Habiletés phonologiques

Les troubles phonologiques des enfants TSL sont en général majeurs et persistants et de ce fait ils ont été universellement et largement démontrés (Billard, Pinton, Tarault & Faye, 2006 ; Maillart & Parisse, 2006 ; Maillart, Schelstraete, Hupet, 2004 ; Parisse & Maillart, 2008). D’après des classifications, comme celle de Rapin et Allen (1988) que nous discuterons ci-après, le syndrome le plus souvent rencontré chez les enfants TSL est le syndrome phonologico-syntaxique. De nombreux travaux mettent en évidence un retard du développement phonologique des enfants TSL, suggérant que le profil phonologique d’un enfant TSL est généralement similaire à celui d’un enfant plus jeune (Leonard, 2000). Malgré cela, le développement phonologique des enfants TSL présente également des particularités et de différences subtiles par rapport aux enfants DNL. Ainsi les productions phonologiques des enfants TSL se caractérisent par des simplifications, des inversions des sons (/pre/ et /per/), des assimilations (/allumette/ et /amumette/) et des substitutions (/ciseau/, /kiso/) (voir aussi Billard et al. 1996). Les déficits phonologiques que l’on vient de décrire se confirment par des études en anglais, hébreu, italien, espagnol, catalan et français.

Toutefois, même si les études francophones corroborent la présence des déficits phonologiques, elles mettent aussi en évidence une particularité des enfants TSL francophones. A ce sujet, Maillart et Parisse (2006) ont étudié le langage spontané auprès de 16 enfants TSL francophones appariés en LME à 16 enfants DNL. Les deux groupes, TSL et DNL, ont été divisés en deux sous groupes, des enfants (TSL et DNL) présentant un faible niveau langagier (LME moyenne de 2 ;4 à 2 ;7) et des enfants (TSL et DNL) présentant un niveau de langage plus élaboré (LME moyenne de 3 ;7). Globalement, les résultats de cette étude corroborent l’idée d’une limitation spécifique des habiletés phonologiques des enfants TSL francophones, soutenue dans des études en anglais, hébreu, italien et espagnol. Cependant, cette étude a mis en évidence deux résultats importants, le premier est que la différence significative entre les enfants TSL et les enfants DNL a été trouvé seulement entre les deux groupes, TSL et DNL, présentant un niveau de langage plus élaborée (LME > 3). Le deuxième résultat est que les enfants TSL présentent des déficits plus marqués au niveau du phonème qu’au niveau de la syllabe. Une explication sur cette observation est que la langue française est souvent caractérisée comme une langue rythmée par les syllabes (Duncan, Colé, Seymour & Magnan, 2006 ; Segui, Dupoux & Melher, 1990).

De nombreuses études mettent en évidence des difficultés dans le traitement phonologique. Les enfants TSL éprouvent souvent des difficultés à découper le continuum sonore, à segmenter les mots, à discriminer les sons proches se distinguant par un seul trait phonétique (/cra/ et /car/ ou /canif/ et caniche/), à détecter des omissions ou des ajouts d’un phonème dans un mot familier, même s’ils détectent correctement des modifications plus importantes. Ce manque de sensibilité aux traits distinctifs fins, résulte du développement de représentations phonologiques sous spécifiées (Maillart, van Reybroeck & Alegria, 2005). Or, on sait que les représentations phonologiques développées grâce au traitement du langage oral sont essentielles pour l’apprentissage ultérieur du langage écrit (voir chapitre 2) et, pour certains auteurs, pour le développement morphosyntaxique (voir ci-dessous).

Pour étudier la nature des représentations phonologiques des enfants TSL, Maillart et al. (2004) ont proposé une tâche de détection lexicale à 25 enfants TSL répartis en trois groupes d’âge lexique (5, 6 et 7 ans) et appariés en âge lexique à des enfants DNL. Ils ont utilisé deux listes de 24 mots bisyllabiques appariés sur la base de la fréquence, le nombre des phonèmes et la structure syllabique. Les mots de la première liste ont été utilisés sans modifications alors que les mots de la deuxième liste ont été modifiés pour construire des pseudomots phonologiquement proches respectant les contraintes phonotactiques du français. Les modifications dans la deuxième liste concernaient soit une inversion de deux phonèmes du mot cible (ex. /rupé/ - /purée/) soit une substitution d’un phonème par un phonème proche en position initiale (ex. /paton/ - /bâton/) ou médiane (ex. /poubee/ - /poupée/) ou par un phonème éloigné en position initiale (ex. /mafé/ - /café/) ou en position médiane (ex./tokate/ - /tomate/). Les enfants devaient répondre « oui » quand ils entendaient un mot qu’ils connaissaient et « non » quand ils entendaient un mot qu’ils ne connaissaient pas. Les résultats de cette expérience montrent que l’étendue du stock lexical des enfants influence leur réussite à la tâche indépendamment du groupe (DNL vs TSL), même si les enfants TSL comme attendu présentent des difficultés importantes à détecter les erreurs phonologiques. Par ailleurs, lorsque les modifications apportées dans la deuxième liste consistent à remplacer un phonème par un autre éloigné de plusieurs traits articulatoires (ex. /mafé/ – /café/) ces manipulations sont aussi bien détectées par les enfants DNL que par les enfants TSL. En revanche, les enfants TSL font face à des difficultés importantes lorsque le phonème est remplacé par un autre qui est phonologiquement proche (ex. /poubee/ - /poupée/), se distinguant par un seul trait phonétique, et plus particulièrement lorsque la modification concerne le phonème initial (ex. /baton/ – /pâton/). Ces auteurs concluent que les enfants TSL parviennent à détecter les erreurs phonologiques sans différence des enfants DNL lorsque le phonème substitué n’est pas trop proche du phonème cible. Ce résultat corrobore la proposition théorique de Bird et Bishop (1992), que la difficulté majeure des enfants TSL se trouve dans leur incapacité à segmenter les mots, incapacité qui prive les enfants TSL d’une précision phonémique.

Enfin, il est important de noter que les difficultés sur le plan phonologique peuvent également influencer les aspects lexicaux et morphosyntaxiques, discutées ci-dessous, dont le développement s’appuie pour partie sur les compétences phonologiques initiales (Joannisse & Seidenberg, 1998 ; Maillart et al. 2005 ; Parisse & Maillart, 2007 ; 2004). L’acquisition de la morphologie (flexionnelle), par exemple, sera forcement influencée par la phonologie, dans le sens où l’enfant doit avoir une phonologie intacte pour comprendre que le /d/ de “grande” donne une information grammaticale de genre, ainsi que le /m/ de “dorment” inclut une information du nombre sur le verbe.