2.3 Les difficultés dans l’apprentissage de l’écrit des enfants TSL

Il semble bien établi que l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans une langue alphabétique (comme l’anglais, français, portugais, espagnol, italien, grec etc.) dépend des compétences phonologiques (Fraser & Conti-Ramsden, 2008 ; Snowling, 2000). A ce jour, nous disposons d’un grand nombre d’études expérimentales démontrant la relation robuste entre les déficits en langage oral et les déficits dans l’apprentissage de la langue écrite chez les enfants TSL. Lors des premières études traitant ce sujet, les enfants ayant un passé de TSL ont été retrouvés quelques années plus tard et leurs compétences en langage oral et langage écrit ont été comparées à leurs compétences antérieures (Aram & Nation, 1980). Depuis plus de 20 ans, les chercheurs utilisent majoritairement une méthodologie longitudinale. Cette méthodologie, malgré son coût important au niveau de la durée, offre une description précise du développement de l’enfant. Lors de l’étude de l’apprentissage de la langue écrite, il est habituel de suivre les enfants TSL de l’école maternelle à l’école primaire ou plus tard, afin d’examiner l’évolution des compétences langagières et d’étudier le développement des compétences en lecture et écriture.

De nombreuses études, dans leur grande majorité longitudinales menées auprès d’enfants anglo-saxons, montrent que les enfants TSL sont en risque important de présenter des déficits ultérieurs dans l’apprentissage de la langue écrite (Billard, Loisel, Gillet, & Bélanger, 1989; Bishop & Adams, 1990 ; Bishop & Clarkson, 2003 ; Bishop & Snowling, 2004 ; Catts et al. 2002 ; Catts, 1993 ; Gillam & Johnston, 1992 ; Nithart et al. 2009 ; Simkin & Conti-Ramsden, 2006; Snowling, Bishop & Stothard, 2000). Cependant, les mêmes études mettent aussi en évidence qu’un certain nombre d’enfants TSL arrivent à apprendre à lire et à écrire de manière normale ou quasi normale (Bishop & Adams, 1990 ; Bishop, McDonald, Bird & Hayiou-Thomas, 2009 ; Catts, Adlof, Hogan & Weismer, 2005 ; Catts, Hogan & Fey, 2003 ; Kelso, Fletcher & Lee, 2007 ; Stothard, Snowling, Bishop, Chipchase & Kaplan, 1998). Ainsi, la question qui se pose principalement aujourd’hui est comment peut-on différencier les enfants TSL qui vont devenir de véritables lecteurs déficients de ceux qui vont présenter un retard léger dans l’apprentissage de la langue écrite. Pour Bishop et Adams (1990), le facteur majeur qui différencie ces deux groupes d’enfants TSL est la persistance du trouble langagier. Plus précisément, ils ont reporté que les enfants qui à 4 ans présentaient des TSL et continuaient de présenter de déficits en langage oral 1 an et demi plus tard, sont les mêmes enfants qui ont présenté des déficits en lecture à l’âge de 8 ans et demi.

Dans une des études longitudinales les plus connues, Catts et al. (2002) ont suivi une cohorte de 208 enfants âgés de 6 ans avec troubles du langage de l’école maternelle en CP et en CE2. Les enfants ont été divisés en deux groupes, le groupe des enfants avec TSL (QIP > 85 et QIV < 85) et le groupe des enfants avec Troubles non Spécifiques du Langage (‘TnSL’, QIP et QIV < 85). Ces deux groupes d’enfants ont été comparés à un groupe d’enfants avec faible QI non verbal (même QIP que les enfants TnSL) mais sans difficultés langagières ainsi qu’à un groupe d’enfants DNL appariés en âge chronologique aux autres groupes. Le matériel utilisé comportait un grand nombre de tests standardisés mesurant le langage oral (vocabulaire, narration, morphosyntaxe), la conscience phonologique (suppression du phonème initial), la dénomination rapide, la lecture (reconnaissance de mots et compréhension de texte) et les capacités non verbales. Selon les résultats de cette étude à grande échelle, les enfants TSL et TnSL ont obtenu des scores en reconnaissance de mots et compréhension écrite significativement inférieurs à ceux des enfants sans déficits langagiers. En particulier, ils ont trouvé que plus de 50% des enfants TSL et TnSL ont présenté un déficit important en lecture en CP et en CE2. De plus, ils ont montré que les performances des enfants TnSL en lecture (reconnaissance et compréhension) étaient significativement plus faibles que celles des enfants TSL, ce qui suggère que les capacités non verbales jouent un rôle dans l’apprentissage de la lecture. Les résultats de cette étude corroborent les résultats de Bishop et Adams (1990) sur le rôle de la persistance du trouble langagier par rapport au niveau des compétences en lecture. Les enfants qui ne présentaient plus de déficits langagiers en CE2, avaient obtenu des scores supérieurs en lecture autant en CP qu’en CE2 par rapport aux enfants qui continuaient à présenter des déficits langagiers en CE2.

Cependant, pour Stothard et al. (1998), les données sont moins claires que celles présentées dans l’étude de Bishop et Adams (1990) et de Catts et al. (2002). En effet, ils ont suivi les enfants de l’étude de Bishop et Adams (1990) à l’âge de 15 ans et ils ont trouvé que beaucoup d’enfants qui à l’âge de 8 ans et demi ne présentaient aucun retard en lecture, ont présenté de déficits en lecture à l’âge de 15 ans. Les résultats de cette étude semblaient corroborer l’hypothèse de Scarborough et Dobrich (1990) qui ont défendu l’idée selon laquelle l’amélioration de déficits langagiers des enfants TSL est illusoire. La position de ces auteurs est la suivante : les enfants TSL peuvent rencontrer à nouveaux des difficultés d’apprentissage de la langue écrite après une phase de récupération (d’ou le terme illusoire) dans la mesure ou certains paramètres linguistiques continuent à leur faire défaut. Par ailleurs, des résultats similaires à ceux de Stothard et al. (ib.) ont été obtenus dans l’étude de Snowling et al (2000). Pour Bishop et al. (2009) la question de la différenciation des enfants TSL et la prédiction de leurs compétences en écrit est beaucoup plus complexe. Les facteurs à prendre en compte sont d’un côté, le profil et la sévérité des troubles en langage oral et de l’autre côté la tâche qu’on utilise pour examiner les compétences en lecture et en écriture. Concernant le premier facteur, ils ont identifié dans leur étude que les enfants qui arrivaient à décoder correctement les mots et les pseudomots étaient majoritairement des enfants qui présentaient des déficits sémantiques et syntaxiques. Pour le second facteur, Bishop et al. (ib.) défendent l’idée qu’être lecteur-expert signifie non seulement lire correctement mais aussi lire vite. Ainsi, ils font l’hypothèse qu’un certain nombre d’enfants qui ont été identifiés comme ne présentant pas de déficits en lecture dans certaines études, étaient des enfants qui lisaient correctement mais lentement et de manière laborieuse. Leur argumentation se base sur les études de Catts et al. (2005) et Kelso et al. (2007). Ces deux études ont identifié certains enfants qui ne présentaient aucune difficulté en décodage des mots ni en conscience phonologique, mais dans aucune de ces deux études la vitesse de lecture des enfants n’a été étudiée.

Outre les données dont nous disposons chez les enfants TSL, il existe également un certain nombre de travaux qui ont étudié cette question chez les adolescents TSL. Conti-Ramsden et Durkin (2007), par exemple, ont effectué une étude longitudinale de trois ans (deux évaluations) auprès de 80 adolescents diagnostiqués avec TSL dans leur enfance afin d’étudier les relations entre la mémoire de travail phonologique, les déficits langagiers et l’apprentissage de la lecture-écriture. Ainsi, ils se sont servis d’une batterie de tests standardisés évaluant les capacités non verbales, le langage expressif et réceptif, la lecture et la répétition de pseudomots auprès des enfants de 11 et 14 ans. Les résultats ont montré que les performances MdT phonologique sont restées stables entre les deux évaluations, avec une corrélation très élevée entre les deux évaluations. De plus, les enfants qui à l’âge de 11 ans présentaient des scores faibles en répétition de pseudomots, étaient ceux qui à l’âge de 14 ans avaient des scores inférieurs à 1 DS de la moyenne en langage expressif et réceptif ainsi qu’en compréhension écrite et en décodage. Enfin, ils ont classé les enfants en sous-groupes en fonction du type des difficultés qu’ils présentaient en langage oral, TSL expressif, réceptif, mixte et TSL-résolus (quand leurs scores en langage expressif et réceptif étaient normaux au moment de l’évaluation). Selon leurs résultats, autant à 11 ans qu’à 14 ans, la plupart des enfants qui ont présenté de faibles performances en répétition de pseudomots appartenaient au groupe d’enfants avec TSL mixte. En revanche, la plupart des enfants qui ont présenté des scores normaux en répétition de pseudomots, appartenaient au groupe TSL-résolus.

En français, il y a peu d’études longitudinales qui étudient l’apprentissage de la lecture et de l’écriture auprès des enfants (Billard et al. 2007 ; Zourou, Ecalle, Magnan & Sanchez, sous presse). Malgré leur nombre limité, les résultats semblent corroborer ceux des études anglo-saxonnes. Dans leur étude, Billard et al (ib.) ont suivi une cohorte de 18 enfants TSL âgés de 6 à 12 ans avec une méthodologie standardisée à leur entrée dans une unité spécialisée, puis à leur sortie (en moyenne 20 mois plus tard) et enfin 3 ans après leur réintégration en circuit scolaire ordinaire. Le matériel utilisé est issu de tests standardisés mesurant la production phonologique et lexicale, la morphosyntaxe, la compréhension lexicale et syntaxique, la lecture de texte et l’orthographe. Même si le suivi et la prise en charge étaient identiques pour tous les enfants, l'évolution des enfants à la fin de la prise en charge a été très variable. Néanmoins, après 20 mois tous les enfants ont amélioré leur langage oral et acquis une lecture fonctionnelle mais encore déficitaire. A la dernière évaluation, les séquelles sur l’apprentissage de l’écrit ont été très diverses en gravité ainsi qu’en profil. Certains enfants ont présenté des scores normaux en déchiffrage des mots mais des scores très faibles en compréhension et en orthographe. D'autres présentent un profil proche des profils classiques des dyslexiques avec essentiellement une lenteur de lecture (difficulté de décodage) et de déficits en orthographe. Dans une autre étude longitudinale, un groupe de 20 enfants TSL scolarisés en GSM ou en CP, a été évalué 30 mois après la première évaluation (Zourou et al. sous presse). Lors de la deuxième évaluation, l’ensemble de la population avait amélioré leurs compétences en conscience phonologique ne présentant plus de déficits lors de tâches métaphonologiques (suppression et fusion de phonèmes). Cependant, lors de la même évaluation, 45% de la population présentait un déficit en décodage des mots, 15% présentait un déficit en compréhension écrite et la grande majorité, 90% présentait un déficit en orthographe de mots et de pseudomots.

En résumé, les modèles d’apprentissage de la lecture présentés dans ce chapitre mettent en évidence l’importance des capacités phonologiques précoces que les enfants développent implicitement lors de l’acquisition du langage oral pour le développement ultérieur des capacités phonologiques explicites sur lesquelles se basera l’apprentissage de la langue écrite. Le modèle de Stackhouse et Wells (1997) explique clairement comment les représentations phonologiques déficitaires que les enfants TSL développent avant l’enseignement formel du principe alphabétique affecteront de manière cruciale l’élaboration d’un ‘mapping’ efficace entre les phonèmes et les graphèmes et par conséquent leurs capacités en lecture et en orthographe. L’étude des capacités en lecture (décodage et compréhension) des enfants TSL a attiré l’intérêt de chercheurs qui lui ont consacré un grand nombre d’études. En revanche, les capacités d’écriture dans la même population ont été beaucoup moins étudiées (Snowling et al. 2000). Dans certains cas, les déficits en écriture sont beaucoup plus persistants que les déficits en lecture autant chez les enfants TSL (Zourou et al. sous press) que chez les enfants dyslexiques (Spenger-Charolles, Siegel, Béchennec & Serniclaes, 2003). Ce décalage peut être expliqué d’une part par des contraintes linguistiques, et le fait que certaines langues sont plus opaques en écriture qu’en lecture, comme c’est par exemple le cas en français (Caravolas, Kessler, Hulme, & Snowling, 2005 ; Goswami, Ziegler & Richardson, 2005 ; Seymour et al. 2003). D’autre part cette différence pourrait être expliquée par la complexité de la tâche. Ainsi, l’écriture dans un système alphabétique constitue une tâche beaucoup plus complexe que la lecture. En effet, la capacité à écrire dépend de facteurs comme la conscience phonologique, les connaissances des CGP et de la structure morphologique des mots et aussi des capacités en lecture (Caravolas et al. 2001). Caravolas et al. (ib.) dans une étude longitudinale de trois ans, ont étudié les relations entre les capacités en écriture, en lecture et en conscience phonologique. Selon leurs résultats les facteurs qui prédisent le mieux les compétences en écriture sont la conscience phonologique et la connaissance des lettres. Ces auteurs concluent en disant que l’écriture est une tâche fondamentalement dépendante de la capacité de l’enfant à comprendre les relations systématiques qui existent entre les phonèmes et les graphèmes, autrement dit d’un ‘mapping’ élaboré des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes (CGP). Malgré le nombre important de travaux sur ce domaine, peu d’études ont exploré de manière spécifique le type de déficits que les enfants TSL présentent en langage écrit, en examinant les capacités en lecture des mots et en écriture. Les études longitudinales à court terme et comparatives que nous allons présenter au chapitre 6, auront comme objectif d’investiguer les profils spécifiques des enfants TSL apprentis lecteurs selon le profil et la sévérité de difficultés qu’ils présentent en langage oral.