Chapitre 4 Evaluation de la capacité à apprendre des enfants avec troubles du langage et des enfants avec retard mental.

Introduction

La première étude de cette thèse (chapitre 4) avait comme objectif la caractérisation du profil langagier et cognitif d’une population d’enfants TSL francophones vus en consultation pour des troubles du langage dans un service hospitalier. Leur profil langagier et cognitif a été établi sur la base de leurs scores issus d’une évaluation psychométrique traditionnelle réalisée à l’aide des batteries de type WISC pour l’évaluation de l’intelligence globale et de batteries plus spécifiques pour l’évaluation langagière. Lors de cette étude nous avons évoqué l’idée que l’évaluation psychométrique classique ne s’avère pas suffisante et appropriée pour l’évaluation des enfants TSL dont le profil langagier et non verbal est dynamique. Sternberg et Grigorenko (2002) soutiennent l’idée que les tests psychométriques classiques évaluent les capacités cognitives actuelles déjà développées chez l’enfant. Pour cela, l’évaluation psychométrique est souvent désignée comme une évaluation statique, puisque pour ses opposants, elle n’offre pas d’indices sur le potentiel d’apprentissage (PA) de l’enfant ni sur ses capacités à généraliser les nouvelles stratégies (Dockrell, 2001; Grigorenko, 2009). En effet, la psychométrie établit des prédictions en se basant plutôt sur un score, produit final d’un apprentissage préalable réalisé par l’individu et moins sur ce qu’un individu est encore capable d’apprendre au-delà de sa performance actuelle au test. De plus, les batteries de type WISC sont critiquées car elles tendent à sous-estimer les capacités des enfants de milieux défavorisés, de minorités ethniques ou encore des enfants présentant un retard mental. En effet, le score obtenu est souvent fortement influencé par un manque de connaissances relatives à la tâche, par des difficultés à sélectionner et à utiliser la stratégie adéquate. L’évaluation dynamique du PA a été développée comme une alternative à l’évaluation psychométrique de l’intelligence.

Pour ses défenseurs, l'examen du PA pourrait fournir une approche plus dynamique des capacités en devenir de l'enfant (Hasson & Botting, 2010 ; Hasson & Joffe, 2007). En 1934, André Rey proposait déjà d’évaluer les sujets à la suite d’un apprentissage préalable. Pour lui un individu se révèle surtout dans la manière dont il apprend. Le PA est un concept qui rend compte de la capacité pour un sujet d’acquérir de nouvelles habiletés et de bénéficier d’instructions visant à réaliser une tâche donnée. Théoriquement, le concept est attribué à Lev Vygotsky et sa théorie ‘historico-culturelle’ où l’on trouve pour la première fois une distinction entre le développement actuel de l’enfant et son niveau de développement potentiel. L’écart entre les deux niveaux de développement correspond pour Vygotsky à la « zone proximale de développement » (ZPD), c’est-à-dire la zone dans laquelle les apprentissages peuvent donner lieu à un développement. Pour certains auteurs (Hamilton & Budoff, 1973) ces deux types d’évaluation, statique et dynamique, ne diffèrent pas de manière fondamentale. D’après eux, l’évaluation traditionnelle du QI évalue elle aussi le potentiel d’apprentissage de l’enfant mais indirectement, à travers les produits des apprentissages antérieurs. L’avantage de l’évaluation directe et dynamique du PA est l’homogénéité des conditions de passation lors de la phase d’apprentissage. Le score obtenu pour chaque enfant repose sur un apprentissage effectué in situ plutôt que sur la base de connaissances acquises dans des conditions qui peuvent différer d’un enfant à l’autre. Le type de connaissance sur lequel est basé l’évaluation traditionnelle du QI est une variable que l’on peut difficilement contrôler, dans la mesure où nous ne disposons pas de renseignements sur les conditions d’acquisition des connaissances. Les deux types d’évaluation diffèrent aussi sur deux autres aspects, l’attitude neutre exigée de la part de l’expérimentateur lors d’une évaluation statique et l’absence de feedback sur la réponse de l’enfant. Au contraire, dans une évaluation dynamique l’expérimentateur donne un feedback de manière soit explicite soit implicite, tout en développant une relation d’interaction avec le sujet.

Le PA est opérationnalisé par les auteurs de manière assez différente. Par exemple, Hamilton et Budoff (1973) l’associent à la capacité de la personne à profiter de l’apprentissage, Campione et Brown (1987) le situent dans la ZDP de Vygotsky, tandis que Feuerstein, Rand, Hoffman et Miller (1980) le situent plutôt dans la capacité de la personne à modifier son fonctionnement cognitif. Différents instruments ont également été proposés pour l’évaluation du PA. Budoff par exemple, a développé le « Learning Potential and Educability Programm » (LPEP), tandis que Feuerstein et al. (ib.) ont développé le « Learning Potential Assessment Device » (LPAD) comme instrument diagnostic capable de guider la remédiation. Dans le paradigme expérimental classique, l’évaluation du PA se déroule en trois phases, test, phase d’apprentissage et retest, et mesure le gain acquis et sa stabilité (Feuerstein, Feuerstein, Falik, & Rand, 2002 ; Pena & Gillam, 2000). Dans la phase de test sont évaluées les capacités du sujet à réaliser une tâche, ce qui permet ainsi d’avoir une ligne de base des performances initiales du sujet. Ensuite, pendant la phase d’apprentissage, des instructions aidant à la réalisation de la tâche, ainsi qu’un feedback de manière implicite ou explicite sont proposés aux sujets. Enfin, la phase de re-test constitue la deuxième évaluation de la capacité du sujet à réaliser la tâche initiale. Dans le cas du paradigme test-apprentissage-retest (TAR), le PA correspond au gain entre le test et le retest, autrement dit à l’augmentation (attendue) des performances du sujet entre les deux phases.

Le paradigme de TAR est à ce jour peu utilisé auprès des enfants avec troubles du langage. Olswang, Bain et Johnson (1992) ont utilisé ce paradigme pour prédire l’évolution de deux enfants avec TSL expressif. Les deux enfants présentaient des scores similaires dans une évaluation psychométrique classique. Après avoir entrainé les deux enfants, ils ont trouvé des différences significatives dans leur progression, conformes à leur PA. Malgré la critique posée par certains auteurs qui postulent que la méthode spécifique d’évaluation du PA appliquée par Olswang et al. (‘graduated prompting method’) est efficace auprès de certains et non pas de tous les enfants, l’utilisation elle-même du PA dans l’évaluation langagière et cognitive des enfants TSL est considérée généralement comme positive (Gutierrez-Clellen & Pena, 2001; Hasson & Botting, 2010 ; Hasson & Joffe, 2007). Quelques années après leur première étude, Olswang et Bain (1996) ont montré une corrélation importante entre les performances de 21 enfants TSL sur une tâche mesurant le PA et sur une mesure de changement immédiat dans la production langagière (augmentation de la Longueur Moyenne des Enoncés - LME). Dans une étude récente, Camilleri et Law (2007) ont utilisé une double évaluation statique et dynamique pour explorer les capacités en vocabulaire productif réceptif auprès de 40 enfants âgés de 3 ;05 à 5 ans soupçonnés de TSL. Les tâches évaluant le PA ont été basées sur une épreuve normée du British Picture Vocabulary Scales (BPVS) matériel utilisé également pour l’évaluation statique. Lors de l’évaluation dynamique ils ont mesuré la capacité de l’enfant à associer un mot à un référent et à retenir un mot (aspect perceptif et réceptif). Selon leurs résultats, lors de l’évaluation dynamique les performances des enfants soupçonnés des TSL ont été significativement inférieures comparées à celles des enfants au développement normal du langage (DNL). De plus, l’évaluation dynamique était plus sensible que l’évaluation statique à mesurer la variabilité inter-individuelle des enfants, et notamment pour les enfants qui présentaient le plus faible niveau dans les compétences langagières. Ces auteurs concluent que l’avantage de l’évaluation dynamique est sa capacité à fournir des informations supplémentaires alors que l’évaluation statique (même en utilisant le même matériel) n’offre pas des indices sur les zones développementales préservées chez l’enfant TSL.

L’évaluation du PA pourrait servir de support à l’élaboration de dispositifs d’aide à l’apprentissage et à la mise en place d’une prise en charge mieux ciblée et de ce fait plus efficace. Les tests les plus souvent utilisées sous un paradigme de TAR permettant de mesurer le PA sont la figure de Rey, inspirée de la tâche de Rey (1959) et développé par l’équipe de Feuerstein ainsi que des tâches inspirées de tests normés, comme les Matrices Progressives de Raven et les Cubes de Kohs. L’équipe de Tzuriel a également développé un ensemble de tests évaluant le raisonnement analogique, inférentiel et sériel (Tzuriel & Klein, 1987). Lors de cette expérience nous allons ajuster le paradigme de TAR afin d’étudier les capacités à apprendre dans une tâche implicite chez des enfants avec troubles non spécifiques du langage dans une tâche expérimentale de détection d’intrus.

Il est évoqué dans la littérature que l’apprentissage implicite (AI) est un trait biologique de base qui reflète les capacités générales d’apprentissage du sujet et permet l’apprentissage langagier (Christiansen & Ellefson, 2002 ; Tomasello, 2003). Les capacités d’AI, définies selon Reber (1989) comme des capacités d’acquisition des aptitudes de façon spontanée, jouent un rôle important pour le développement cognitif (Pacton et al. 2005). Même si pour Reber et al. (1991) l’AI est une capacité qui se développe précocement et n’est pas à l’origine de différences individuelles, un certain nombre de travaux défendent la position opposée. En effet, un certain nombre de différences individuelles ont été mis en évidence, par exemple entre enfants et adultes (Saffran, 2001), entre enfants de différents âges chronologiques et mentaux (Fletcher, Maybery & Bennett, 2000) et entre sujets dyslexiques et normo-lecteurs (Vicari Marotta, Menghini, Molinari & Petrosini, 2003). Vicari et al. (ib.) ont démontré que les enfants et les adolescents dyslexiques ont été moins aptes à l’AI dans une tâche de temps de réaction sériel (TRS). Quelques travaux récents suggèrent également que les enfants TSL présentent un déficit dans l’apprentissage implicite (Evans et al. 2009 ; Plante et al. 2002; Tomblin et al. 2007). Selon ces travaux, les mécanismes qui permettent aux enfants d’utiliser les informations statistiques pour découvrir les frontières des mots sont moins efficaces chez les enfants TSL cela expliquant leur déficit phonologique. La question qui se pose concernant les capacités d’AI des enfants avec troubles du langage est de savoir si la variation de cette capacité pourrait expliquer les différences interindividuelles que ces enfants présentent sur leurs capacités langagières.