2.2.1 La distinction épiphonologique et métaphonologique

Il existe diverses définitions opérationnelles de la conscience phonologique variant selon le type d’unités phonologiques manipulées (phonème, unités infra-syllabiques, syllabe) et le type de traitement phonologique effectué, traitement implicite ou traitement explicite (Ecalle & Magnan, 2002b ; 2007 ; Gombert, 2003). Pendant de nombreuses années a eu lieu un débat concernant la tâche la plus appropriée pour mesurer le niveau de conscience phonologique chez les enfants afin de prédire leur compétence ultérieure en lecture et en écriture. Ainsi, certains chercheurs proposaient l’utilisation de tâches exigeant la manipulation des phonèmes, tels que supprimer ou ajouter un phonème, segmenter le nombre de phonèmes dans un mot ou fusionner des phonèmes (Hulme, Muter, & Snowling,1998 ; Muter et al. 1998). D'autres étaient davantage centrés sur l’utilisation de tâches exigeant la manipulation d’unités plus larges telles les syllabes ou les unités infra-syllabiques, comme l’attaque et la rime (Bryant, 1998). Les différentes tâches à travers lesquelles la conscience phonologique est mesurée impliquent également différents types de traitement phonologique. Ainsi, on distingue deux niveaux de traitement phonologique ; le traitement épiphonologique qui fait référence à un traitement implicite, sans contrôle intentionnel des unités dont le développement découle de l’acquisition du langage oral, et le traitement métaphonologique qui se développe grâce à l’apprentissage de la langue écrite et renvoie à une prise de conscience et un traitement explicite des unités (Gombert & Colé, 2000).

Les premières capacités de traitement métaphonologique apparaissent vers l’âge de 5-6 ans, sous l’effet de l’enseignement formel de la langue écrite. Ecalle et Magnan (2002b) ont effectué une étude longitudinale afin d’étudier le traitement phonologique avant et après l’enseignement formel de la langue écrite. Pour cela, ces auteurs ont suivi 36 enfants DNL de la Grande Section de Maternelle (GSM) au Cours Préparatoire (CP). Le matériel qu’ils ont utilisé comportait une tâche épiphonologique où l’enfant devrait désigner deux mots parmi quatre qui partagent le même son (phonème, unité infra-syllabique ou syllabe) en position initial ou finale et d’une tâche métaphonologique où l’enfant devrait extraire le son (phonème, unité infra-syllabique ou syllabe) commun entre deux mots, aussi en position initiale ou finale. Conformément à leur hypothèse, en GSM les enfants présentent de meilleures capacités en traitement épiphonologique, notamment pour les unités larges (syllabes et unités infra-syllabiques) qu’en traitement métaphonologique. En revanche, presque un an plus tard lorsque les enfants sont scolarisés en CP, ils deviennent compétents en traitement métaphonologique, notamment pour les phonèmes.

Dans une méta-analyse très intéressante, Anthony et Lonigan (2004) ont examiné quatre études afin d’expliquer les différences de performances en fonction de la tâche et de déterminer celle la plus appropriée pour prédire les compétences des enfants en lecture. Dans le cadre de leur étude, ils définissent la conscience phonologique en tant que capacité de réflexion consciente et explicite sur les unités de représentations abstraites du langage. Pour ces auteurs, la sensibilité à la rime et la sensibilité aux autres unités linguistiques ne sont pas des habiletés phonologiques distinctes. Selon Anthony et Lonigan, la sensibilité phonologique est une habileté qu’on peut mesurer à travers une variété de tâches (ex. détection, élision, fusion) qui diffèrent dans leur complexité linguistique (ex. syllabes, unites infra-syllabiques, phonèmes). Au cours du développement, la sensibilité phonologique progresse d’une sensibilité superficielle d’unités phonologiques larges, comme les syllabes, à une sensibilité profonde d’unités phonologiques réduites, les phonèmes (Stanovich, 1992). Ainsi, au cours du développement les premières représentations des enfants deviennent progressivement accessibles à la conscience et peuvent faire l’objet d’une explication verbalisée, ce qui renvoie au concept métacognitif (Karmiloff-Smith, 1992). Anthony et Lonigan (ib.) plaident en faveur de l’existence d’un continuum entre le traitement épi- et métaphonologique et par conséquent, la tâche la plus appropriée pour évaluer la conscience phonologique dépend du stade développemental de l’enfant.