1.6.2 Les classifications spécifiques des TSL

Comme nous l’avons déjà évoqué, la pathologie des TSL est très hétérogène. Le terme TSL semble être plutôt un terme général qui englobe un certain nombre d’enfants ayant des profils langagiers bien divers mais dont le développement langagier, indépendamment du profil langagier spécifique, est véritablement en dessous de leur âge chronologique sans cause apparente. Plusieurs types de classifications ont jusqu’à présent essayé de tenir compte de l’hétérogénéité qui caractérise les enfants TSL en proposant des regroupements en sous-catégories. En 1988, Rapin et Allen ont proposé une classification des enfants avec TSL issue d’observations cliniques. Cette classification a été reprise par la suite par un certain nombre de chercheurs et de cliniciens qui l’ont adaptée suivant leurs propres observations. Nous allons présenter l’adaptation de la classification de Rapin et Allen par Gérard (1993) et par Bishop (1997). L’adaptation proposée par Gérard (1993) se base sur le modèle neuropsychologique de Crosson2 (1985). Ainsi, Gérard distingue cinq syndromes, basés sur la description du déficit structurel qui semble jouer le rôle principal dans chaque type, le syndrome phonologico-syntaxique, le trouble de production phonologique, la dysphasie réceptive, la dysphasie mnésique et lexico-syntaxique et la dysphasie sémantique-pragmatique.

La classification de Gérard (1993) 
Syndrome phonologico-syntaxique : syndrome le plus fréquemment rencontré, les performances réceptives des enfants sont très nettement supérieures à leurs capacités expressives.
Trouble de production phonologique : ce syndrome est marqué comme le précédent par des difficultés essentiellement expressives, mais à la différence que la fluence verbale est normale. La difficulté majeure est le contrôle et non la programmation de la mise en chaîne verbale.
Dysphasie réceptive : ces enfants sont caractérisés par une altération majeure de la compréhension.
Dysphasie mnésique et lexico-syntaxique : le trait principal de ce trouble est un manque du mot, invalidant et peu sensible aux facilitations contextuelles ou phonologiques.
Dysphasie sémantique-pragmatique : trouble lié à la fonction de la formulation en tenant compte du contexte.

Dans les pays anglo-saxons, le modèle de Rapin et Allen a été adapté par Bishop (1997) qui distingue six syndromes (ci-dessous).

La classification de Bishop (1997) 
Agnosie auditivo-verbale (surdité du mot ou ‘word deafness’) : déficit sévère de compréhension dans un contexte de faibles capacités de production langagière.
Dyspraxie verbale : déficit dans l’articulation de la parole. La production langagière est faible, mais la compréhension est au niveau normal.
Déficit de la programmation phonologique : déficit dans la production des sons de la parole dans le cadre de capacités bucco-faciales normales. Les capacités de compréhension sont faibles.
Syndrome phonologico-syntaxique : les habiletés phonologiques et syntaxiques sont déficitaires autant en production qu’en compréhension.
Syndrome lexico-syntaxique : difficulté à trouver le mot et difficulté à utiliser les phrases dans une continuité de parole.
Syndrome sémantique-pragmatique : la production et la compréhension grammaticale sont de bon niveau mais l’habileté de compréhension et de production de phrases ayant du sens est déficitaire.

Récemment, Botting et Conti-Ramsden (2004) ont analysé les performances langagières de 233 enfants scolarisés en deuxième année (Year 2, classe pour les enfants de 7 ans) dans une classe spécifique pour les troubles du langage (T1). Les enfants ont été évalués une deuxième fois (T2) une année plus tard (Year 3, classe pour les enfants de 8 ans). Ils ont utilisé dea mesures standardisées, évaluant la grammaire réceptive, les habiletés arithmétiques, le vocabulaire d’expression, la lecture de mots, les capacités d’articulation, le langage expressif et les compétences non verbales. En T1, ils ont identifié six profils (voir ci-dessous) avec une analyse en clusters, dont cinq existent également dans la classification de Rapin et Allen (1988). En revanche, dans la classification de Botting et Conti-Ramsden on ne trouve pas le syndrome d’agnosie verbale auditive de Rapin et Allen. Par ailleurs, ce dernier est actuellement considéré comme une entité clinique qui n’entre plus dans la définition des TSL.

La classification de Botting et Conti-Ramsen (2004)
Cluster 1 (N=52) : les enfants présentent des difficultés dans la compréhension de la grammaire, dans la lecture des mots simples et dans la production d’une histoire dans le cadre de capacités adéquates en phonologie et en vocabulaire expressif (déficit lexico-syntaxique).
Cluster 2 (N=16) : les enfants présentent des scores normaux sur les mesures langagières utilisées (en dessus du 40ème percentile en langage oral et du 28ème percentile en lecture de mots).
Cluster 3 (N=29) : les enfants présentent des difficultés dans la compréhension de la grammaire, dans la lecture des mots simples, en phonologie et dans la production d’une histoire dans le cadre de bonnes capacités en vocabulaire expressif (dyspraxie verbale).
Cluster 4 (N=23) : les enfants présentent un profil similaire à celui des enfants du profil 3 mais leurs capacités en vocabulaire expressif sont significativement inférieures (syndrome de programmation phonologique).
Cluster 5 (N=84) : les enfants présentent des scores faibles dans toutes les mesures langagières utilisées (syndrome phonologico-syntaxique).
Cluster 6 (N=25) : les enfant présentent de faibles capacités seulement dans la répétition d’une histoire (syndrome sémantico-pragmatique).

En plus de la classification, ils ont également cherché à étudier la stabilité des groupes entre T1 et T2 et la stabilité des enfants TSL dans les groupes entre T1 et T2. Pour la stabilité des clusters, les résultats ont révélé les mêmes clusters en T2. Pour la stabilité des enfants, les résultats ont montré que 55% de la population reste dans le même groupe en T2, tandis que 45% bouge d’un groupe à une autre, ce qui conduit ces auteurs à défendre que le profil des enfants TSL présente une relative instabilité et change avec le développement. Plus précisément, les changements les plus significatifs en T2 ont été obtenus pour les enfants du Cluster 2, des 16 enfants catégorisés ici en T1, seulement 8 sont catégorisés ici en T2, tandis que 3 enfants ont migré vers le Custer 3 et 4 enfants vers le Cluster 4.

Parisse et Maillart (2009) proposent une classification des enfants TSL qui se base sur une évaluation verbale (d’après la classification de Bishop, 2004) et non verbale. Les profils décrits ci-dessous sont obtenus en utilisant le Hiskey Nebraska Test d’Aptitudes d’Apprentissage (HNTLA ; Hiskey, 1966) qui permet l’évaluation des capacités non verbales. Selon Parisse et Maillart, l’avantage de cette batterie est qu’elle permet une meilleure différenciation des profils linguistiques que le WISC-IV. Le HNTLA est une batterie désignée pour évaluer des enfants âgés de 3 à 16 ans présentant de troubles de l’audition. L’absence d’instructions verbales le rend particulièrement appropriée pour les enfants présentent de déficits en langage oral. Le test est constitué de 124 items triés par ordre de difficulté croissante et groupés en 12 sous-tests : arrangement de perles, mémoire des couleurs, identification d’image, association d’images, pliage de papier, empan d’attention visuelle, arrangements de blocs, complément de dessin, mémoire de chiffres, puzzle de blocs, analogie d’images et raisonnement spatial. Chaque sous-test permet d’obtenir un âge de développement qui permet de définir le profil général. En se basant sur les performances des enfants à cet outil, et en lien avec des performances langagières recueillies avec des batteries langagières standardisées, Parisse et Maillart ont décrit quatre profils (ci-dessous).

La classification de Parisse et Maillart (2009)
Troubles non spécifiques du langage : les enfants de cette catégorie présentent un profil langagier plutôt homogène, avec des écarts limités entre les différents domaines langagiers. Leurs performances au niveau phonologique, lexical et morphosyntaxique sont similaires et inferieures à celles des enfants de même âge chronologique. Les enfants de cette catégorie ne présentent pas de déficits de la communication ni d’hypospontanéité verbale. Leurs résultats au HNTLA sont également faibles et homogènes. Ainsi les enfants de cette catégorie n’entrent pas dans la définition des TSL puisque leurs troubles ne sont pas spécifiques.
TSL typique : Selon Bishop, les enfants qui appartiennent à ce groupe présentent de difficultés marquées au niveau du développement grammatical. Ce syndrome peut être accompagné de difficultés lexicales ou sémantiques graves ou de troubles de perception du langage oral, ce qui amène à une acquisition lente et déformée de la phonologie et de la syntaxe. Le profil obtenu avec le HNTLA est assez caractéristique, avec un écart claire entre les items évaluant la mémoire séquentielle (arrangement de perles, pliage de papier, empan d’attention visuelle, mémoire de chiffres ou de couleurs) sur lesquels leur performance est faible, et les autres sous-tests, pour lesquels les enfants ont des résultats en rapport ou même supérieurs à la norme.
Dyspraxie développementale verbale : ces enfants présentent des troubles de la production, c’est-à-dire des difficultés dans la programmation des mouvements qui ne peuvent être expliqués en termes de faiblesse musculaire ou de perte de contrôle sensoriel. Les enfants peuvent imiter les mouvements un par un ou les bruits de la parole, mais ils ne sont pas capables de produire des énoncés longs ou d’imiter une séquence de mouvements. Ils échouent les items du HNTLA qui demandent de grandes capacités de planification motrice (pliage de papier ou arrangement de blocs). De faibles capacités graphiques sont constatées dans la tâche de dessin. Leurs résultats dans les autres sous-tests sont en rapport ou même supérieurs à la norme.
Déficit langagier pragmatique : Les enfants avec ce type de déficit ont des problèmes pour produire du langage de manière appropriée avec le contexte. Leur compréhension est plutôt littérale et leurs réponses manquent de cohérence dans la conversation ou la narration. Ils partagent un certain nombre de caractéristiques avec les autismes de haut niveau. Leur profil au HNTLA est dysharmonique : sur certains sous-tets (arrangement de perles, mémoire de couleurs) ils sont largement meilleurs que la norme, tandis que pour d’autres basés sur du contenu sémantique (association d’image, complétion de dessins, analogies d’images) ils échouent. Leurs résultats dans les autres sous-tests sont en rapport à la norme.

Notes
2.

Le modèle neuropsychologique de Crosson décrit les relations réciproques existant entre trois zones localisées dans l’hémisphère cérébral gauche, a) les centres corticaux antérieurs où s’effectue la programmation de l’encodage, b) les centres postérieurs décodeurs qui attribuent un sens à chaque unité de langage, et c) les centres sous corticaux qui contrôlent la cohérence de l’action des zones précédentes tant au moment de la programmation que de la réalisation de l’acte langagier.