2.2. « Par ici la vie !» : « La mort n’est pas vraie »

2.2.1. Retour à la lumière : « Lève-toi et danse ! »

Dans la scène finale de Je suis, qui met en présence « Roséliane Goldstein » (« Lève-toi !) et « André Marcon » (Pourquoi ?), on songe bien sûr au miracle de Jésus ramenant Lazare à la vie ou à celui du paralytique sommé, dans/par une simple phrase (cf. le performatif « Lève-toi et marche ! »), de se mettre debout. Nonobstant, la différence comique est qu’ici, Marcon/Lazare se révolte : il semble ne pas trop voir l’intérêt qu’il y aurait à se lever et à hommer – d’ailleurs, en ne se levant pas, par son inertie même (cf. didascalie « il est au sol »), il est tout à fait cohérent.

Quant à son « Pourquoi ? », il pourrait peut-être même être remplacé par « En quel honneur ?» . N’oublions pas que dans la conception novarinienne, acteur et animal – synonyme, comme chez Kleist (cf. épisode de l’ours), de pantin – ne font qu’un. Or, se lever, ce peut être aussi « faire le beau » et il convient peut-être que le "sussucre" proposé mérite un tel effort. Cela dit, Jésus/Goldstein ne se démonte pas et lui fait voir les choses sous un autre angle, peut-être plus féminin : « La mort n’est pas vraie » affirme-t-elle. Puis, on lit cette didascalie : « Il se relève. Les acteurs viennent saluer ». Une page avant, il nous était prophétisé que le « Oui à la vie » l’emporterait car à la question « Se pendra-t-il ? » (posée par « Laurence Mayor »), la même Roséliane Goldstein répondait laconiquement « Non ». L’importance positive des fins de pièces a également été évoquée par Olivier Dubouclez qui en dit ceci :

Le « retour des comédiens » invite finalement le personnage à se redresser pour célébrer l’acteur, ultime étape de sa libération dans un théâtre qui aime achever ses drames par une fête de renaissance. 439

Sans parler forcément de Je suis et malgré le bruit et la fureur contenues dans d’autres pièces (Le Babil des classes dangereuses, La Lutte des morts) et sans non plus parler d’une sérénité véritable, complète, il semble que se dégage donc, in fine, une sorte de très grande positivité de l’œuvre de Novarina, une certaine santé, de l’enthousiasme, de la fantaisie, bref quelque chose de plaisant et de roboratif qui donne envie de vivre et de se lever le matin.

Quant à l’idée euphorisante et saugrenue que la mort n’existe pas, elle se retrouve encore exprimée à la page 161 de L’Acte inconnu (« Ceux qui ont tagué « La mort est nulle » au bord du canal de l’Ourq ont bien fait. Nous ne sommes pas fait pour. C’est un accident ») mais également dans des textes plus théoriques comme Lumières du corps et Pendant la matière où il est dit « C’est nous qui l’avons inventée. Inscription : invention de la mort ». (p. 52). Disant cela, Novarina s’inscrit notamment dans la filiation d’Artaud : nous l’avons signalé précédemment mais sans citer les phrases dont se souvient François Dominique :

On ne meurt pas parce qu’il faut mourir. On meurt parce que c’est un pli auquel on a contraint la conscience un jour, il n’y a pas si longtemps. 440  

Puis le critique propose un amusant résumé de la pensée d’Artaud en posant « la mort est un mauvais pli », ce qui est très novarinien.

Notes
439.

Olivier Dubouclez, « Trou de scène », La bouche théâtrale, op. cit., p. 61.

440.

Renvoyons à l’article de François Dominique : « Le Paradis parlé », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 103.