2.2.3. Modernité musicale du novarinien

→ Stay on the scene !

De l’importance des « arpions »

Filons à présent de nouvelles métaphores, celles-là plus clairement musicales, pour essayer de comprendre comment l’auteur procède pour passer aussi facilement de la noirceur à la joie et d’un réveil dans une « lumière splendide » à un cafard cosmique comme dans Le Discours aux animaux aux pages 249-250 (« Chaque heure me disait que j’étais Jean qui Cloche », etc.). Il semblerait en effet que le blues novarinien cède très souvent sa place à des airs beaucoup plus gais même s’il arrive que la plainte exprimée se confonde paradoxalement avec la gaieté des airs en question.

Comme on l’aura compris, notre but sera donc ici de dire autrement la modernité de l’auteur en essayant cette fois d’opérer un rapprochement entre son travail sur le souffle et l’histoire récente de musiques populaires, éventuellement génératrices de joie et d’euphorie, mettant justement en avant, elles-aussi, le rythme, l’énergie et la tonicité.

Rappelons tout d’abord, pour évoquer les fondamentaux, que c’était souvent assis (et cela reste vrai) que le musicien de blues (guitariste, harmoniciste) pratiquait son art. Or, apparu historiquement juste après, le rock n’roll se mit à proposer une autre possibilité de plainte, peut-être plus tonique et plus dansée. La révolte est moins sourde, s’affiche davantage et le bluesman est comme sommé de quitter sa chaise pour se mettre à danser, étant donné que (tout l’indique) « c’est ça qu’est chouette » (O.I., p. 53).

Il se prête à l’exercice sans se compromettre vraiment jusqu’au jour fatidique où, pour reprendre un mot fameux, Elvis « rasa ses favoris pour chanter O sole mio » : hormis ce fâcheux bémol, on ne saurait prétendre (comme Nougaro accusant le Jazz de ringardiser la Java) que le véritable rock n’roll ait jamais vraiment éclipsé, détrôné le blues dont il n’est somme toute qu’une variation, ce que, moins "pop" que les Beatles, les Stones (François Bon ne nous contredirait pas) comprirent instinctivement. Bref, même si on « [trépigne] des arpions en r’muant son croupion » (O.I., p. 53) comme Mick Jaegger, il semblerait que, vaille que vaille, l’esprit du blues reste présent : on continue à se plaindre mais on le fait en dansant ; or, c’est très exactement ce qui se passe dans les pièces de Novarina...