4.2.3 Discussion

Lors de cette expérience, notre objectif était l’évaluation des capacités à apprendre (bénéfice du feedback et maintien de l’apprentissage) dans une tâche implicite des enfants avec troubles du langage. Nous avons cherché à étudier le poids non seulement des capacités langagières mais aussi des capacités non verbales sur la variabilité des capacités à apprendre dans une tâche implicite. Ainsi, nous avons choisi un groupe d’enfants présentant des troubles du langage et des capacités non verbales relativement faibles, notamment des enfants présentant des Troubles non Spécifiques du Langage. La comparaison des enfants TnSL à des enfants avec retard mental léger (RM) et des enfants contrôles sans troubles verbaux ou non verbaux (DNL), avait pour objectif de tenter de démontrer que le profil langagier et cognitif de chaque enfant serait associé à un profil d’apprentissage différent lors d’une évaluation dynamique de l’AI.

La comparaison des enfants scolarisés en CLIS à des enfants DNL, nous a permis d’étudier dans un premier temps le poids d’un déficit cognitif dans les capacités à apprendre dans une tâche implicite. Les deux groupes d’enfants présentent le même niveau en lecture de texte, mais les enfants CLIS présentent un QI non verbal inferieur à 2 DS de la moyenne et ils sont de 3 ans et demi plus âgés que les enfants DNL. Cette comparaison met en évidence deux résultats. Le premier concerne les profils d’apprentissage des deux groupes pendant les trois épisodes de la phase d’apprentissage lors desquelles nous avons étudié le bénéfice du feedback. Globalement, les enfants CLIS présentent un taux de réussite moins important que les enfants DNL, notamment pour les notes, les syllabes et l’orthographe. Cependant, nous avons obtenu une courbe d’apprentissage similaire chez les deux groupes dans la phase d’apprentissage, ce qui signifie que les deux groupes bénéficient de la présence du feedback correcteur. Les performances des enfants CLIS et des enfants DNL restent stables, sauf en orthographe où les deux groupes présentent une diminution des performances au fil des épisodes. Ce résultat confirme notre hypothèse que les enfants CLIS, avec des faibles capacités non verbales, présenteront des capacités d’apprentissage plus faibles. Même si les deux groupes présentent le même pattern de résultats, bénéficiant de la présence du feedback, les enfants CLIS présentent des performances plus faibles comparées aux enfants DNL, d’autant plus que les enfants DNL sont plus jeunes que les enfants CLIS. Le deuxième résultat concerne la capacité à maintenir un apprentissage lors d’une nouvelle série (transfert des connaissances). Les deux groupes se distinguent de manière significative, avec des performances plus faibles chez les enfants CLIS que chez les enfants DNL. Toutefois, les deux groupes présentent le même profil, avec des performances sans différence significative pour les figures et les syllabes, des performances qui diminuent de manière significative pour l’orthographe et des performances qui augmentent significativement pour les notes. L’augmentation significative (entre A3 et B) observée sur les notes, est probablement due au fait que lors de la phase d’apprentissage les enfants (CLIS et DNL) présentent des performances plus faibles que sur les autres types de stimuli. En résumé, la capacité des enfants scolarisés en CLIS à bénéficier de la présence du feedback correcteur et leur aptitude à transférer l’apprentissage acquis dans une nouvelle série sont comparables à celles des enfants sans difficultés (DNL) de 3 ans plus jeunes.

La comparaison des enfants TnSL, RM et DNL n’a pas mis en évidence une différence claire et nette dans le profil d’apprentissage des enfants présentant des différences langagières et non verbales. Ce résultat n’est pas conforme à nos attentes, puisque nous n’avons obtenu aucun effet de groupe pour chacune des deux analyses. Toutefois, cela montre deux choses : les différences dans les capacités non verbales des enfants RM et TnSL, et dans les capacités verbales des enfants TnSL et RM, et DNL ne suffisent pas pour les différencier dans leur capacités à apprendre dans une tâche implicite. Dans les deux cas, les groupes ne présentent pas de différence dans leurs performances globales, dans leur capacité à tirer bénéfice de la présence du feedback et dans leur capacité à maintenir et à transférer l’apprentissage dans une nouvelle série. Cependant, il faut souligner que les enfants TnSL et RM sont de 3 ans plus âgés que les enfants DNL. Par conséquent, les enfants TnSL et RM semblent présenter un écart développemental par rapport aux enfants sans difficulté de même âge chronologique. Ils présentent un profil quantitativement et qualitativement similaire à celui des enfants DNL plus jeunes, dans les performances globales, dans le bénéfice du feedback et dans le transfert de l’apprentissage acquis. Globalement, lors de cette deuxième expérimentation, nous n’avons validé que partiellement nos hypothèses, puisque nous n’avons pas obtenu les effets attendus notamment dans la comparaison des enfants TnSL et RM. La différence dans le profil non verbal n’a pas mis en évidence des différences qualitatives ou quantitatives. Nous pourrons donc conclure que c’est en raison des faiblesses dans le profil verbal et non verbal que les deux groupes, TnSL et RM, présentent des capacités d’apprentissage similaires à celles des enfants DNL plus jeunes.

Une première limite à cette expérience concerne la durée de la phase de transfert. Plus particulièrement, l’épisode B de la phase de transfert n’était pas assez long, avec seulement six séries de trois stimuli pour chaque type de stimuli, figures, notes, syllabes et orthographe. Ainsi, nous aurions dû, afin de faire apparaître une différence dans les capacités de transfert entre les groupes, proposer un plus grand nombre d’essais aux enfants, et au moins égal au nombre d’essais présentés lors de la phase d’apprentissage (18 essais). La raison de notre choix est liée au fait que la durée de la tâche de détection d’intrus ne devait pas excéder plus de 20 min de passation, puisque ces passations ont été effectuées dans le temps scolaire et les enfants devaient également réaliser les trois autres tâches du logiciel 3D-app, dont la tâche de détection d’intrus faisait partie. Une autre limite est qu’au cours de cette expérience, nous avons mesuré uniquement l’exactitude des réponses correctes et non pas les temps de réaction des enfants. Or, la plupart des expériences étudiant la question des capacités d’apprentissage implicite chez les enfants TSL, se basent sur une mesure du temps de réaction sériel supposée offrir des indices plus fiables (Evans et al. 2009). Enfin, une dernière limite concerne les capacités mnésiques et attentionnelles des enfants que nous n’avons pas contrôlé. En effet, des études montrent que les capacités en apprentissage implicite et en particulier en apprentissage statistique chez des adultes sont fortement liées aux ressources mnésiques et attentionnelles des sujets (Ludden & Gupta, 2000).

Un problème souvent soulevé sur la mesure du gain de l’apprentissage lors d’une tâche utilisant le paradigme TAR est le fait que les sujets ayant les meilleures performances sont en général ceux qui améliorent le moins leurs performances dans le retest (phase de transfert). Ceci est dû à un effet plafond de la performance initiale (Huteau & Lautrey, 1999). En effet, nous avons obtenu des scores plafonds sur les figures (capacités non verbales) à la fois dans la comparaison DNL-CLIS et dans la comparaison DNL-TnSL-RM et sur les syllabes (discrimination phonologique) dans les deux groupes d’enfants DNL. Ainsi, les scores plafonds obtenus ne nous ont pas permis d’étudier l’effet du feedback ni au cours des trois épisodes de la phase d’apprentissage ni dans la comparaison des deux phases, phase d’apprentissage et phase de transfert. Enfin, une autre remarque concerne la différence importante que nous avons obtenue entre les taux de réussite des enfants pendant l’étude pilote et l’expérimentation. Cette différence pourrait être liée au changement de mode de réponse de l’enfant (clavier dans l’étude pilote et souris dans l’expérimentation). En effet, l’utilisation du clavier, et plus particulièrement des trois touches (chacune correspondant à un des trois stimuli de chaque série) dans l’étude pilote, pourrait expliquer les taux de réussite proches du hasard. En revanche, dans l’expérimentation, les enfants manipulant la souris devaient simplement cliquer sur l’image de l’écran choisie pour répondre. Ceci a généré des taux de réussite beaucoup plus élevés, que nous n’avions pas pu anticiper avec l’étude pilote.

Pour finir, les résultats de notre expérience ne nous permettent pas de conclure sur un déficit véritable dans les capacités à apprendre, mesurées à travers une tâche implicite, des enfants présentant des troubles de l’apprentissage accompagnés de capacités non verbales faibles (TnSL). La comparaison des performances des enfants TnSL à celles des enfants contrôles de même âge chronologique fait partie de nos projets. L’étude des capacités d’apprentissage implicite chez des enfants TSL et TnSL, encore peu explorées à ce jour, mérite d’être approfondie à travers d’autres expériences, étudiant toute la gamme des capacités que le terme apprentissage implicite englobe (apprentissage procédural, apprentissage probabiliste des catégories, apprentissage de grammaire artificielle etc.) afin d’explorer si les capacités en AI des enfants avec troubles du langage diffèrent de manière fondamentale de celles des enfants au développement normal du langage. A notre connaissance, il n’y a pas d’autres études dans la littérature ayant tenté une évaluation des capacités d’apprentissage implicite, et en particulier auprès d’une population d’enfants TnSL. Dans une étude de cas très récente, Hasson et Botting (2010) ont proposé une évaluation dynamique des compétences en grammaire de production auprès de 3 enfants TSL. Même s’il paraît difficile à ce jour de tirer des conclusions fermes sur le potentiel d’apprentissage des enfants avec troubles du langage, ces auteurs évoquent la nécessité de futures expériences utilisant ce paradigme pour améliorer les programmes d’intervention proposés à ces enfants. La connaissance sur le potentiel d’apprentissage de l’enfant peut informer les cliniciens et les rééducateurs sur les zones préservées chez l’enfant qui guideront l’intervention. Notre expérience constitue une première tentative dans cette direction, et de futures recherches sont nécessaires afin de créer des tâches expérimentales informatives et faciles à utiliser par les rééducateurs dans les programmes d’intervention et par les cliniciens dans le diagnostic.