Les capacités d’apprentissage implicite

Récemment, certains chercheurs ont évoqué la possibilité que les enfants TSL présentent des déficits dans la mémoire implicite, et notamment dans l’apprentissage procédural ou implicite (Ulmann & Pierpont, 2005). L’apprentissage implicite (AI) se définît comme l’acquisition des aptitudes de façon inconsciente et spontanée, autrement dit sans que l’apprenant en ait conscience, ni l’intention d’acquérir de nouvelles connaissances, sans effort de sa part et sans qu’un quelconque superviseur ait planifié une méthode d’instruction (Pacton, Fayol, Perruchet, 2005 ; Perruchet & Pacton, 2006 ; Reber, 1989). Il s’agit d’un phénomène fondamental, complexe et multi-facette, qui inclut différentes capacités d’apprentissage outre l’apprentissage procédural moteur (ex. temps de réaction sériel –TRS-), comme par exemple, l’apprentissage probabiliste de catégories, l’abstraction de prototypes, l’apprentissage statistique et l’apprentissage de la grammaire artificielle (voir aussi Dienes & Perner, 1999 ; Evans, Saffran & Robe-Torres, 2009). Dans ces différentes tâches, l’apprentissage est inconscient, incrémental et exprimé à travers les changements comportementaux qui se manifestent lors de la généralisation des connaissances acquises dans de nouvelles séquences ou lors des réponses plus rapides. La recherche sur les capacités d’AI chez les sujets DNL soutient l’hypothèse que les capacités d’AI sont fondamentales dans l’apprentissage de certains aspects langagiers, et notamment dans leur capacité à découvrir les frontières des mots dans le flux de la parole (Saffran, 2003).

Quelques travaux récents suggèrent que les enfants TSL présentent un déficit dans l’AI, et plus précisément dans l’apprentissage des régularités dans des séquences non verbales. Par exemple, Tomblin, Mainela-Arnold et Zhang (2007) utilisant le paradigme du temps de réaction sériel (TRS- Nissen & Bullemer, 1987), ont comparé 85 adolescents diagnostiqués en tant que TSL durant leur enfance à 47 adolescents DNL de même âge chronologique appariés également en QI performance (échelles de Wechsler). La tâche consistait à regarder sur l’écran d’un ordinateur quatre carrés où de temps en temps un monstre vert apparaissait dans un des carrés et à appuyer sur un bouton en fonction de l’emplacement spatial de l’image du monstre (Image 1).

Image 1 : Le protocole de la tâche utilisée par Tomblin et al. (2007).
Image 1 : Le protocole de la tâche utilisée par Tomblin et al. (2007).

Les sujets n’étaient pas au courant que l’apparition du monstre dans un des carrés suivait un pattern spécifique. Leurs résultats ont montré une diminution des TRS d’un bloc à l’autre et ceci pour les deux groupes (TSL et DNL), ce qui pour ces auteurs correspond à un AI, puisque la diminution du TRS signifie qu’ils ont appris implicitement le pattern d’apparition de la cible. Cependant, le groupe d’adolescents TSL à montré un AI significativement plus lent par rapport aux adolescents DNL. Cette étude est intéressante par le fait que les stimuli proposés étaient visuels, n’exigeant pas de réponse verbale et n’incluant pas un traitement auditif ou phonologique. Gabriel, Schmitz, Maillart et Meulemans (2009) ont essayé de répliquer les résultats de Tomblin et al. (2007) auprès d’enfants TSL francophones, utilisant une tâche similaire. Leurs résultats ont montré que les enfants TSL présentent le même effet d’apprentissage que les enfants au développement normal du langage dans une tâche de TRS.

Dans une autre étude, Plante, Gomez et Gerken, (2002) ont étudié l’apprentissage d’une grammaire artificielle chez de jeunes adultes avec troubles du langage. Ils ont généré de nouveaux mots de structure CVC qu’ils ont combinés avec des phrases de trois à six mots. Certaines combinaisons mots-phrases étaient en accord avec la grammaire artificielle tandis que d’autres pas. Après une phase d’apprentissage de la grammaire artificielle, ils ont proposé des mots-phrases corrects (d’après la grammaire artificielle) et des mots-phrases incorrects. Selon leurs résultats, les participants avec TSL n’étaient pas capables de distinguer les mots-phrases incorrects, à l’opposé des jeunes DNL.

Ces deux études semblent montrer que les personnes TSL présentent des déficits dans leurs capacités d’AI. Comme nous l’avons discuté ci-dessus, les capacités d’AI sont fondamentales dans l’apprentissage de la langue maternelle, notamment dans la segmentation du continuum sonore (Perruchet & Pacton, 2006; Saffran, 2003). Dès lors on pourrait faire l’hypothèse que les déficits des enfants TSL en AI affecteront les mécanismes permettant aux enfants d’utiliser les informations statistiques pour découvrir les frontières des mots. Ceci aura comme conséquence le développement des représentations phonologiques imprécises et sous-spécifiées, entravant par la suite des déficits en langage oral et écrit. Pour répondre à cette question, Evans et al. (2009) ont étudié la capacité des enfants TSL à garder en mémoire les syllabes entendues dans le flux de la parole, une capacité implicite importante dans les stades initiaux d’acquisition de la parole. Ainsi, ils ont construit six ‘mots’ trisyllabiques contenant 12 syllabes de structure CV (ex. dutaba, tutibu, pidabu etc.) qu’ils ont combiné pour former des phrases synthétisées contenant 4.536 syllabes. Afin de permettre aux enfants de pouvoir découvrir les frontières des ‘mots’ et les segmenter, ils se sont assurés que la probabilité transitionnelle entre les syllabes était plus élevée intra-‘mot’ que inter-‘mots’. Ils ont également construit six pseudomots en s’assurant que ces pseudomons n’apparaissaient pas dans les phrases synthétisées. Après avoir laissé l’enfant écouter pendant 21min les phrases synthétisées, ils leur ont proposé une tâche de choix forcé, avec des paires ‘mots’-pseudomots en demandant aux enfants lequel des deux ils avaient entendu lors des 21min. Selon leurs résultats, les enfants TSL étaient moins aptes à segmenter les ‘mots’, puisque ils n’ont pas pu distinguer correctement les ‘mots’ entendus des pseudomots. Ce résultat corrobore l’hypothèse que la capacité d’apprentissage implicite qui permet aux enfants de découvrir les frontières des mots est moins fonctionnelle chez les enfants TSL. Toutefois, la question des capacités d’AI des enfants avec troubles, spécifiques et non-spécifiques, du langage mérite d’être explorée de manière plus ample. Dans le chapitre 4, nous tenterons d’étudier l’AI chez une population d’enfants TnSL, qui se distinguent des enfants DNL non seulement par leur profil langagier mais aussi par leurs faibles capacités non verbales.