II.2.2.1 Progression de la pensée évolutive en biologie

Pour éviter une mésinterprétation de la théorie de l’évolution, nous allons commencer par l’histoire de la pensée évolutive dans la discipline maternelle à cette théorie, c’est-à-dire par la biologie. Cette partie est néanmoins assez abrégée dans le résumé français de la thèse car ce sont plutôt les parties qui concernent directement les sciences sociales qui sont plus importantes pour l’idée directrice de cette thèse. L’objectif de ce chapitre est de montrer que la naissance de la théorie de l’évolution était au moins aussi compliquée qu’un dépistage de l’histoire de la pensée évolutive dans l’économie ou dans la géographie.

Le contexte social de l’époque ne devrait pas passer inaperçu. La doctrine religieuse a estimé l’âge de la Terre d’après la Bible à 6000 ans35 (Leakey, 1989).

Après le créationnisme, c’est-à-dire le paradigme généralement reconnu à l’époque, le lamarckisme a pris place. La théorie de Lamarck fut publiée en 1809 dans l’ouvrage Philosophie zoologique et ses idées essentielles seront davantage discutées ci-dessous. L’idée la plus critiquée, et à présent déjà réfutée, concerne l’hérédité des caractères acquis.

Bien que cette idée soit discutée de manière intense, tous ont cru que l’hérédité de l’acquis était possible. Cela concerne même Charles Darwin qui a formulé une théorie de « pangenèse » pour la description de ce mécanisme. Plus tard, il l’a abandonnera (Leakey, 1989) et s’orientera vers le mécanisme de l’évolution en formulant trois principes fondamentaux – l’hérédité, la diversité et la sélection.

Etant donné qu’il s’agit d’un concept assez large, qui n’inclut aucune hypothèse erronée concernant le mécanisme de l’hérédité, il a pu facilement être fusionné avec les lois génétiques. Paradoxalement, Darwin même a pu le faire car le travail de Mendel était déjà publié en 1866 (L’Origine des espèces de Darwin, en première édition en 1859), malheureusement cet ouvrage n’a pas assez retenu l’attention à l’époque.

Il serait cependant erronnée de supposer que le mérite principal de Darwin consiste en l’abandon d’un concept de sa théorie auquel il a cru, tandis que le problème de Lamarck consiste en ce qu’il a fondé sa théorie sur ce concept dont il était certain de l’exactitude. Le plus grand apport du darwinisme réside dans la description des mécanismes de l’évolution.

Les prédécesseurs de l'idée de la théorie de l’évolution

Les prédécesseurs de l’idée de la théorie de l’évolution ont été nombreux. La complexité de ce sujet est décrite en détail dans la version complète de la thèse. Pour une illustration de cette problématique complexe la figure n. 3 est utile.

Figure 3 : Histoire de la pensée évolutive en biologie
Figure 3 : Histoire de la pensée évolutive en biologie

Note :

Cette figure tente de rendre les naturalistes principaux qui ont contribué au développement de la pensée évolutive en biologie. Les flèches expriment la direction d’idées prépondérante probable.

Erasmus Darwin et Patrick Matthew n’ont pas contribué directement à la formulation de la théorie de l’évolution, néanmoins ils ont leurs places dans l’histoire de la pensée évolutive à juste titre. C’est la raison pour laquelle ils figurent également dans le schéma, même si leur apport n’est pas marqué par les flèches.

J. G. Mendel est mentionné deux fois dans le schéma. La première fois, son nom apparaît à l’époque où il a formulé ses lois génétiques. La deuxième fois son nom correspond à l’année où ses lois étaient redécouvertes et reconnues.

La découverte de Darwin

L’ouvrage de Darwin (1809-1882) a radicalement changé la pensée biologique et a influencé également d’autres disciplines scientifiques. La contribution historique de Darwin est largement connue : il a décrit des principes et des mécanismes de l’évolution.

Néanmoins, même si Darwin est considéré comme l’auteur de cette théorie, il’y une autre personne qui a également proposé les mécanismes du processus de l’évolution. Il s’agissait d’un autre Anglais, A. R. Wallace (1823-1913). Il a écrit un bref essai en 1858 sur l’essence de sa découverte et l’a envoyé à Darwin pour commentaire. Darwin travaillait depuis plusieurs années sur le même sujet, ce qui était bien connu parmi ses amis du monde de la science britannique. Parmi eux, Lyell et Hooker ont organisé une présentation de courts essais des deux auteurs à Linnean Society. Darwin, vu la concurrence, a été contraint de compléter le plus tôt possible son ouvrage. En 1859, il a publié « On the Origin of Species » par lequel il a défendu sa priorité. Wallace a toujours respecté Darwin comme un découvreur de l’essence de la théorie de l’évolution.

Même si les deux ont compris la sélection naturelle comme un mécanisme de l’évolution, il y a eu certaines différences parmi leurs conceptions qui se sont plus tard traduit par des désaccords. Une cause de discorde consistait en l’importance et l’impact de la sélection naturelle. Tandis que Darwin a persévéré à croire qu’il existait encore un autre mécanisme de l’évolution, c’est-à-dire la sélection sexuelle, l’opinion de Wallace était complètement différente à ce sujet et il a toujours défendu la sélection naturelle comme un mécanisme principal de l’évolution. De plus, et un peu paradoxalement, il n’a jamais accepté l’idée que l’esprit humain peut évoluer par ce mécanisme et il a insisté sur l’intervention d’une autorité plus haute (Gould, 1988, Komárek, 1997).

L'orientation ultérieure de la biologie évolutionnaire

La progression de la théorie de l’évolution suivante a apporté des preuves qui ont appuyé les idées de Darwin. L’une des confirmations les plus convaincantes de son exactitude était les lois génétiques de Mendel. Il les a publiées en 1866 dans un ouvrage sur les expériences du croisement des plantes, néanmoins sa découverte révolutionnaire resta sans retentissement. Ses lois ne furent redécouvertes qu’en 1900 par les botanistes K. Correns, H. de Vries et E. von Tschermak (Leakey, 1989, Gould, 1988).

Aussi d’autres découvertes ont appuyé la théorie de l’évolution. Il s’agit notamment de la barrière de Weismann du tournant du 19e et 20e siècles. Un peu plus tard c’était le dogme central de la biologie moléculaire, publié par F. Crick en 1957-1958. Les deux idées ont contribué à réfuter l’hypothèse sur l’hérédité de l’acquis.

Un courant biologique de grande importance pour les sciences sociales – la sociobiologie – fut fondé par Wilson en 1975 avec son ouvrage principal « Sociobiologie: The New Synthesis ». Il s’agit d’un certain dérivé du darwinisme qui est basé sur la recherche de l’éthologie des espèces sociales et de la génétique de population (Buican, 1989). Wilson cherche une signification évolutionnaire des divers types de comportement et il les compare au comportement social de l’homme. Il s’intéresse aux applications de la théorie de l’évolution aux sciences sociales et dans son dernier ouvrage de 1998 « Consilience – The Unity of Knowledge » il l’a même considérée comme l’un des ponts qui peut contribuer au rapprochement des sciences sociales et naturelles.

Une autre extension de la biologie évolutionnaire est la théorie du gène égoïste de Dawkins (1976). D’après Dawkins, l’évolution se passe au niveau des gènes et les organismes fonctionnent en réalité comme leurs moyens de transport dans une autre génération.

Influence de la théorie de Darwin sur les sciences sociales

Si on revient dans les sciences sociales, c’est Spencer qui a essayé d’appliquer la théorie de l’évolution à la philosophie, la psychologie, la sociologie et l’éthique. Il a appelé ces efforts une « philosophie synthétique », ainsi que tout son ouvrage en neuf tomes : « A System of Synthetic Philosophy », publié successivement entre les années 1862-1893. D’après Hodgson (1998), Spencer était plus proche de la conception de Lamarck que celle de Darwin.

Spencer était certain que tout est explicable comme étant le résultat d’interactions entre des facteurs internes et externes et que les espèces biologiques et la société changent sans cesse sous l’influence combinée de leurs caractéristiques et de l’environnement. Spencer développe son analogie des mécanismes biologiques de façon encore plus détaillée. Il distingue une évolution organique qui correspond à l’évolution d’un individu de sa naissance vers la maturité à la mort, et une évolution superorganique. Cette dernière inclut tous les processus qui exigent une activité de la part de plusieurs individus, au lieu d’un seul organisme.

Spencer a encore discerné deux autres voies de l’évolution selon le degré d’intégration (Peet, 1985). Tout d’abord une évolution simple qui représente la redistribution primaire en un ensemble cohérent. Ensuite, une évolution composée (compound), c’est-à-dire lorsque la première redistribution est influencée par le cumul de la force qui résulte en une organisation secondaire (Niman, 1991). L’évolution mène d’un organisme homogène à un organisme hétérogène qui est cependant plus complexe et stable.

Spencer a appliqué le passage depuis le stade homogène vers le stade hétérogène, ainsi que depuis le stade simple vers le stade plus complexe à l’évolution de la société. Le développement de la société de l’homogène vers l’hétérogène peut être caractérisé d’après Spencer par un processus de civilisation (Holmes, 2000). Plus une structure est développée, plus elle devient hétérogène. Il appuie cette assertion par une analogie de l’évolution ontogénétique de l’organisme humain, respectivement des sons qu’il émet. Les cris d’un nouveau-né sont monolithiques, mais ils deviennent de plus en plus différenciés et définis.

Spencer était important pour la théorie de l’évolution en tant que l’auteur de l’expression « survival of the fittest » que Darwin a employée en 1869, dans la cinquième édition de son ouvrage « The Origins of Species » (Urbanowicz, 1996).

Des idées liées à la théorie de l’évolution ont aussi fortement influencé, entre autres, Marshall. Il est vrai que Mashall est considéré comme un fondateur de la théorie économique néoclassique. Mais il écrit dans ses « Principles of Economics » : « The Mecca of the economics lies in economic biology ». Bien qu’il argumente aussitôt qu’il faut s’orienter notamment vers des analogies mécaniques, car les analogies biologiques sont beaucoup plus complexes que les mécaniques (Marshall, 1948, In : Nelson, 1996). On peut comprendre cette réflexion comme un accord avec le fait que les analogies biologiques sont valables et peuvent être à terme incluses dans la science économique. Néanmoins, il faut attendre le moment où elle sera capable de gérer leur complexité. L’assertion suivante appuie cette interprétation : « …economic reasoning should start on methods analogous to those of physical statics, and should gradually become more biological in tone » (Marshall, 1898, p. 314, In : Niman, 1991, p. 27).

Son ouvrage contient beaucoup d’autres références qui confirment le fait qu’il a considéré la biologie comme une discipline scientifique ayant de l’importance pour l’économie. Selon Niman (1991): « for Marshall, economic progress is limited by the biological progress of human organism » (p. 22). En relation avec la « typologie des évolutions » présentée par Spencer, il a décrit le marché à l’aide des analogies mécaniques et l’évolution simple, contrairement à l’évolution des entreprises pour laquelle il a employé les analogies biologiques et l’évolution composée. Les entreprises acquièrent de l’expérience et grâce à cela elles avancent vers une forme plus cohérente. Cela mène à une meilleure organisation, à une production plus efficace et aussi à une hétérogénéité plus importante, car chaque firme a des occasions différentes. La théorie de Marshall travaille donc d’un côté avec les acteurs économiques pour lesquels une évolution composée et des analogies biologiques sont typiques. De l’autre côté, ces acteurs sont limités par le marché qui est caractérisé par les analogies mécaniques représentées par le processus de l’évolution simple. Marshall a essayé en réalité de résoudre le problème de la description d’un marché dans les conditions d’une évolution simple quand les acteurs seuls ne sont pas simples (Niman, 1991).

Une influence de la théorie de l’évolution sur les sciences sociales est observable aussi chez Marx. Par exemple, l’un des thèmes centraux du « Capital » est la lutte des classes. Un autre courant d’idées influencé par Darwin est le darwinisme social dont les représentants principaux étaient Spencer en Grande Bretagne et Sumner (un économiste) aux E.-U. Ils ont essayé d’expliquer la stratification sociale comme le résultat d’une sélection par la compétition sociale et ils ont considéré ce type de stratification sociale comme justifiable.

Notes
35.

D’après Cavalli-Sforza (1996) c’était James Ussher, l’archevêque en Irlande, qui a trouvé sur la base de la Bible, que le monde a dû être créé en l’année 4004 avant Christ.