2.1.3 Les modèles interactifs

Parmi les principaux modèles interactifs certains défendent la coexistence de différentes procédures de lecture à un même moment de l’apprentissage de la langue écrite (Seymour, 1990 ; 1997) tandis que d’autres attribuent une place importante aux connaissances antérieures (phonologiques et visuo-orthographiques) et postulent qu’il s’agit des connaissances préalables pour l’apprentissage de la langue écrite (Gombert, Bryant & Warrick, 1997 ; Goswami, 1999).

Les postulats de base du modèle « à double fondation » de Seymour (1997) sont d’une part la coexistence et l’interactivité des procédures logographiques et alphabétiques au cours de la construction du lexique mental et d’autre part le fait que le développement de la conscience phonologique, sous l’effet de l’enseignement formel, progresse des unités réduites (phonèmes) vers des unités larges (syllabes). L’apprentissage de la lecture se décrit à travers cinq « processeurs ou modules » ; logographique, alphabétique, de la conscience linguistique, orthographique et morphographique. Pour Seymour, le développement des représentations orthographiques dans le lexique mental s’effectue à travers le processeur logographique et le processeur alphabétique, d’ou aussi le nom de double fondation. Le processeur logographique implique une reconnaissance directe, partielle ou complète du mot, en se basant sur des indices visuo-orthographiques et phonologiques. Pour sa part, le processeur alphabétique a comme fonction le traitement des lettres comme des unités visuelles et phonologiques. Pour la conscience linguistique, on distingue une conscience implicite (capacités de segmentation qui progressent des phonèmes aux syllabes) et une conscience explicite (provenant de l’enseignement formel de la lecture). Nous allons revenir sur cette distinction de manière détaillée par la suite. Le processeur orthographique a un rôle central dans l’apprentissage de la lecture dans le modèle de Seymour, son rôle étant d’établir des connexions entre les unités phonologiques et les lettres grâce à la contribution interactive de la conscience phonologique. Enfin, le modèle comporte aussi un processeur morphographique chargé de traiter la structure morphologique du mot.

Parmi les modèles interactifs, le modèle analogique de Goswami (1986 ; 1990), postule que l’enfant possède des compétences phonologiques et orthographiques précocement développées pour apprendre à lire. Ces connaissances implicites se développent précocement grâce à l’exposition de l’enfant au langage oral et au langage écrit et servent de base pour l’apprentissage explicite de la lecture. En effet, selon Goswami les enfants sont capables de lire précocement des mots nouveaux en se basant sur une analogie avec des mots dont ils connaissent déjà la forme orthographique. Ainsi, l’enfant réalise un transfert de connaissances basé sur la découverte des correspondances entre les unités sonores, plus larges que le phonème, déjà maitrisées et des séquences de lettres dont il connaît la forme orthographique et phonologique. Le rôle important que ce modèle attribue aux connaissances implicites pour le développement des connaissances explicites est une innovation majeure des modèles interactifs. Cette idée sera discutée également lors de l’exposé par la suite du rôle de la conscience phonologique et lors de la présentation de l’approche psycholinguistique de Stackhouse et Wells (1997).

Enfin, Gombert et al. (1997) dans l’adaptation du modèle « machine à lire » de Gombert (1995) cherchent à rendre compte des analogies entre l’oral et l’écrit, ainsi que du rôle des connaissances implicites. L’idée défendue est qu’avant l’apprentissage de la lecture, l’enfant dispose d’un système de traitement du langage oral comprenant quatre processeurs, chacun traitant des informations différentes. Plus précisément, le processeur pictural traite les informations visuelles, le processeur phonologique traite les informations linguistiques auditives, le processeur sémantique est chargé d’attribution des significations et le processeur contextuel, qui prend en compte les informations externes et/ou les mots en cours de traitement. Selon Gombert, ce système servira de base à l’élaboration d’un système de traitement de la langue écrite. Ainsi, l’apprentissage de la lecture aura comme résultat l’élaboration, au sein du processeur pictural, d’un processeur orthographique pour le traitement des lettres. L’idée est que l’enfant est capable de traiter très tôt de manière picturale des signes écrits sans faire la différence avec d’autres stimuli visuels. Dès l’école maternelle, l’enfant est ainsi dans la mesure de reconnaître un certain nombre de mots de manière logographique par mémorisation d’indices visuels saillants. Ces premières tentatives de lecture lui serviront aussi pour lire un nombre de mots non familiers par analogie avec les mots qu’il maitrise de manière logographique. Ainsi, l’enfant très tôt acquière implicitement des connaissances visuo-orthographiques (par extraction des régularités), phonologiques et morphologiques (Gombert, 2003). Ce n’est que plus tard dans l’apprentissage que l’enfant prendra conscience des analogies qu’il opère et utilisera ces connaissances phonologiques, orthographiques et morphologiques consciemment, étape qu’il lui permettra progressivement de devenir un lecteur expert (Demont & Gombert, 2004). Le développement des connaissances implicites s’avère indispensable pour l’évolution de l’enfant en tant que lecteur-expert, puisqu’elles sont la base essentielle qui permettra par la suite l’apprentissage des règles grapho-phonémiques.

La compréhension des mécanismes, à travers lesquels l’enfant au développement normal du langage (DNL) développe des connaissances sur la langue écrite, nous permettra par la suite de comprendre pourquoi les enfants TSL risquent de présenter des déficits dans l’apprentissage de la lecture devenant majoritairement des faibles lecteurs. Toutefois, il s’avère important de mentionner que la variabilité des enfants lors de l’apprentissage de la lecture relève non seulement des contraintes internes (aspects cognitifs) mais aussi des contraintes externes, comme des contraintes sociales ou linguistiques (Ecalle & Magnan, 2002a). Le paramètre ‘contraintes linguistiques’ (Ziegler & Goswami, 2005) explique pourquoi le taux de dyslexie est plus élevé chez les enfants apprenant l’anglais que chez les enfants apprenant une autre langue alphabétique, comme le grec, l’espagnol, ou l’allemand (langues plus transparentes). Au début de l’apprentissage, l’enfant se base sur l’existence de certaines régularités entre les phonèmes et les graphèmes, afin de développer un système de CGP, lui permettant de décoder les mots qu’il n’a jamais lus auparavant. Selon, Frost, Katz et Bentin (1987), la systématicité, ou régularité des correspondances entre les phonèmes et les graphèmes, est un paramètre qui varie d’une langue à l’autre et influence les processus de la lecture (voir aussi Seymour, Aro & Erskine, 2003). Dans la suite de ce chapitre, nous allons nous focaliser sur le rôle majeur de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la langue écrite et sa relation avec les déficits en lecture –écriture des enfants TSL.