Chapitre 5 Evaluation des capacités en mémoire visuospatiale chez des enfants avec troubles du langage et des enfants avec retard mental.

Objectifs et hypothèse générale

Un grand nombre de travaux suggère l’existence de corrélations entre les capacités en MdT et le développement langagier (ex. Alloway et al. 2005 ; Alloway, Gathercole, Willis & Adams, 2004 ; Baddeley, 2003). Ainsi, l’étude des capacités des enfants TSL en mémoire de travail (MdT) a constitué, assez tôt, une piste de recherche dont l’objectif est de comprendre la nature et les causes de la pathologie. Pendant de nombreuses années, les études se sont focalisées principalement sur le rôle de la MdT phonologique telle qu’elle a été définie dans le modèle de Baddeley (Baddeley & Hitch, 1974). A ce jour, l’existence des déficits dans le traitement et/ou le stockage des stimuli verbaux chez les enfants TSL paraît incontestable (voir chapitre 1). En 2006(a), Archibald et Gathercole ont formulé l’hypothèse ‘double-jeopardy’ dans le cadre du modèle tripartie de Baddeley attirant ainsi l’attention des chercheurs sur l’étude du rôle de l’administrateur central, système qui contrôle l’activité des deux systèmes ‘esclaves’ du modèle, la boucle phonologique et le calepin visuospatial. En utilisant le paradigme classique de la double tâche pour étudier l’administrateur central, certaines études montrent que les enfants TSL présentent effectivement des déficits en cas de tâche double (voir Archibald & Gathercole 2007 ; Briscoe & Rankin, 2009). Archibald et Gathercole ont montré que les enfants TSL présentent un déficit dans une tâche expérimentale impliquant un stockage verbal (se rappeler d’un chiffre) et un traitement visuospatial (se rappeler de la localisation d’un carré qui se distingue par son contour différent parmi 8 carrés des couleurs différentes).

Même si ces études situent les difficultés des enfants TSL dans la boucle phonologique et l’administrateur central, il s’avère important d’étudier le fonctionnement du calepin visuospatial auprès des enfants TSL, afin de pouvoir conclure sur la spécificité des difficultés des enfants TSL dans le domaine langagier. A ce jour existe un débat théorique concernant la spécificité des troubles en MdT dans le stockage et le traitement d’informations verbales. Les études qui explorent les capacités en MdT visuospatiale auprès des enfants TSL restent rares et par conséquent leurs données ne permettent pas de conclure de manière définitive sur la présence ou pas d’un déficit en mémoire visuospatiale. Dans le chapitre 1, nous avons présenté les travaux qui existent à ce jour sur ce sujet. Certaines études affirment que les enfants TSL présentent des difficultés dans le traitement d’informations visuospatiales (ex. Bavin et al. 2005 ; Hoffman & Gillam, 2005 ; Mollier & Parisse, 2008) tandis que d’autres montrent que les enfants ne sont pas déficitaires lors du traitement ou du stockage de stimuli purement visuospatiaux (ex. Archibald & Gathercole, 2007 ; Hick et al. 2005). Les études qui affirment la présence de déficits en mémoire visuospatiale, situent la difficulté des enfants à l’encodage des informations séquentielles en raison d’un empan visuospatial réduit. En effet, Bavin et al. observent que les enfants TSL présentent des difficultés seulement lors du rappel de séquences visuospatiales et pas lors du rappel de localisations spatiales. De plus, ils ont montré que l’empan visuospatial des enfants TSL était plus réduit comparé à celui des enfants DNL. Mollier et Parisse (ib.), se basent sur cette observation pour expliquer les difficultés des enfants de leur étude lors du stockage d’informations visuospatiales de façon séquentielle. Ces derniers n’ont pas observé de difficultés lorsque la tâche proposée implique un encodage simultané.

Lors de cette expérience nous avons cherché à étudier si les enfants TnSL, qui présentent des troubles du langage et des troubles cognitifs non verbaux, présentent des difficultés en MdT visuospatiale et disposent d’un empan visuospatial réduit. Typiquement, le fonctionnement du calepin visuospatial des enfants est mesuré à travers des tâches de rappel et de reconnaissance de stimuli visuospatiaux. Pour cela, nous avons élaboré une tâche expérimentale, inspirée de l’épreuve classique dite « Peanut Task » (Case, 1985 ; de Ribaupierre et al. 2000 ; de Ribaupierre & Lecerf, 2006 ; de Ribaupierre, Neirynck, Spira, 1989). La tâche d’évaluation des capacités de la mémoire visuospatiale fait partie de la batterie 3D-app développée dans le cadre de la recherche ANR que nous avons présenté dans le chapitre 4 et l’expérience a été menée en collaboration avec Bernard Lété. Elle se déroule en trois parties : la demonstration où l’enfant est exposé à un certain nombre d’essais avec réponse fournie, la tâche de rappel immédiat où on mesure les capacités de stockage de stimuli visuospatiaux avec feedback correcteur, et la tâche de reconnaissance où l’enfant se met à la place de l’évaluateur, son rôle étant d’évaluer la réponse fournie par l’ordinateur en tant que correcte ou erronée par rapport à la cible. Nous avons choisi d’étudier la question de la MdT visuospatiale auprès des enfants TnSL car un certain nombre de travaux plaident en faveur de l’existence de déficits en mémoire visuospatiale chez les enfants avec retard mental (Comblain, 1996). Ainsi, nous pensons qu’il est intéressant d’étudier les capacités en MdT auprès des enfants TnSL étant donné que leurs déficits langagiers sont associés à des capacités non verbales faibles. Toutefois, leurs capacités non verbales ne sont pas aussi limitées que celles d’enfants avec retard mental. On rappelle que le diagnostic différentiel entre les deux groupes d’enfants se base entre autres sur le QI non verbal (QIP ou IRP des échelles de Wechsler), qui pour les enfants TnSL ne doit pas être inferieur à 70 SS, tandis que pour les enfants avec retard mental léger se situe entre 55 et 70 SS.

Notre hypothèse générale est la suivante : Les enfants TnSL, qui présentent des déficits en langage oral associés à un profil non verbal faible (QIV<-1.25DS, QIP < -1.25 mais > -2DS), présenteront des capacités faibles en MdT visuospatiale dues à la fois à leur déficit langagier (Bavin et al. 2005) mais aussi à leurs déficits cognitifs non verbaux (Comblain, 1996). Afin d’étudier le rôle du déficit langagier nous comparerons le groupe d’enfants TnSL à des enfants au développement normal du langage (DNL), tandis que pour étudier le rôle de l’intelligence non verbale, nous allons comparer les enfants TnSL à des enfants avec retard mental léger (QIP >-2DS) (Figure 16).

Figure 16 : Représentation graphique (en déviation standard) des trois groupes d'enfants, TnSL, RM et DNL, par rapport à leurs compétences verbales (QIV) et non verbales (QIP).
Figure 16 : Représentation graphique (en déviation standard) des trois groupes d'enfants, TnSL, RM et DNL, par rapport à leurs compétences verbales (QIV) et non verbales (QIP).

Cette expérience suit la méthodologie appliquée dans le cadre de la recherche ANR (voir aussi chapitre 4), avec une première expérience pilote (ci-après pré expérimentation) dont l’objectif principale était l’évaluation du logiciel et de la tâche d’évaluation de la mémoire visuospatiale auprès la population concernée, et une expérience principale (ci-après expérimentation) effectuée un an plus tard nous permettant de tester nos hypothèses.