II.2.1.1 Analogie versus métaphore

L’analogie est utilisée en terminologie philosophique et littéraire. Le terme est issu du grec et sa signification d’origine était la proportion mathématique qui formule une similarité sur la base des rapports équivalents. La fonction primordiale de l’analogie est la comparaison, c’est-à-dire trouver des similarités et des différences entre deux ou plusieurs objets, systèmes, mécanismes, etc. S’il s’agit de la comparaison des systèmes, deux types de relations apparaissent. Les relations verticales reflètent les liens de causalité à l’intérieur de chaque domaine. Les relations horizontales montrent une liaison sur la base de la similarité ou de la différence (Duverger, 1993). D’après cela, nous discernons des analogies positives et négatives. Les analogies positives mettent l’accent sur les similarités, même si ces similarités doivent être imparfaites par définition, sinon il s’agirait d’une isomorphie. A l’opposé de cela, une analogie négative accentue les différences (Secretan, 1984).

Un système de classification peut être également analogique. Hesse (1970) donne un exemple d’un système « oiseau – aile – plumage » qui est analogique à un système « poisson – nageoire – écailles ». Les relations horizontales sont ici représentées par des similarités de la structure et sa fonction, et les relations verticales par des rapports entre un ensemble et ses parts qui étaient déterminées par la sélection et l’adaptation.

Un trait important des analogies est leur orientation délibérée uniquement vers certains des aspects possibles des systèmes comparés. Genter et Jeziorski (1979) montrent un exemple de la comparaison entre une cellule et une usine. Notre attention se porte surtout sur un mécanisme productif similaire (les matières premières entrent, les produits sortent) ou sur un caractère fortement organisé des deux parties mais nous omettons bien sûr les traits concernant par exemple des aspects extérieurs (une usine est faite de briques, la structure de la cellule est complètement différente). Néanmoins, en relation avec cela, Hesse (1970) prétend que la description des similarités et des différences ne peut pas, par principe être précise et complète.

L’affirmation de Kuhn selon laquelle tous les termes du langage scientifique sont issus des métaphores (Kuhn, 1979, In: Duverger, 1993), témoigne de la signification des métaphores pour les buts scientifiques. Ce terme est également d’origine grecque et signifie le transfert.

Maasen et Weingart (2000) définissent trois caractéristiques fondamentales des métaphores. D’après eux, une métaphore est inévitable dans une fonction d’un « messenger of meaning » (p. 20), compliquée, car la même métaphore peut donner une signification différente selon l’usage (ils parlent de la polysémie), et innovatrice. Elle crée des idées non seulement dans la discipline où elle est appliquée, mais aussi dans celle d’où cette métaphore est issue.

De nombreux auteurs discernent de diverses métaphores. La classification la plus fondamentale est celle présentée par Black (1979). Il s’agit des métaphores soi-disant mortes et vivantes (ou actives). D’après Black, les métaphores mortes ne sont plus des métaphores en comparaison avec les vivantes, mais seulement les expressions dont l’usage est devenu d’autant plus généralisé, que les gens ne sont plus conscients de l’origine du transfert métaphorique. Un exemple de cette métaphore peut être le mot anglais « money » ou français « monnaie » (le terme évoque le fait que la première monnaie était frappée dans le temple Juno Moneta et plus personne ne donne cette signification à ce mot).

Une autre classification reflète la profondeur de la métaphore. Les soi-disantes métaphores ornementales ne sont rien d’autre que les expressions rhétoriques, tandis que les métaphores non-ornementales forment un nouveau sens (Duverger, 1993, repris de : Black, 1962). Les métaphores ornementales correspondent au fond à la compréhension d’Aristote quand il affirme qu’une métaphore donne un nom aux affaires qui appartiennent à un autre système (Barnes, 1991).

Indurkhya (1994) discerne des métaphores conventionnelles, basées sur les similarités entre deux objets quifont autant partie d’une convention acceptée, qu’elles sont polysémiques (terme déjà défini plus haut). La seconde catégorie comprend de nouvelles métaphores qui sont au début acceptées avec un certain recul mais qui forment pour la plupart une nouvelle signification. C’est pour cette raison qu’il appelle cette catégorie les métaphores créant les similarités. Les similarités peuvent donc être observables avant ainsi qu’après l’application d’une métaphore.

En regardant de plus près le fond d’une métaphore, Indurkhya (1994) montre que chaque métaphore inclut en soi un but (target), c’est-à-dire la description d’un objet ou d’une situation à laquelle la métaphore devrait être applicable, et un objet ou une situation qui représentent une source pour une métaphore. La description forme un réseau conceptuel (conceptual network), c’est-à-dire un domaine plus abstrait dans le modèle métaphorique. Indurkhya (1994) applique le terme le « règne » (realm) et pour la source et pour le but, ce qui renvoie au fait que les deux représentent plutôt une partie plus concrète de ce modèle et aussi plus détaillée. La figure suivante illustre ce modèle.

Figure 1 : Schéma de l’approche d’Indurkhya vers les rapports métaphoriques
Figure 1 : Schéma de l’approche d’Indurkhya vers les rapports métaphoriques

Source : repris de : Indurkhya (1994), p. 136.

Black (1962) présente un ouvrage classique concernant les métaphores. Sa terminologie discerne « focus », un terme employé dans une métaphore au sens métaphorique, et « frame », les autres expressions dans une métaphore qui ont le sens littéral. Black discerne les différentes métaphores en liaison avec la conception. Le premier point de vue, « substitution view of metaphor » inclut les métaphores qui peuvent être exprimées aussi par périphrase. Les métaphores sont néanmoins préférées car il se peut qu’il n’existe pas de terme convenable, et dans ce cas une métaphore remplit une lacune du vocabulaire. Ce cas spécifique est marqué comme une « catachrèse » et cette métaphore va plus tard disparaître car elle deviendra une partie du vocabulaire littéral. La seconde raison pour l’utilisation d’une métaphore dans cet ordre d’idées est la stylistique. Une métaphore a donc une fonction ornementale.

Un point de vue comparatif considère une métaphore comme une comparaison « concentrée » qui est fondée sur la similarité directe (par ex. table de roc).

Un point de vue interactif comprend une métaphore comme une sorte de filtre parce qu’une sélection des éléments pertinents est nécessaire pour la compréhension d’une métaphore. Pour qu’un lecteur puisse lier deux idées, il doit connaître les deux et il doit créer une interaction entre elles. Si l’on dit « l’homme est un loup », il faut avoir l’idée et du règne humain et du règne du loup et en même temps sélectionner seulement les caractéristiques pertinentes. Cette métaphore souligne certains traits tandis que les autres restent cachés. Black considère ce genre de métaphore comme le plus important pour l’argumentation philosophique et à la différence des approches précédentes, elle n’est pas remplaçable par l’expression littérale.

Klamer et Leonard (1994) proposent aussi une classification utile. Ils discernent les métaphores pédagogiques qui illustrent une explication et peuvent être exprimées aussi de façon littérale sans perturber l’argumentation. Les métaphores heuristiques devraient exister au début de la recherche – leur tâche est de catalyser notre pensée et de faire réfléchir au problème d’une nouvelle façon. Le troisième groupe – métaphores constitutives – inclut les schémas conceptuels qui nous aident à interpréter le monde que nous ne connaissons pas. Ce groupe correspond au fond aux soi-disantes « root metaphors »formulées par Pepper (1942) (In : Livingstone, Harrison, 1981) qui servent de guide pour la compréhension d’un autre domaine.

Relation entre métaphore et analogie

Comme esquissé plus haut, nous pouvons discerner au total trois points de vue sur la base de l’importance attribuée à l’un ou l’autre concept. Pour le premier groupe d’auteurs, une analogie représente le concept le plus profond des deux. On peut classer Klamer et Leonard (1994) dans ce groupe. Selon eux, une analogie est une métaphore systématiquement développée. Une métaphore démontre des systèmes qui ont certains aspects en commun, tandis qu’une analogie esquisse les parallèles explicites entre les deux. Une opinion similaire est partagée par Berger-Douce et Durieux-Nguyen Tan (2002) qui attribuent le rôle explicatif à une analogie, tandis qu’une métaphore ne fait que transmettre des informations.

Le second groupe d’auteurs soulignent le rôle d’une métaphore et Aristote peut y être associé. Il affirme qu’une métaphore donne un nom à un objet sur la base de l’analogie alors que ce nom appartient à un autre objet (Klamer, Leonard, 1994). Duverger (1993) suppose que tandis qu’une analogie n’accentue que des similarités ou des différences entre deux systèmes comparés, une métaphore représente une autre étape qui implique une connexion des deux systèmes ce qui modifie le sens à l’intérieur de chacun des deux. Egalement Genter et Jeziorski (1979) considèrent une métaphore comme un concept plus large. Ils discernent deux types de comparaisons – celles qui ne sont basées que sur les caractères extérieures (d’apparence) et celles qui s’intéressent et aux aspects descriptifs et aux structures relationnelles. Tandis qu’une analogie décrit d’après eux seulement une structure relationnelle de cette comparaison. Une métaphore inclut une analogie et une comparaison basée sur les similarités externes et d’autres rapports.

Le troisième groupe des auteurs, par exemple McCloskey et Mirowski (d’après Klamer et Leonard (1994)) ou Maasen, Mendelsohn et Weingart (1994) ne considèrent pas nécessaire de définir les deux expressions particulièrement pour le contexte qu’ils utilisent, c’est-à-dire les applications concrètes, sans aucune argumentation philosophique. Ils choisissent alors une métaphore comme un terme plus général pour le transfert des idées et des concepts d’une discipline à l’autre.