II.2.2.2.2 Le commencement de l'économie institutionnelle et évolutionnaire

T. Veblen, W. Hamilton, J. M. Clark et J. Mitchell sont perçus comme les pionniers de l’économie institutionnelle (Hodgson, 2002, Mlčoch, 1996, Blažek, Uhlíř, 2002, Samuels, 1988). Selon Hodgson (2002), c’est Veblen (1857-1929) qui était directement à l’origine de « l’institutionnalisme américain » et qui se posait une question provocatrice dans son article du même nom de 1898 : « Why is Economics not an Evolutionary Science? ». Dans ses œuvres suivantes, il a proposé d’appliquer les principes du darwinisme dans le domaine de l’économie et de remplacer des analogies mécaniques par les biologiques, en comparaison avec Marshall. Il a exprimé son attitude envers la théorie de l’évolution dans son ouvrage « Theory of the Leisure Class » de 1898 (Hodgson, Samuels et Tool, 1994). Selon Blažek et Uhlíř (2002), Veblen a concentré son attention principalement sur la critique de la théorie classique et néoclassique, mais il n’a pas formé une théorie économique cohérente. Hodgson (2003b) constate que Veblen a proposé de comprendre des structures d’organisation, des habitudes et des routines comme des unités analogiques aux gènes dans des environnements biologiques et le développement économique comme le processus évolutionnaire. A la différence de Commons, Veblen avait émis des réserves contre la représentation des institutions en tant que déterminant principal du développement économique – il a considéré des technologies comme plus importantes. Son attitude envers l’école historique allemande était également intéressante, car il ne lui a jamais accordé une position de mouvement d’inspiration pour l’économie institutionnelle ou évolutionnaire (Mayhew, 1988).

Selon Mayhew (1988) beaucoup de ceux qui ont plus tard pris la tête des sciences sociales ont fait leurs études doctorales en Allemagne après la guerre civile aux E.-U. (1861-1865), y compris certains pédagogues de Veblen et Commons. Certains auteurs (par ex. Hodgson, 1998, Tool, 1988) supposent logiquement qu’il y a eu un certain transfert d’idées entre le vieux et le nouveau continents, dont le résultat était, entre autres, également un lancement de l’économie institutionnelle. Commons était également de l’avis (à l’opposé de Veblen) que certaines idées de l’école historique allemande sont proches de l’économie institutionnelle. Mayhew (1988) n’accepte cependant pas cette vision et la naissance de ce courant économique alternatif est, d’après elle, à attribuer plutôt au climat social complexe et favorable aux idées du darwinisme.

Commons (1862-1945) était plus modéré, contrairement à Veblen. Il s’est joint à l’économie institutionnelle par son livre « Legal Foundations » en 1924. Dix ans plus tard, il a publié l’ouvrage « Institutional Economics » qui est considéré comme la première base systématique du domaine scientifique du même nom. Selon Hodgson (2003a), il s’intéressait surtout à la possibilité de l’utilisation pratique d’un nouveau courant, il a voulu former une sorte de « manuel » pour les institutions politiques et législatives. Malgré son effort, il n’a pas réussi à le faire avec la qualité nécessaire pour faire de l’économie institutionnelle une théorie économique forte. Bien que la compréhension plus profonde des principes théoriques et philosophiques soit attribuée à Veblen, celui-ci n’a jamais essayé de faire une action semblable.

D’après Mlčoch (1996), la contribution la plus importante de Commons consiste en l’inclusion des institutions législatives en économie. Il a pris les institutions comme un aspect déterminant plus important que Veblen qui a accentué l’importance des technologies.

Il est évident qu’il est possible d’identifier certaines différences, même parmi les fondateurs de l’économie institutionnelle. Elles ont mené au début à la division en deux tendances entre autres selon l’intérêt scientifique central. Commons s’intéressait surtout aux organisations collectives, à l’intégration du droit et du marché d’état dans l’économie, en général avec une orientation plus pratique. Pour Veblen, les institutions étaient intéressantes plutôt comme un complexe d’habitudes et de conventions. D’après ce dernier, l’économie devrait étudier notamment leur naissance (Mlčoch, 1996). Les différences sont identifiables également sur le déterminant principal du développement économique – pour Commons c’était les institutions, pour Veblen les technologies.

Figure 4 : Débuts de la pensée évolutionnaire – le développement de l’influence mutuelle entre la biologie et l’économie
Figure 4 : Débuts de la pensée évolutionnaire – le développement de l’influence mutuelle entre la biologie et l’économie

Note :

Cette figure tente de rendre les personnes principaux qui ont contribué au développement de la pensée évolutive en économie. Les flèches expriment la direction d’idées prépondérante probable.

L’évaluation générale de ces deux tendances est plutôt favorable à Veblen. Samuels (1988) comprend son orientation théorique comme beaucoup plus complexe. Ce qui est aussi étroitement lié à son opinion plus tranchée envers l’économie néoclassique. Ces deux mouvements se sont distingués également en le nom donné à ce courant économique. Commons et Hamilton ont préféré (voir plus bas) le terme « institutionnelle », Veblen plutôt « évolutionnaire ». De manière semblable, Ayeres était aussi de l’avis de ce dernier, car il a supposé que ce sont plutôt les technologies que les institutions qui conduisent le développement humain, et le terme « évolutionnaire » accentue un dynamisme et un changement dynamique (Hodgson, 1998).

Toutefois, cela ne veut pas dire que chaque auteur est nettement orienté vers l’un ou l’autre courant. Nelson (1996) est convaincu que les travaux de Marx et Marshall, qui ont déclaré de manière intense leur inspiration de la théorie de l’évolution, peuvent être classés parmi les ouvrages économiques et institutionnels et évolutionnaires

Les années vingt du siècle passé – « une période d’obscurité » dans le développement de l’économie institutionnelle et évolutionnaire

Le triomphe de l’économie néoclassique et le déclin de l’économie institutionnelle étaient probablement provoqués justement par l’absence d’une théorie assez forte. C’est pourquoi, Hodgson (1998) désigne les années vingt du siècle passé comme « une période d’obscurité » pour l’évolutionnisme dans les sciences sociales. Parmi d’autres causes possibles, il faut mentionner également le changement de méthodologie – la défense du réductionnisme et de l’individualisme méthodologique, le fait que les analogies organiques sont devenues moins populaires (Blažek, Uhlíř, 2002, Hodgson, 1998), le triomphe du positivisme et peut-être aussi une stagnation du développement de la biologie (Hodgson, 1998) qui a travaillé davantage sur l’approfondissement et les preuves des théories existantes que sur la recherche de nouveaux concepts applicables aux sciences sociales.

Cependant, la ligne de la pensée institutionnelle n’était pas complètement interrompue car au moins la ligne de l’institutionnalisme américain a toujours continué. Selon Rutherford (2001), c’était Hamilton (1881-1958) qui a le plus contribué pendant les années vingt. Il est possible d’attribuer une importance double à son travail : d’une part son ouvrage « The Institutional Approach to Economic Theory » de 1918 a formellement lancé le mouvement économique sous ce nom aux États-Unis (Hodgson, Samuels, Tool 1994). D’autre part, son activité pédagogique a formé de nombreux successeurs, dont il faut mentionner Copeland qui a insisté sur la liaison explicite entre l’économie et la biologie (Hodgson, 1998). Hamilton a travaillé à Amherst College pendant les années 1915-1923, avec par exemple Ayeres ou Stewart parmi ses collègues. Néanmoins Hamilton a été en contact avec d’autres personnalités de l’institutionnalisme américain. Par exemple Mitchell (1874-1948) ou Clark (1884-1963) ont collaboré avec lui à la formulation du curriculum de la chaire économique qui a acquis une part de sa renommée par son attitude ouverte envers l’économie institutionnelle en tant que courant alternatif. Selon Rutherford (2001), Amherst était une place très proche pour Veblen qui y a réalisé plusieurs séries de cours.

Hobson et Schumpeter sont les autres auteurs dont le travail s’est intéressé aux sujets et méthodes proches de l’économie institutionnelle. Même si l’orientation économique principale de Schumpeter (1883-1950) est surtout économétrique, il a admiré le travail de Darwin et s’est efforcé de rapprocher l’économie des sciences naturelles (Jones, 1989). Selon Nelson (2001), Schumpeter a créé les fondements de l’économie institutionnelle, même s’il s’est intéressé surtout aux institutions économiques. Fagerberg (2002) dit que Schumpeter était selon la plupart des économistes évolutionnaires « the most prominent evolutionary economist ever » (Hodgson n’est pas de cet avis (Fagerberg, 2002, p. 2)). Néanmoins Schumpeter a considéré la théorie de l’évolution tellement discréditée, qu’il a proposé de ne plus utiliser le terme « évolutionnaire » pendant un certain temps. Il a quand même changé d’attitude plus tard pour pouvoir décrire l’évolution capitaliste.