1.3.4. Le retour des hors-vivants

La sortie de la mort pourra aussi s’effectuer de façon collégiale, collective, une périphrase comme « la foule que personne n’aperçoit » (D.V., p. 188) s’appliquant peut-être à une populace de l’ombre. C’est sans doute plus évident dans l’expression « Gendrée perpétuelle des morts » (L.M., p. 374), qui suggère l’idée d’un renouvellement constant du cheptel. On pourrait citer bien d’autres périphrases ou métaphores de ce type : « Ceux des dessous de la terre » (D.A., p. 156), « Gens de Néandre », (D.A., p. 80), « gens d’Outreglas » (D.A., p. 57), « hors vivants » (D.A., p. 300), « troupe des ombres » (B.C.D., p. 295), « antédécesseurs défunts » (D.A., p. 80), « posthumiers » (C.H., p. 53) et « prédécessants » (D.A., p. 163), « hantés-cédants » étant la variation de Cadiot. Enfin, dans le terme « maccrabbes » (L.M., p. 524) qui semble mélanger « crabes » et « macchabées », on retrouve un peu l’analogie entre "la mort" et "le homard" que finement Queneau pointa (Jarry, lui, voyait les noyés comme une catégorie de poissons). Quand aux « subhumains » (D.A., p. 235) évoquant des « suburbains » (voire « Suburbe » et succube), ce sont sans doute nos « voisins du dessous ».

L’expression « être umort » (O.I., p. 139) pourra intriguer : c’est peut-être un mot-valise mêlant mort et (h)umains. On parle encore de « Catadres » (J.R., p. 69), de « lits de marbres » (O.I., p. 48), d’un « monument de chair à l’idée inconnue » (O.I., p. 99), etc. Comme on l’a vu précédemment, il y a aussi des villes fantômes, des cités marquées par la mort et dont les rues mêmes portent des noms morbides ; les morts constitueraient donc une société secrète, invisible a priori et pourtant visible par tous à travers un miroir : cette population, de fait, n’est autre que celle des vivants – en cela consiste la révélation comique novarinienne (les métaphores de la viande et du vide fonctionnant dans un sens similaire). Quant à la figure "zombique" proprement dite, elle se retrouve un peu dans l’image du « dormant qui déambule » (D.A., p. 118) et du « corps mort qui sort » (D.A., p. 321) – le « Macabiat ! Macabiat ! » du Drame de la vie (p. 229) étant peut-être un cri de guerre (ou de terreur). Dans Le Babil des classes dangereuses (p. 324), Jamit s’exclame : « C’est la victoire, ils sortent des tombes ». Dans Je suis (p. 163), ils semblent même passer à l’attaque comme dans les films de Romero :

‘Je vis alors les corps humains sortir vivants d’où ils étaient tombés, hors des passages cloutés, en hôpitaux blancs, et en lambeaux serrés sous des voitures qui suivent, en terre, en mer, et en air, je voyais les morts ressusciter, en vrai et en ossements blanchis qui revivent partout, qui sortent des trous. ’