6.1.4 Discussion

Dans la première étude longitudinale, auprès des enfants TSL, nos résultats ont mis en évidence une amélioration des performances des enfants en langage oral, notamment dans la tâche de suppression de phonèmes, de lexique en réception et de lexique en production, 8 mois après la première évaluation. En revanche, les enfants n’ont présenté aucune amélioration significative en compréhension morphosyntaxique, en expression syntaxique et en fusion de phonèmes. En T2, après au moins 3 ans de rééducation orthophonique et 2 ans de scolarisation, les enfants TSL de cet échantillon présentent des performances dans la norme (ne se distinguant pas de celles d’enfants au développement normal du langage de même âge chronologique) en métaphonologie (suppression et fusion de phonèmes) et en lexique (production et réception) conforme à notre hypothèse. Au contraire, leurs déficits majeurs en compréhension syntaxique et en expression morphosyntaxique persistent. Cette distinction entre l’évolution des compétences métaphonologiques et lexicales et les compétences morphosyntaxiques pourrait être due à l’apprentissage de la lecture-écriture et la scolarisation développant la conscience phonologique et l’accroissement du vocabulaire. Or, comme discutées par la suite, les connaissances acquises en métaphonologie telles qu’évaluées à travers les tâches de suppression et fusion de phonèmes, semblent rester spécifiques aux tâches ne se généralisant pas à d’autres tâches plus complexes, comme la lecture et l’orthographe. Les difficultés des enfants TSL en langage écrit révèlent ainsi une fragilité et une imprécision des représentations phonologiques sous-jacentes et une incapacité d’opérer un haut niveau d’analyse métaphonologique. Parisse et Maillart (2007) défendent que le développement des habiletés morphosyntaxiques s’appuie pour partie au développement phonologique et de ce fait nécessite des connaissances phonologiques intactes. Par conséquent, la persistance des déficits morphosyntaxiques pourrait être due au profil des troubles du langage de cet échantillon mais aussi à un manque de connaissances phonologiques précises.

Autant dans la première (T1) que dans la deuxième évaluation (T2), l’échantillon de cette étude présente de faibles performances dans une tâche de répétition de chiffres à l’endroit ainsi que dans une tâche de répétition de pseudomots. De plus en T2, les enfants TSL de cette étude ont présenté des déficits dans une tâche supplémentaire utilisée, la répétition de chiffres à l’envers. Les performances dans les deux tâches de répétition de chiffres manifestent une faiblesse dans les capacités de stockage (passif ou actif) d’informations verbales dans la mémoire à court terme. Ce résultat corrobore les résultats de nombreux travaux dans la littérature (ex. Briscoe & Rankin, 2009). Les déficits en répétition de chiffres reflètent, en plus des difficultés dans la perception des phonèmes, une incapacité des enfants TSL à utiliser les représentations sémantiques stockées dans leur lexique mental afin d’augmenter la cohérence phonologique des informations et de ce fait le nombre d’items que l’on peut stocker dans la mémoire à court terme. L’hypothèse d’une difficulté des enfants TSL à utiliser leurs représentations stockées dans le lexique afin d’augmenter les capacités de stockage dans la mémoire à court terme, met ainsi en cause le bon fonctionnement de la mémoire à long terme (MLT) des enfants TSL (Casalini et al. 2007). Cette question sera discutée aussi par la suite, lors de la présentation des données obtenues en répétition de pseudomots.

Les résultats obtenus dans la tâche standardisée de répétition de pseudomots proposée ont mis en évidence des difficultés majeures dans les deux évaluations. Pour de nombreux chercheurs, cette tâche établie un bon cadre pour l’évaluation de la MdT phonologique, et notamment pour l’évaluation de la boucle phonologique du modèle de Baddeley, (ex. Archibald & Gathercole, 2006a, 2007). Elle constitue également un bon marqueur clinique pour le diagnostic des TSL (Bortolini et al. 2006, 2002 ; Newbury et al. 2005). Les tâches de répétition de pseudomots nécessitent une bonne perception, un stockage temporaire (mais suffisant) dans la boucle phonologique et une répétition immédiate. Le fait qu’il s’agit d’un pseudomot et non pas d’un vrai mot conduit les chercheurs à défendre l’idée que les performances des enfants sont indépendantes de leurs connaissances préalablement stockées dans la MLT pour produire le pseudomot (Gathercole & Baddeley, 1990). Sur ce sujet, Majerus et Van der Linden (2003) défendent que les performances des enfants dans une tâche de répétition de pseudomots dépendent en partie des représentations (phonologiques, sémantiques et lexicales) stockées dans la MLT, puisque ces connaissances renforcent les capacités de traitement et de stockage des informations phonologiques dans la MdT. Casalini et al. (2009) s’accordent avec cette idée. Selon ces derniers, les difficultés des enfants TSL en MdT ne sont pas dues à un dysfonctionnement de la MLT, puisque dans leur étude ils ont observé les effets lexicaux (performances en répétition de mots pseudomots) et morpholexicaux (performances en répétition de pseudomots morphologiques supérieures à celle de pseudomots) attestant une MLT opérationnelle. Les difficultés des enfants TSL en répétition de pseudomots traduisent une insuffisance de la boucle phonologique et du processus d’autorépétition (difficultés importantes à répéter de pseudomots longs) et reflètent des représentations phonologiques imprécises. Les tâches métaphonoloqiques utilisées dans cette étude (suppression et fusion de phonèmes) ont pourtant permis de relever des performances dans la norme. Malgré le fait que ces deux tâches, et notamment la suppression de phonèmes, sont considérées comme des tâches appropriées pour l’évaluation de la conscience phonologique des enfants et la prédiction de leurs compétences ultérieures en langage écrit, elle ne semblent pas suffisantes. En revanche, la tâche de répétition de pseudomots permet une évaluation plus appropriée de la qualité des représentations phonologiques et de ce fait constitue un bon candidat pour déterminer des facteurs prédictifs des compétences ultérieures en langage écrit. Cette position sera discutée aussi par la suite lors de la présentation des résultats obtenus en lecture et en orthographe.

Nos résultats ont également révélé une amélioration significative des performances en répétition de pseudomots en T2 par rapport à la première évaluation, 8 mois plus tôt. Cette observation corrobore les résultats de Gray (2003) qui ont également démontré que les performances des jeunes enfants TSL en répétition de pseudomots s’améliorent progressivement mais s’opposent aux résultats de Conti-Ramsden et Durkin (2007) qui démontrent une relative stabilité des performances en répétition de pseudomots chez un groupe d’adolescents TSL. Les données contradictoires de ces deux études pourraient, néanmoins, être dues aux différences méthodologiques, notamment dans la tâche de répétition de pseudomots utilisée et dans l’âge des enfants (enfants d’âge préscolaire vs adolescents). Ainsi, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour étudier la stabilité ou l’amélioration des performances des enfants en MdT phonologique. Des déficits en MdT phonologiques persistant dans le temps pourraient expliquer les déficits ultérieurs en lecture et en écriture que l’on observe même chez des enfants TSL présentant une amélioration importante de leurs compétences métaphonologiques.

Les résultats obtenus dans cette première étude ont également révélé que l’échantillon présente des déficits majeurs en lecture et en orthographe dans les deux évaluations. Ce type de résultats est attendu et en accord avec l’hypothèse de la causalité réciproque entre les troubles précoces en langage oral et l’apprentissage ultérieur du langage écrit mais également avec le modèle psycholinguistique de Stackhouse et Wells (1997). Nos résultats ont mis en évidence une amélioration des compétences des enfants en lecture de mots isolés (irréguliers et réguliers) et de pseudomots et en orthographe de mots et de pseudomots lors de la deuxième évaluation. Malgré cette amélioration, les enfants TSL de cette étude manifestent en T2 des déficits en lecture de mots réguliers et de pseudomots et en orthographe de mots irréguliers, réguliers et de pseudomots, même en l’absence de difficultés métaphonologiques et lexicales dans la même évaluation. Les écarts à la norme obtenus dans les tâches relatives à l’écrit révèlent que la majorité de l’échantillon sont des enfants à grandes difficultés. Conformément aux performances métaphonologiques et lexicales des enfants en T2, nous pourrons nous attendre à un niveau en lecture et en orthographe reflétant les connaissances langagières acquises, ce qui n’est pas le cas. Les habiletés métaphonologiques émergentes dues à l’enseignement du langage écrit et des séances orthophoniques spécifient les représentations phonologiques stockées dans le lexique. Néanmoins, nous ne trouvons pas de répercussion dans des tâches nécessitant une activation spontanée des représentations phonologiques, comme c’est le cas lors du recours à la médiation phonologique pour lire et pour écrire des mots isolés. Autrement dit, bien que le niveau de représentations phonologiques se rapproche de la norme, le traitement effectué sur ces représentations reste déficitaire. Les déficits en lecture et en orthographe obtenus sont la trace du déficit précoce en langage oral mais aussi des capacités toujours très faibles en stockage et en manipulation d’informations verbales en MdT.

L’ensemble de ces données nous conduit à penser que l’évaluation des compétences metaphonologiques, bien qu’elle permette de rendre compte du niveau de la conscience phonologique, n’est pas suffisante pour prédire les compétences ultérieures en langage écrit. En revanche, des mesures, comme la répétition de pseudomots, s’avèrent plus appropriées pour nous renseigner sur la qualité des représentations phonologiques des enfants TSL et sur le pronostic des enfants en lecture et en écriture. Cette dernière hypothèse sera développée dans la troisième étude du chapitre. D’autres tâches comme la dénomination rapide sont également suggérées comme de bons facteurs prédictifs de la réussite en lecture (Catts et al. 2002). Enfin, Claeesen et al. (2009) défendent que la tâche la plus appropriée pour l’évaluation de la qualité de représentations phonologiques doit être indépendante d’une réponse verbale de la part de l’enfant. Ces auteurs ont développé une tâche expérimentale sur ordinateur (Quality of Representations Task) où les sujets doivent choisir si le mot ou le pseudomot est correctement prononcé par l’ordinateur. Il est intéressant par la suite d’étudier la valeur prédictive de ce type de tâches dans les compétences ultérieures des enfants TSL en lecture et en orthographe.