1.7 Les bases génétiques et neurobiologiques des TSL

Dans les années 70, quand Dorothy Bishop commence à travailler sur la question des bases génétiques et neurobiologiques des TSL, peu d’éléments sont connus sur les causes étiologiques des TSL. D’ailleurs, les principales causes étiologiques évoquées à l’époque incluent un ‘motherese’3 inadéquat, des lésions cérébrales discrètes survenues en phase néonatale ou encore des maladies récurrentes de l’oreille durant la petite enfance, sans pour autant que l’on dispose des données empiriques pour renforcer ces hypothèses. Aujourd’hui, il devient de plus en plus clair que les facteurs génétiques ont une grande influence dans la détermination des enfants qui développeront par la suite des TSL, pathologie avec une héritabilité importante.

En octobre 2001, Lai, Fisher, Hurst, Vargha-Khadem et Monaco ont défendu l’idée qu’une petite mutation génétique était responsable des troubles langagiers sévères observés auprès de plusieurs membres d’une famille britannique (K.E). Chez la famille K.E., connue depuis les années 90, on observe que la moitié des membres sur trois générations présente une sévère dyspraxie articulatoire (Hurst, Baraitser, Auger, & Norell, 1990). Il est montré alors que les TSL observés dans cette famille sont provoqués par une mutation d’un petit fragment d’ADN sur un gène du chromosome 7, identifié par la suite comme le gène FOXP2. Les études d’imagerie cérébrale structurale et fonctionnelle montrent également que les membres de la famille K.E. atteints des TSL présentent des anomalies au niveau du noyau caudé, du cervelet et d’une aire classique du langage, l’aire de Broca (Vargha-Khadem, Gadian, Copp, & Mishkin, 2005). Ces études ont permis de constater comment une variation génétique (FOXP2) touche le développement du cerveau (anomalies cérébrales) provoquant des déficits dans les capacités langagières. Toutefois, ce constat semble spécifique à cette famille, puisque la majorité de personnes avec TSL ne présentent aucune anomalie sur le gène FOXP2. Malgré l’échec à identifier “un gène responsable pour les déficits langagiers”, ces données ont une importance dans la mesure où il est très rare de trouver des familles au sein desquelles les TSL sont héréditaires de façon simple, comme chez les K.E., constat qui renforce l’idée d’une prédisposition génétique pour les TSL. La critique majeure par rapport à ces études concerne le fait que les membres d’une même famille, comme ceux de la famille K.E., partagent non seulement les mêmes gènes mais aussi le même environnement. Ainsi, pour les opposants, le caractère héréditaire des TSL trouvé chez la famille K.E. pourrait s’expliquer par des facteurs environnementaux.

Des résultats beaucoup plus robustes et en faveur du caractère héréditaire des TSL semblent provenir également d’études sur les jumeaux (Stromswold, 2006). L’idée de base de ces études est la suivante : les jumeaux, monozygotes (MZ) et dizygotes (DZ) partagent entre eux le même environnement pré et post-natal et contrairement aux jumeaux MZ qui ont l’intégralité de leur génome en commun, les jumeaux DZ n’ont que 50% de leurs gènes distinctifs (gènes prenant différentes formes chez des personnes différentes) en commun. Cette méthodologie permet alors d’étudier des phénotypes chez des individus qui diffèrent dans leur degré de similitude génétique. En admettant que tous les jumeaux (MZ et DZ) élevés ensemble partagent le même environnement, les différences observées entre eux dans l’apparition du phénotype ne peuvent qu’être attribuées aux influences génétiques. Autrement dit, si les habiletés langagières des jumeaux MZ sont plus semblables que celles des jumeaux DZ, ceci suggère que le facteur génétique joue un rôle important au développement langagier. La façon la plus simple pour déterminer si les jumeaux MZ sont plus semblables dans leur compétence langagière que les jumeaux DZ est de comparer le degré de concordance pour les troubles du langage chez les MZ et les DZ. Si on part de l’hypothèse que les TSL sont dus à des facteurs génétiques alors les MZ doivent montrer une concordance plus élevée que les DZ (Bonneau et al. 2004). Même si un grand nombre d’études indiquent que le degré de concordance est plus élevé pour les MZ que pour les DZ, d’après une méta-analyse de Stromswold (2001) le degré de concordance chez les MZ s’étend de 35% à 100% (moyenne 80%). Bishop (2002), par exemple, estime que le degré de concordance chez les jumeaux MZ est 78% et chez les jumeaux DZ 48%. Lewis et Thompson (1992) ont étudié 57 paires de jumeaux et selon leurs résultats les degrés de concordances sont 86% chez les MZ et chez les 48% DZ. Enfin, Tomblin et Buckwalter (1998) indiquent 96% et 69% pour les jumeaux MZ et les jumeaux DZ respectivement.

Bien que ces études nous encouragent à considérer les gènes comme un facteur étiologique important, ils mettent aussi en évidence que l’estimation du degré de concordance dépend fortement de la façon dont les troubles du langage sont définis dans ces études (phénotype). Dans leur étude, Bishop et al. (1996), par exemple, se sont basés sur une définition conventionnelle des TSL qui reposait sur une dissociation importante entre les scores langagiers et les scores non verbaux. Dans leur étude, ils rapportent qu’un certain nombre de jumeaux MZ ne pouvant pas être qualifiés des TSL, présentaient néanmoins des troubles communicatifs plus modérés, ce qui suggère que la catégorisation des enfants sur la base de leurs scores aux tests conventionnels de langage n’est pas efficace. Ce constat renvoie à un problème important face auquel on se trouve aujourd’hui quant à l’étude des TSL: la définition du phénotype des TSL.

Dans le cadre des études chez les jumeaux, certains chercheurs ont adopté des mesures alternatives telles que la répétition de pseudomots pour distinguer les enfants TSL. Cette mesure est issue de l’hypothèse selon laquelle les enfants TSL ont un déficit dans la MdT phonologique, déficit sous-jacent aux déficits auditifs perceptifs de la théorie de Tallal (voir aussi 1.8.1). Dans une étude, Bishop et al. (1999) ont administré aux jumeaux un test de répétition de pseudomots et un test auditif nonverbal. Même si les enfants TSL ont obtenu des faibles scores sur les deux tests, seule la répétition de pseudomots a présenté un caractère héréditaire, les déficits auditifs perceptifs étant liés plutôt à des facteurs environnementaux. Appliquant la même méthodologie plus récemment, Bishop, Adams et Norbury (2006) ont comparé le déficit dans la répétition de pseudomots et les déficits syntaxiques. Même si les deux mesures présentent un caractère héréditaire, les résultats montrent que les deux types de déficits ont des origines génétiques distinctes. Pour les difficultés dans la répétition de pseudomots, les généticiens moléculaires ont localisé leur source sur une zone particulière du chromosome 16 hébergeant un gène associé à une faible MdT phonologique (Newbury et al. 2005). Les difficultés des enfants TSL dans la MdT phonologique sont connus (voir aussi 1.5.2), l’étude de Newbury et al. en donne aussi des preuves psychologiques et génétiques. Cependant rien nous permet à ce jour de défendre l’idée qu’il y a un lien de cause à effet entre le déficit en MdT phonologique et les TSL, ou que chaque enfant TSL a un déficit dans la MdT phonologique (Montogomery, 2003). Le chromosome 16 identifié par Newbury et al. semble être une des variantes génétiques qui influencent les TSL, en interagissant entre elles et aussi avec des facteurs environnementaux.

Pour résumer ces données, nous soulignerons à nouveau la grande hétérogénéité qui caractérise les sujets porteurs de TSL. Une meilleure compréhension des phénotypes de la pathologie, autrement dit l’identification d’une sémiologie précise permettra de caractériser les enfants TSL dans des sous groupes distincts dont les déficits résultent d’étiologies sous jacentes distinctes (Bishop, 2001 ; 2002). Pour identifier les différents phénotypes de la pathologie, les généticiens doivent collaborer avec des chercheurs psychologues, qui eux sont spécialisés dans l’identification des déficits cognitifs pouvant constituer des marqueurs ou des indices des phénotypes TSL héritables, comme, par exemple, les déficits en MdT phonologique. Cependant, un obstacle demeure dans le partage de connaissances entre les généticiens et les cliniciens et chercheurs psychologues : la méconnaissance de ces derniers des méthodes utilisées par les généticiens.

Notes
3.

Le langage utilisé par les parents, et le plus souvent par la mère, imitant le langage des très jeunes enfants.