il faut compter. Mais l’évocation de la mort proprement dite (voire de la « mort qui sort ») ne s’effectue pas seulement à travers des cas isolés de "revenanterie" mais également en parlant d’un ensemble : celui des disparus...

Notes
437.

Il s’agit là encore d’un thème médiéval (et rabelaisien), ce que Bakhtine nous signale dans son livre L’œuvre de François Rabelais et la culture au Moyen Age et sous la renaissance et plus exactement dans le chapitre « Le "bas" matériel et corporel chez Rabelais », op. cit. p. 387 et suite.