1.8.5 L’influence de la théorie du ‘mapping’ sur l’hypothèse phonologique

En 2001, Shula Chiat a soutenu l’idée que le processus le plus important dans le développement langagier est le processus du ‘mapping’. Le ‘mapping’ se définit comme le processus à l’aide duquel l’enfant développe des correspondances entre les segments sémantiques et les segments phonologiques. Pour effectuer ces ‘mappings’, l’enfant est obligé de découper le continuum sonore dans des ‘chunks’ qui ont du sens et assembler ces ‘chunks’ à des représentations phonologiques. Cette procédure est complexe et l’enfant DNL utilise différents indices (aspects rythmiques et prosodiques, pauses, etc.) pour découvrir les frontières des mots, des syllabes et plus tard des phonèmes. D’après la théorie du ‘mapping’, l’hypothèse expliquant au mieux les TSL est la théorie phonologique : « les troubles du langage proviennent du déficit dans le traitement phonologique et de la rupture ultérieure de la procédure du ‘mapping’ à travers lequel la structure des mots et des phrases est établie » (p. 113). L’explication fournie par la théorie du ‘mapping’, renforce l’hypothèse phonologique et la place dans une position de force par rapport à l’hypothèse d’un déficit grammatical ou l’hypothèse des capacités limitées de traitement.

Un grand nombre de travaux dans le domaine de l’acquisition de la parole démontrent que depuis sa naissance l’enfant DNL est très sensible aux propriétés linguistiques, et notamment aux aspects prosodiques de la parole (Mehler, Dupoux, Nazzi & Dehaene-Lambertz, 1996; Nazzi, Jusczyk & Johnson, 2000 ; Ramus, Hauser, Miller, Morris & Mehler, 2000). Ces capacités précoces des nouveaux-nés sont cruciales ultérieurement quand les jeunes enfants commencent à découper le flux sonore en se basant entre autres sur la prosodie. Ainsi, les jeunes enfants parviennent progressivement à segmenter la parole, à découvrir les frontières des mots, des syllabes et finalement des phonèmes, tout en construisant des représentations phonologiques et sémantiques. En assemblant ces deux types de représentations stockées dans son lexique mental, l’enfant développera des ‘mappings’ qui lui permettront par la suite de produire et de comprendre le langage oral. Ainsi, les déficits langagiers observés chez les enfants TSL résultent de leur déficit dans le traitement phonologique qui a des répercussions également sur le développement grammatical et lexical. Dans cette perspective, Joannisse et Seidenberg (1998 ; 2003) défendent l’hypothèse selon laquelle « les déficits grammaticaux des TSL sont la conséquence du traitement de l’information » (p. 241). Plus particulièrement, selon ces auteurs, le déficit dans le traitement de la parole (voir Ziegler et al. 2005) affecte le développement des représentations phonologiques. Celles-ci sont par conséquent déficitaires, ce qui provoquera par la suite des difficultés dans l’acquisition de la morphologie et de la syntaxe. L’avantage de l’hypothèse phonologique, par rapport aux autres hypothèses, est le fait qu’elle permet la spécification du processus déficitaire exact (lié à la procédure du ‘mapping’). Ce point sera discuté dans la partie qui s’intéresse aux difficultés des enfants TSL à apprendre la lecture et l’écriture (chapitre 2).