L’objectif de cette étude était de mieux appréhender le profil cognitif et langagier des enfants qui consultent dans un Centre de Référence des Troubles des Apprentissages en France et pour lesquels le diagnostic de TSL a été posé. Dans l’étude du profil (cognitif et langagier) des enfants TSL, nous avons pris en compte trois facteurs ; le versant langagier touché (production et/ou réception), la sévérité des symptômes langagiers présents au moment de la première consultation (seules les performances en vocabulaire/lexique ont été évaluées dans le cadre de la présente étude) et le profil cognitif avec la présence ou pas des troubles cognitifs associés (telles que les capacités mnésiques et praxiques).
Une première analyse globale des performances langagières de l’échantillon a révélé une grande hétérogénéité dans le profil langagier, hétérogénéité tout à fait attendue, conforme à la littérature ainsi qu’à la réalité clinique. Elle a également démontré une fois de plus que la plupart des enfants TSL présentent un trouble expressif avec des performances faibles en lexique de production. Pour mettre en évidence cette hétérogénéité observée, nous avons utilisé une classification automatique (typologie) qui a nous a permis d’assigner les 40 enfants de la population étudiée dans des sous-groupes relativement homogènes en minimisant la variance intra-groupe et maximisant la variance inter-groupe. Les trois groupes dégagés avec la typologie diffèrent tant en profil qu’en sévérité des troubles langagiers et se distinguent soit par des difficultés prononcées dans les versants productif et réceptif (trouble mixte), soit par des difficultés plus importantes en production qu’en réception (trouble expressif), soit par des performances normales autant en production qu’en réception et dont les difficultés sont à rechercher à l'aide d’autres épreuves. Pour ces derniers, néanmoins diagnostiqués TSL, nous remarquons qu’il s’agit d’enfants qui présentent des scores normaux en lexique (seul aspect langagier évalué lors de cette étude) mais des scores faibles dans d’autres aspects langagiers tels que la phonologie et la morphosyntaxe8.
Par la suite, nous avons recherché les éventuelles différences de profil cognitif parmi les trois groupes. Cependant, les résultats obtenus ne révèlent pas de différences significatives ni aux quatre indices factoriels ni aux dix sous-tests du WISC-IV. Autrement dit, les trois groupes dégagés avec la typologie ne se distinguent pas de manière significative face à une évaluation d’intelligence globale avec une batterie de type WISC. Seule l’analyse qualitative des résultats nous a permis de dégager des différences parmi les trois groupes. Nous avons alors constaté qu’en plus des difficultés en mémoire de travail phonologique 1/ les enfants TSL de l’échantillon, classifiés selon la typologie comme présentant un trouble mixte (production et réception), ont également des troubles cognitifs associés au développement praxique non verbal, notamment une dyspraxie constructive et/ou gestuelle relevée par leurs scores sur le sous-test Cubes, 2/ les enfants qui présentent un trouble expressif ont des troubles cognitifs associés en vitesse de traitement de l’information.
L’analyse corrélationnelle que nous avons réalisée entre les facteurs langagiers et les indices factoriels du WISC-IV a révélé une relative indépendance entre les scores des enfants aux tests d’évaluation du lexique et d’évaluation de l’intelligence. L’utilisation d’une batterie d’évaluation de l’intelligence telle que le WISC-IV, en plus d’une évaluation approfondie des capacités langagières, auprès des enfants TSL s’avère importante. En effet, l’évaluation des performances de la mémoire verbale de travail (IMT) et de la capacité à traiter rapidement des informations (IVT), deux mesures proposées par le WISC-IV, sont des éléments de diagnostic nécessaires à une mise en évidence de troubles cognitifs associés pour les troubles du langage. En plus, le sous-test Cubes (IRP) permet aussi de mettre en évidence l’existence d’une dyspraxie. L’utilisation d’une telle batterie permet ainsi de déterminer notamment si le trouble langagier est spécifique (capacités non verbales > 85 SS) ou pas et s’il est accompagné d’autres troubles cognitifs. Mais seule une évaluation langagière approfondie avec des tests appropriés permet de cibler les difficultés langagières. A propos de ce constat, la grande limite de cette étude reste le fait que nous n’avions pas pu prendre en compte un bilan langagier complet pour chaque enfant, comportant des évaluations en phonologie, lexique et morphosyntaxe. Or, de telles données auraient pu mettre en évidence des profils langagiers plus précis et plausiblement des différences significatives aux profils cognitifs attribués.
Cette étude a mis en évidence les difficultés de la majorité de la population étudiée sur l’indice factoriel IMT du WISC-IV. Il s’avère important de rappeler ici que le sous-test Mémoire de Chiffres du WISC-IV évalue l’empan phonologique et seul le sous-test Séquences Lettres-Chiffres évalue la mémoire phonologique de travail. Les faibles performances que nous avons observées en mémoire phonologique de travail corroborent les résultats d’un grand nombre d’études qui ont démontré la présence des déficits sur cet aspect chez les enfants TSL (Gathercole & Baddeley, 1990, voir 1.5.2). Dans les chapitres 5 et 6, nous étudierons de manière plus approfondie les difficultés des enfants TSL en mémoire de travail. Plus particulièrement, nous étudierons la spécificité des difficultés en mémoire de travail et le rôle des difficultés en mémoire de travail phonologique dans le pronostic des enfants TSL et dans l’explication des différences observées chez les enfants TSL dans l’apprentissage de la langue écrite.
Dans le cadre de cette étude nous nous sommes basés sur une évaluation psychométrique de l’enfant autant pour les aspects langagiers que pour l’intelligence non verbale. Or, une telle évaluation est souvent critiquée dans la littérature en tant qu’évaluation statique, pas suffisante pour illustrer le caractère dynamique de la pathologie. A ce propos, Botting et Conti-Ramsden (2004) ont démontré que les différents profils langagiers des enfants TSL correspondent à des étapes développementales et que ces profils sont susceptibles d’évolution au cours du développement grâce à la maturation de l’enfant. De plus, Krassowski et Plante (1997), évaluant les dossiers de 623 enfants TSL, ont trouvé que leurs scores non verbaux (issus des échelles de Wechsler) ont significativement changé au cours des trois ans entre deux évaluations. Maillart et Parisse (2009), critiquant l’implication des compétences langagières même dans les sous-tests non verbaux du WISC-IV, proposent l’utilisation de la batterie HNTLA comme étant plus appropriée pour l’évaluation des capacités non verbales des enfants TSL (voir 1.6.2). Enfin, l’évaluation à travers l’utilisation de tests classiques de psychométrie est souvent critiquée aussi comme reflétant plutôt les performances actuelles de l’enfant et n’offrant pas d’indices sur ses capacités d’apprentissage ni sur les processus mis en œuvre lors de la résolution d’une tâche.
Afin de compléter ou approfondir les résultats aux tests psychométriques, l’utilisation de tâches expérimentales permettant l’évaluation des processus cognitifs mis en œuvre et particulièrement l’évaluation du potentiel d’apprentissage (PA) de l’enfant pourrait s’avérer fructueuse. Dans cette perspective,Rozencwajg et al. (2009) ont analysé les profils individuels des enfants atypiques en utilisant, en plus du WISC-IV, deux tâches cognitives inspirées des échelles de Wechsler. Ils ont utilisé une version informatisée des Cubes de Kohs (Samuel) et une version cognitive de la tâche de Similitudes afin de démontrer des différences qualitatives dans le fonctionnement chez des enfants en retard intellectuel et chez des enfants à haut potentiel. Ces auteurs considèrent que les performances à ces deux tâches constituent de très bons représentants de l’intelligence générale sur support visuospatial (Cubes) et sur support verbal (Similitudes). A l’opposé de la présentation de ces deux tâches dans le WISC-IV, les tâches expérimentales permettent l’analyse des processus cognitifs mis en œuvre lors de leur résolution et le recueil des informations sur les stratégies mises en place en se basant sur l’identification et l’évaluation de différents comportements (ex. la fréquence des regards, anticipation etc.). L’analyse des processus cognitifs mis en œuvre dans les tests d’intelligence est pour ces auteurs « une seconde étape, après l’évaluation au WISC-IV, qui permet d’aller au delà du score observé » (p. 4). L’évaluation du potentiel d’apprentissage (PA) des enfants pourrait également être une bonne alternative, donnant des renseignements plus amples et plus adaptés, surtout pour les populations d’enfants atypiques (Grigorenko, 2009 ; Krassowski & Plante, 1997). Dans cette perspective, nous avons conduit une expérience afin d’étudier les capacités d’apprentissage implicite chez des enfants avec Troubles non Spécifiques du Langage en utilisant un dispositif expérimental dynamique inspiré des paradigmes évaluant le PA (Chapitre 5).
Pour poser le diagnostic les cliniciens proposent un bilan complet sur l’ensemble des aspects langagiers. Cependant, le traitement des données dans la présente étude nous a contraint à conserver uniquement les résultats aux épreuves qui ont été proposées à tous les enfants.