Les défendeurs de l’hypothèse du déficit grammatical considèrent que les enfants TSL ont des difficultés dans l’acquisition de mécanismes linguistiques spécifiques tels que l’acquisition des règles grammaticales (Rice, Wexler & Cleave, 1995 ; van der Lely, 1994 ;1996 ;van der Lely et al. 2004). Les difficultés grammaticales des enfants TSL sont aujourd’hui largement démontrées (voir aussi 1.5.1) ce qui explique pourquoi un nombre considérable de chercheurs défendent l’hypothèse d’un déficit grammatical à l’origine des TSL (van der Lely & Stollwerk, 1996). En effet, le développement grammatical des enfants TSL semble présenter un écart important par rapport à leur âge chronologique et à leur niveau intellectuel. Les défaillances grammaticales concernent le traitement des indices morphologiques ainsi que syntaxiques du langage.
L’hypothèse d’un déficit spécifique au développement grammatical est inspirée de la théorie de Chomsky (voir Jakubowicz, 2003, pour une présentation), selon laquelle l’acquisition de la morphosyntaxe d’une langue dépend d’un processus de sélection d’une grammaire à partir d’un ensemble de possibilités, choix défini par des connaissances innées chez l’enfant. Selon cette perspective, les enfants TSL sont imputables à une détérioration, globale ou spécifique, de la compétence grammaticale innée de l’enfant. Cependant, pour certains auteurs, les difficultés grammaticales observées chez les enfants TSL relèvent d’une mauvaise qualité de l’input auditivo-verbal (Kail & Leonard, 1986 ; Leonard et al. 2000) et/ou d’une restriction des ressources cognitives ou des déficits dans des mécanismes cognitifs particuliers, comme par exemple dans la mémoire de travail qui joue un rôle important dans l’apprentissage du langage (Archibald & Gathercole, 2007). L’argument est le suivant : si la difficulté à utiliser les mots fonctionnels est spécifiquement grammaticale, alors leur utilisation ne doit pas être influencée par des propriétés phonologiques. Or, McGregor et Leonard (1994) démontrent que l’incapacité des enfants TSL à utiliser les mots fonctionnels est liée à des facteurs phonologiques, comme par exemple, le ‘pattern’ d’accentuation ou la présence d’un mot phonologiquement complexe juste avant ou juste après le mot fonctionnel. Ces auteurs concluent que l’utilisation déficitaire des aspects morphosyntaxiques découle de la complexité du niveau phonologique.
Récemment, Ullman et Pierpont (2005) ont formulé comme hypothèse alternative celle d’un déficit procédural qui se base sur le modèle déclaratif/procédural (DP) concernant l’acquisition du langage. Le postulat de base du modèle DP d’Ullman concerne la distinction entre le ‘lexique mental’ qui dépend de la mémoire déclarative et la ‘grammaire mentale’ qui dépend de la mémoire procédurale4 (Ullman, 2004 ; 2001). Ainsi, selon cette hypothèse les enfants TSL présentent des déficits grammaticaux dus aux déficits dans les mécanismes généraux d’apprentissage, et plus particulièrement à cause des déficits en apprentissage procédural, les empêchant d’apprendre par exemple les régularités dans les patterns séquentiels. Ullman et Pierpont défendent l’idée que les enfants TSL présentent des anomalies dans les aires cérébrales associés à la mémoire procédurale (striatum-cortical). En revanche, les compétences normales que les enfants TSL généralement éprouvent dans l’apprentissage des nouveaux mots constituent un élément pour ces auteurs selon lequel les enfants TSL ne présentent pas d’anomalies dans les aires liées à la mémoire déclarative (néocortex et hippocampe). L’hypothèse de Ullman combine en effet des hypothèses purement linguistiques, comme celle d’un déficit grammatical, et des hypothèses de déficits cognitifs plus généraux (voir ci-dessous).
Ullman postule que le langage dépend d’un ‘lexique mental’ comportant les connaissances apprises via la mémoire déclarative et d’une ‘grammaire mentale’ favorisant les combinaisons des items lexicaux dans de représentations plus complexes en se basant sur les règles grammaticaux acquis implicitement via la mémoire procédurale.