Chapitre 6 Apprentissage de la lecture - écriture chez des enfants TSL

Introduction

Dans la partie théorique, nous avons exposé le tableau sémiologique des enfants TSL, en mettant l’accent sur les déficits importants qu’ils présentent dans les traitements phonologiques résultant du développement de représentations phonologiques imprécises (chapitre 1). Nous avons également mis en évidence le rôle important que les premières représentations phonologiques jouent dans l’apprentissage ultérieur de la langue écrite, à travers la mise en correspondance entre les phonèmes et les graphèmes (chapitre 2). L’apprentissage explicite et formel de la langue écrite favorise le développement des habiletés métaphonologiques et la restructuration de représentations phonologiques plus précises. Le rôle prédictif de la conscience phonologique dans l’apprentissage ultérieur de la langue écrite est à ce jour incontestable (Castles & Coltehart, 2004). En se basant sur l’approche psycholinguistique de Stackhouse et Wells (1997) nous avons montré en quoi les déficits langagiers précoces des enfants TSL affectent leurs capacités dans l’apprentissage ultérieur de la langue écrite. En effet, un nombre important de travaux étudiant l’apprentissage de la langue écrite auprès d’enfants TSL mettent en évidence que la majorité de cette population présente des déficits majeurs en lecture, en compréhension écrite et en orthographe à l’âge scolaire (ex. Catts et al. 2002, voir 2.3), déficits qui persistent à l’âge adulte (Catts, Bridges, Little & Tomblin, 2008). Or, les mêmes travaux démontrent également que certains enfants TSL réussissent bien dans l’apprentissage de la langue écrite (Catts et al. 2005 ; Kelso et al. 2007). Cependant, les prédicteurs des compétences ultérieures en langage écrit chez des enfants présentant un faible niveau en conscience phonologique, comme par exemple pour les enfants TSL, reste à découvrir. Néanmoins, les cliniciens, les éducateurs et les chercheurs doivent pouvoir identifier les enfants TSL ayant des risques élevés de présenter des déficits à l’écrit afin de pouvoir proposer une intervention précoce et efficace.

La conscience phonologique et l’apprentissage de la lecture présentent une relation de causalité réciproque. De nombreuses études ont montré que l’apprentissage explicite du langage écrit, et notamment l’apprentissage des correspondances entre graphèmes et phonèmes, favorise le développement de la conscience phonologique (Byrne & Fielding-Barnsley, 1995). Sous l’effet de cet apprentissage et des séances orthophoniques, un certain nombre d’enfants TSL, témoignant de cette causalité réciproque, parvient à améliorer ses compétences langagières, notamment métaphonologiques, et parfois jusqu’au point où les chercheurs ne les qualifient plus comme des enfants TSL mais plutôt comme des enfants TSL-résolus (Conti-Ramsden & Durkin, 2007). Bishop et Adams (1990) défendent que la persistance des troubles langagiers au cours de la période scolaire est un facteur important dans la prédiction des compétences ultérieures en langage écrit. Selon Bishop et al. (2009) un nombre plus important de facteurs que celui proposé par Bishop et Adams (ib.) est à prendre en considération dans le pronostic des compétences ultérieures des enfants TSL en langage écrit. Parmi les facteurs proposés par ces auteurs se trouvent également le profil et la sévérité des troubles langagiers. L’étude des capacités des enfants TSL dans le traitement et le stockage d’informations verbales, complexifie encore plus l’image. Même si à ce jour nous n’avons pas de preuves nettes d’une relation de causalité entre les déficits en langage oral et les déficits en mémoire de travail (MdT) phonologique (Montgomery, 2003), la présence de déficits importants chez les enfants TSL est incontestable (ex. van Daal et al. 2008) et pour certains chercheurs préexiste avant les troubles du langage (Bishop et al. 2006).

Aujourd’hui, la recherche autour de l’apprentissage de l’écrit chez des enfants TSL se focalise principalement dans la définition de facteurs prédictifs des compétences ultérieures en lecture, compréhension écrite et orthographe. La définition des facteurs qui différencient les enfants TSL développant des compétences en langage écrit dans la norme des enfants présentant de déficits majeurs, est très importante. Elle permettra une meilleure appréhension des facteurs causaux et de ce fait la mise en place des programmes de rééducation plus efficaces. L’objectif des trois études que nous présenterons est d’étudier les effets bidirectionnels de l’acquisition du langage oral et de l’apprentissage de la langue écrite chez des enfants diagnostiqués avec des troubles du langage, spécifiques ou non spécifiques. Le rôle important de la MdT dans l’acquisition du langage oral et dans l’apprentissage de l’écrit, constitue l’étude des profils en MdT importante dans la mesure où les différences dans le profil et dans la sévérité de difficultés en MdT pourraient expliquer la variabilité interindividuelle des enfants TSL non seulement face à l’oral mais aussi face l’écrit. Nous tenterons de nous rendre compte des liens complexes entre la sévérité et la persistance des troubles langagièrs, les compétences non verbales et les capacités en MdT phonologique dans les profils d’apprentis lecteurs des enfants TSL. En particulier, nous chercherons à répondre aux questions suivantes : 1 / est-ce que les enfants TSL améliorent leurs compétences en langage oral sous l’effet de l’apprentissage de la langue écrite? 2/ quels aspects du langage oral semblent présenter la meilleure évolution et sur quels aspects les déficits persistent-ils le plus ? 3/ est-ce que les enfants TSL présentent des déficits en lecture de mots et en orthographe ? 4/ quel est l’effet de l’intelligence non-verbale et de la MdT phonologique dans le pronostic des enfants ? 5/ est-ce que la sévérité et la persistance des troubles langagiers se reflètent dans les compétences des enfants en lecture et en orthographe ?

Dans un premier temps, nous avons procédé au suivi à court terme de deux groupes d’enfants séparément, l’un présentant des Troubles Spécifiques du Langage (TSL) (étude 1) et l’autre présentant des Troubles non Spécifiques du Langage (TnSL) (étude 2). L’objectif principal de ces deux études longitudinales est d’étudier l’évolution en langage oral et en MdT phonologique chez des enfants TSL et des enfants TnSL. Nous avons étudié des enfants ‘typiques’ TSL et des enfants TnSL pour se rendre compte de l’effet du profil cognitif (capacités d’intelligence non verbal et de MdT phonologique) et de la sévérité des troubles langagiers sur l’évolution langagière des enfants diagnostiqués porteurs des TSL. L’approche longitudinale que nous avons choisie d’utiliser permet de 1/ mettre en évidence des éventuels changements développementaux en langage oral et en MdT phonologique au cours d’une année scolaire et 2/ étudier le développement des compétences en lecture et en orthographe des enfants TSL. A ce jour, nous disposons d’un nombre limité d’études longitudinales auprès d’enfants TSL francophones (ex. Billard et al. 2007, voir 2.3).

A la suite de ces deux études longitudinales, nous avons effectué une étude comparative (étude 3) auprès des enfants TSL, TnSL et des enfants diagnostiqués porteurs des TSL mais qui au moment de l’étude semblent avoir acquis un niveau en langage oral normal pour leur âge chronologique (TSL-résolus, voir 2.3 et aussi 6.3 pour une présentation détaillée de cette population). Le but de cette troisième étude est l’examen des profils spécifiques d’apprentis lecteurs TSL (en lecture et en orthographe) qui se distinguent par leurs profils cognitifs (capacités d’intelligence non verbale et de MdT phonologique) ainsi que par la sévérité des troubles langagiers qu’ils présentent au moment de l’évaluation. Malgré de nombreuses études effectuées dans ce domaine, peu, si l’on excepte celles conduites par l’équipe de Catts (2002, 2003, 2008), ont examiné les profils d’apprentis lecteurs auprès d’enfants TSL présentant des profils langagiers différents et en investiguant simultanément leurs capacités en lecture de mots en contexte, en reconnaissance de mots isolés et en orthographe.

L’hypothèse générale de ces trois études se fonde sur le constat de la causalité réciproque entre le niveau de conscience phonologique et l’apprentissage de la langue écrite, autrement dit nous prédisons que 1/ sous l’effet de l’enseignement formel du principe alphabétique (à l’école et aux séances orthophoniques) les difficultés langagières, notamment phonologiques et lexicales, des enfants TSL devraient diminuer (Bishop & Clarkson, 2003) et 2/ la sévérité des troubles en langage oral, les compétences en MdT phonologique et le profil cognitif non verbal des enfants TSL seront associés à des profils d’apprentis lecteurs différents (Catts et al. 2002 ; 2003). La première hypothèse sera examinée à travers les deux études longitudinales tandis que la deuxième sera examinée à travers l’étude comparative.