2.1.2. « La vie tout de même, la vie ! »

Tout en sachant qu’on va mourir, on est confiant dans l’avenir : si tout n’est pas rose, tout n’est pas noir et par tous les moyens, on s’encourage donc à hommer et à persister en vianderie ; dans cette perspective, le « cul » n’est plus vu comme l’organe qui « chie l’ennui » : on l’implore comme on implore la vie et les dieux de l’amour et de la danse : « J’appelle mon cul : trou danseur d’amour libre. J’appelle le monde : le trou du sort. J’appelle l’amour » (D.V., p. 103).

Passant sous silence ce qui fait problème, « Adam », parfois si critique envers Lui, se mettra même à louer le Créateur : « Ah, vous m’avez pénétré de liquide essentiel ! Ah, vous m’avez donné la vie, merci Dieu ! » (D.V., p. 144). Au fond, si le « Jardin » est dit « de reconnaissance », c’est peut-être tout simplement qu’on s’y montre reconnaissant : « J’approuve tes phénomènes » dit le Bonhomme de terre à la page 46. Ailleurs dans la même œuvre (nous sommes donc dans Le Jardin de reconnaissance), on « déclare la mort : hypothèse du corps. » (p. 57) ; s’exprime encore (p. 89) un désir que les choses durent et persistent dans leur « chosât » : aux « [herbes] qui poussent sur la « [terre] qui [est] là », on lance « surnagez, restez vertes ».

Dans L’Opérette imaginaire (pp. 96-97), La Femme pantagonique est même confrontée au « sentiment inconnu », qui est comme une joie toute petite mais qui vous dépasse, « passe les bornes » et qu’on éprouve « sans savoir dire pourquoi » : ce sentiment « de trop grande joie », on désire le « cacher à tous ». « Et cependant », on ne peut « [s’empêcher] partout de le répandre ». Dans L’Origine rouge (p. 49), on se réconcilie avec le « tuyau » (« saluons le corps et son utile et joyeuse errance-et-nuisance ») et dans La Scène (p. 196), avec la matière présentée non comme une mère (éventuellement dévoratrice, etc.) mais comme une sœur : cette fraternité scelle un nouvel accord avec le monde : serait-ce le début d’une « Vie nouvelle » ? Dans L’Acte inconnu (« Fuir le mal, voilà l’intelligence »), on continue à refuser l’entropie : « Fin de la grande noirceur ! Fin de la grande noirceur. » (p. 82). A la question « Sont-ils des hommes promis à la tombe ? », on répond avec assurance « Ah non ! Aucun, jamais ! Tous s’en sortiront » (p. 16). On est plein d’espoir : malgré les dommages subis, « le parti humain va se lever indemne » (p. 137) ; il s’agit désormais de rayonner, de « resplendir de chair » (p. 137) et d’adhérer à tout – sauf à la « grande noirceur » (où alors pour en ressortir grandi, plus fort et plus joyeux).