II.4 Conclusion

La thèse propose une tentative de recherche en s’inspirant de la biologie évolutionnaire pour la problématique du développement régional, et cela par l’intermédiaire des applications des concepts de la biologie évolutionnaire appropriés aux sujets sélectionnés de cette discipline. Les applications, du moins de quelques uns de ces concepts de la biologie évolutionnaire à la problématique de la réalité socioéconomique ne représentent cependant rien de nouveau même si elles se manifestent dans chaque discipline par un intense intérêt. Tandis que la perspective évolutionnaire de l’économie moderne se développe au cours des dix dernières années, la même inspiration pour la problématique de la géographie socioéconomique, ou plutôt du développement régional, est beaucoup plus récente. Le nombre de géographes sociaux qui se tournent avec intérêt vers l’économie évolutionnaire pourtnant augmente considérablement. Même s’il est pour l’instant prématuré de marquer la situation actuelle comme le glissement du paradigme, selon Boschma et Martin (2007), « evolutionary turn » devient de plus en plus important dans cette discipline et la géographie économique à orientation évolutionnaire se forme. En juin 2007, le numéro monothématique du – Journal of Economic Geography est par exemple apparu – orienté interdisciplinairement sur la position de la géographie économique à orientation évolutionnaire et sur des différents sujets liés. La perspective évolutionnaire est aussi évidente par exemple dans l’étude « Creating Regional Advanatge: principles – perspectives – policies » préparée par le groupe indépendant des experts guidé par P. Cooke pour la Comission européenne – DG Research (Cooke et al., 2006).

L’intérêt principal de la géographie économique à orientation évolutionnaire consiste, selon Boschma et Martin (2007), en des processus qui transforment le paysage économique (economic landscape), c’est-à-dire essentiellement l’organisation spatiale de la production économique, de la distribution et de la consommation, puis en des déterminants économiques et spatiaux des routines et en des changements émanant des innovations. La géographie économique à orientation évolutionnaire renoue directement avec l’économie évolutionnaire et profite de ses concepts théoriques, ses modèles et ses conclusions empiriques qu’elle applique au niveau territorial. Étant donné que le cadre théorique et méthodologique solide n’était pas jusqu’à présent formé, ni en économie évolutionnaire, ni en géographie économique à orientation évolutionnaire (Boschma, Martin, 2007, Essletzbichler, Rigby, 2007), l’approche principale est toujours, en principe, basée sur les applications de ces concepts notamment où il est possible de percevoir une inspiration de la biologie évolutionnaire. Plusieurs des ces concepts, par exemple la diversité, les routines, la sélection, le path dependence et aussi lock-in, étaient déjà appliqués à la problématique du développement des entreprises, des technologies, des institutions ou de la croissance des régions, que ce soit de la perspective premièrement géographique (par exemple Boschma, van der Knaap, 1997, Grabher, Stark, 1997, Boschma, Weterings, 2005, Boschma, Lambooy, 1999, Essletzbichler, Rigby, 1997) ou de la perspective économique (par exemple Klepper, 2001, Nelson, Winter, 1982, Hodgson, Knudsen, 2004, Hannan, Freeman, 1977, Dosi, 1988, Arthur, 1989, David, 1985).

La plupart des applications réalisées dans la perspective géographique se limitent à la reprise des concepts déjà utilisés dans l’économie, éventuellement aux principes du soi-disant darwinisme généralisé (generalized darwinism). Il est fondé sur l’idée que les principes clés de l’évolution fournissent un cadre théorique général pour la compréhension d’un changement de l’évolution dans tous les domaines (par exemple Essletzbichler, Rigby, 2007, Hodgson, 2002, Hodgson, Knudsen, 2006b) ce qui est d’ailleurs en conformité avec l’idée de Hampl sur l’importance de la théorie évolutionnaire. Hampl (1998) est convaincu que la théorie peut être comprise sous de nombreux aspects comme « la synthèse la plus importante dans la cognition scientifique actuelle de la réalité » (p. 37, le texte original en tchèque). Cependant, Boschma et Martin (2007) par exemple restent convaincus que l’importation des concepts des autres domaines est pour ces disciplines l’un des moyens principals à leur développement apportant alors de nouvelles perspectives. Cette thèse s’accorde avec ce dernier avis, même si elle ne perçoit pas l’applicabilité plus large des principes fondamentaux, sous le terme du darwinisme généralisé, comme contradictoire. Il est présumé que la biologie évolutionnaire peut fournir une inspiration riche sous la forme des concepts intéressants, potentiellement applicables et jusqu’à présent non-appliqués et qu’il est peut-être inutile de se limiter à l’espace borné par des postulats du darwinisme généralisé. La combinaison des deux apparaît donc comme l’approche la plus convenable – les principes généraux du darwinisme peuvent aider à former un cadre fondamental qui peut être complété par d’autres concepts intéressants et potentiellement applicables de la biologie évolutionnaire. L’approche de la géographie économique à orientation évolutionnaire fondée sur l’application des concepts vérifiés en économie a ces avantages car elle garantit dans une large mesure la possibilité de leur exploitabilité pour la problématique de la réalité socioéconomique. De plus l’économie et le développement régional sont des disciplines étroitement liées et les applications économiques réalisées ont donc souvent une portée pour la problématique du développement régional. En même temps cette approche peut aboutir à la négligence de certains des concepts nouveaux, éventuellement de certains aspects des concepts déjà appliqués de la biologie évolutionnaire potentiellement convenables pour le développement régional qui n’étaient pas considérés pendant les applications économiques. Le but principal de la thèse était ainsi de démontrer que les postulats du darwinisme généralisé et les concepts de la biologie évolutionnaire jusqu’à présent appliqués dans d’autres disciplines socioéconomiques (notamment dans l’économie évolutionnaire) ne sont pas un chemin unique, quel que soient leurs contributions, pour profiter des inspirations riches de la biologie évolutionnaire dans les études des sujets sélectionnés du développement régional et que d’autres concepts potentiellement applicables, et non moins intéressants, existent dans la biologie évolutionnaire qui peuvent fournir une vue alternative de certains sujets du développement régional.

La tentative des applications directes des concepts sélectionnés de la biologie évolutionnaire à la problématique du développement régional se fonde dans cette thèse (ainsi que la majorité des applications étudiées notamment en économie et en géographie économique à orientation évolutionnaire) sur l’intermédiaire des analogies et des métaphores à l’aide desquelles le transfert des concepts et des idées sélectionnés de la biologie évolutionnaire était réalisé au sein de la problématique du développement régional. Ce transfert est en principe basé sur le repérage des aspects identiques et distincts dans les deux domaines étudiés avec l’intention de saisir et les analogies et les différences. À l’aide de ces caractéristiques, les concepts convenables pour les applications ont été identifiés, ce qui s’est poursuivi par une analyse des rapports plus profonds, typiques pour des thèmes choisis du développement régional qui étaient inspirés, au moins partiellement, des concepts de la biologie évolutionnaire. Les concepts de la biologie évolutionnaire ont ainsi en principe fourni un certaine guide fondé sur la logique biologique pour une vue alternative des thèmes sélectionnés du développement régional.

Cette approche était conditionnée par l’étude d’une base relativement large de la littérature biologique, ce qui a permis d’identifier un ensemble fondamental de concepts de la biologie évolutionnaire appropriés. Les concepts individuels ont été divisés en quatre ensembles thématiques biologiques plus larges – l’adaptation, la coévolution, la sélection et la spéciation – chaque ensemble thématique, incluant les concepts étudiés ont été dans un premier temps brièvement présentés dans la perspective biologique. L’intention était avant tout de rendre accessible des idées et connexions qui peuvent être relativement difficiles à comprendre pour les lecteurs formés notamment dans les disciplines socioéconomiques. Vu l’étendue de toute la thèse ce texte est cependant relativement succinct et il faut se tourner vers la littérature biologique pertinente pour des explications plus détaillées. Les explications biologiques présentées étaient fondées sur la conception actuelle du « courant principal biologique », s’il est possible d’utiliser une analogie économique, et des approches alternatives n’y étaient pas (sauf des exceptions) discutées. Le but n’était pas d’apprécier des courants d’idées individuels de la biologie évolutionnaire mais de trouver l’inspiration pour le développement régional et d’offrir l’information sur les concepts biologiques sous la forme la plus simple qui puisse démontrer le regard actuel de la biologie évolutionnaire sur les thèmes étudiés.

L’explication des concepts biologiques est suivie par une tentative de l’application des aspects choisis d’un ensemble thématique plus large ou d’un concept biologique à un sujet du développement régional. L’effort s’est appuyé sur des idées proposées par des exemples émanant souvent des études de cas connues, mentionnant néanmoins d’autres situations moins familières – du moins en République tchèque – car une partie non-négligeable de ces exemples est liée au milieu français sous l’influence du séjour de deux ans de l’auteur en France.

Même si la biologie évolutionnaire peut être considérée comme une source de l’inspiration très étendue et riche, le nombre de concepts nouvellement appliqués reste peu élevé. Ceci est le résultat du caractère des concepts de la biologie évolutionnaire qui sont souvent étroitement et très fortement liés, et ainsi difficilement « séparables », aux sujets individuels cohérents, d’une part, et de la « transférabilité » limitée dans la réalité socioéconomique d’autre part. Ceci est également dû à la structure de la thèse elle-même, qui a nécessité des explications précises de la compréhension biologique d’un certain terme, une description fine des l’applications et des utilisations de tous les concepts pour un exemple réel. Ce travail d’analyse a nécessité d’un espace considérable. Les concepts appliqués ne représentent pas une liste exhaustive des concepts applicables de la biologie évolutionnaire, ils démontrent plutôt l’étendue des possibilités offertes par la biologie évolutionnaire et confirment que cette discipline peut être une inspiration précieuse aussi pour la problématique du développement régional et cela aussi sans le rôle intermédiaire de l’économie.

Comme il a déjà été mentionné, des concepts individuels ont été classifiés selon la logique biologique dans quatre ensembles thématiques plus larges de la biologie évolutionnaire – l’adaptation, la coévolution, la sélection et la spéciation. Dans le cadre de l’adaptation, ce sont surtout les concepts des traits adaptatifs et non-adaptatifs et le concept de la préadaptation qui ont été discutés. Du point de vue de la coévolution, l’attention a été notamment portée aux concepts d’un génotype coadapté, d’une course aux armements et de la reine rouge et dans le cadre de la sélection, ce sont essentiellement les concepts de la compatibilité avec l’environnement et la vigueur (le fitness) qui ont été développées. Le dernier concept appliqué concerne les mécanismes d’isolement reproductif dans le cadre de l’ensemble biologique plus large de la spéciation. Précisement, l’application de ce dernier concept peut être probablement perçue comme la contribution la plus précieuse de la thèse. Ceci est sans doute dû au fait que nous avons porté notre attention à un seul concept permettant alors une application plus profonde. Partiellement c’est donné aussi par le fait que ce concept a touché un sujet jusqu’à présent négligé dans le développement régional, à·savoir la problématique des barrières socioéconomiques.

L’inspiration par le concept de la biologie évolutionnaire des mécanismes de l’isolement reproductif qui font l’obstacle au croisement libre entre des espèces peut fournir une vue alternative de la problématique liée avec path dependence et lock-in pour la réalité socioéconomique. L’application s’appuie sur l’hypothèse qu’il est possible d’identifier certains traits analogues entre les concepts socioéconomiques path dependence et lock-in et les concepts de la biologie évolutionnaire – la spéciation et les mécanismes de l’isolement reproductif. Les deux processus ont en effet le caractère cumulatif, le hasard peut avoir un rôle important dans les deux processus, les deux types de mécanismes sont les produits de l’adaptation à un certain milieu mais en même temps influencent aussi ce milieu. Avant tout, les deux concepts décrivent premièrement les mécanismes qui renforcent le choix d’origine, éventuellement ancrent l’identité / la spécificité d’un certain phénomène, c’est-à-dire la spécificité d’une espèce, la spécialisation d’une région, mais aussi la sélection d’une solution technologique ou institutionnelle. Ces mécanismes / structures fonctionnent deuxièmement également comme des barrières qui font obstacle à la pénétration et à la propagation des alternatives de concurrence.

La problématique des barrières socioéconomiques du développement futur qui peuvent être perçues dans une certaine mesure comme une analogie des mécanismes de l’isolement reproductif biologiques n’est pas, dans la littérature socioéconomique pertinente, largement discutée, même si les concepts path dependence et lock-in sont un sujet relativement fréquent (à partir d’Arthur, 1989, David, 1985, via des travaux plus larges de Liebowitz et Margolis, 1995a, 1995b, 1997, Garud, Karnoe, 2001, Garroust, Ioannides, 2001, Magnusson, Ottosson, 1997 et d’autres études partielles comme Cowan, 1990, Thomas, 2005, Meyer-Stamer, 1998). Il est possible de présumer sur la base de l’application réalisée des mécanismes de l’isolement reproductif que ce concept peut fournir une inspiration de cadre pour l’identification de certains types des barrières socioéconomiques du développement des régions et pour la tentative de leur classification. La classification proposée de ces barrières était fondée sur quatre critères: sur leur orientation thématique (par exemple les barrières sociales ou technico-mécaniques), leur « lisibilité », c’est-à-dire sur le fait que si l’une certaine barrière est lisible sans grand effort ou avec difficulté de l’extérieur, le taux de la franchissabilité avec laquelle une barrière peut être franchie et le niveau dans lequel il faut intervenir pour qu’une barrière soit retirée, cela signifie si le niveau local, régional ou national, éventuellement le niveau global, sont plus fontionnels. La combinaison de ces critères a ensuite fourni une certaine vue synthétique pour l’étude de certains cas des path dependence et lock-in qui peut proposer aux acteurs de l’aménagement du territoire à différents niveaux – surtout local et régional – un certain guide pour montrer comment il est facile à enlever une barrière dans un certain cas et le niveau d’intervention. Il est possible de supposer que, à la manière semblable comme dans le cas des mécanismes de l’isolement reproductif biologiques, dans le cas des barrières socioéconomiques, leur connection n’est pas universelle mais plutôt spécifique dans chaque situation. Chaque cas particulier est vraisemblablement caractérisé par une autre combinaison des barrières thématiques, avec un autre taux de la franchissabilité, lisibilité et le niveau de l’intervention parce que les conditions similaires peuvent quelque part fonctionner comme des barrières insurmontables, tandis qu’ailleurs elle ne font aucun obstacle au futur développement.

Même si l’application du concept des mécanismes de l’isolement reproductif et leur inspiration pour la tentative de la classification des barrières socioéconomiques représente l’application la plus travaillée de cette thèse, il est impossible de considérer ce sujet comme totalement traité. Il serait en effet utile de réaliser une analyse similaire des barrières socioéconomiques sur un échantillon beaucoup plus large des études de cas. Dans ce contexte il serait aussi souhaitable d’orienter davantage ces études de cas vers la compréhension du développement des régions moins prospères. Les travaux étudiant ce problème sont toujours plutôt rares mais la compréhension des causes de l’échec de ces régions peut être au moins autant utile que les analyses du développement des régions prospères, du point de vue des implications pour l’aménagement du territoire. Une autre analyse plus détaillée de ces barrières et de leurs types pourraient contribuer à leur franchissabilité, ou plutôt au franchissement de la phase lock-in dans le futur développement.

Il serait d’ailleurs utile de détailler des sujets esquissés aussi quant aux applications des autres concepts. Il faudrait vérifier des hypothèses indiquées sur d’autres exemples, entrelacer des problèmes avec d’autres thèmes du développement régional ainsi qu’avec des applications des autres concepts de la biologie évolutionnaire. Il serait aussi important, quant à la logique du développement régional, d’apporter une réflexion sur les implications potentielles pour l’aménagement du territoire qui peuvent venir des applications réalisées.

Le choix des quatre ensembles thématiques plus larges et des concepts dans leur cadre n’est qu’un échantillon assez limité. Certains autres concepts sont absents de la thèse, même s’ils auraient pu être utiles. Le potentiel pour l’application à la réalité socioéconomique de certains d’entre eux était déjà partiellement vérifié en économie, cela ne signifie pourtant pas que tous les aspects des ces concepts potentiellement convenables pour les thèmes du développement régional ont été considérés. Les réplications peuvent servir d’un tel exemple. C’est un sujet assez large et compliqué non seulement en biologie, mais d’autant plus dans les systèmes sociaux qui sans doute méritent l’attention. Une attention considérable devrait être portée aussi à la problématique de la diversité ou des mutations. De nombreux sujets pouraient être traités ce qui démontre le potentiel de ce thème pour la recherche suivante.