6.2.4 Conclusion

La deuxième étude avait pour but d’étudier l’évolution langagière et mnésique sous l’effet de l’apprentissage de la langue écrite auprès d’un groupe d’enfants TnSL. Nous avons évoqué à plusieurs reprises que les enfants TnSL présentent non seulement des troubles sévères en langage oral mais aussi de faibles compétences non verbales. L’étude de ce groupe d’enfants nous permettra d’étudier le profil et la sévérité des troubles langagiers et mnésiques et leur évolution au cours d’une année scolaire dans le contexte des capacités non verbales faibles (score standard inférieur à 85 et supérieur à 70 SS). Contrairement à nos attentes, les enfants TnSL n’ont pas amélioré significativement leurs compétences, ni en suppression et fusion de phonèmes, ni en lexique de réception lors de la deuxième évaluation (T2) 8 mois après la première. En revanche, sur les épreuves de compréhension morphosyntaxique et de lexique de production, nous avons obtenu une amélioration significative des performances en T2. Malgré l’amélioration significative obtenue sur ces aspects, en T2, la majorité des enfants continue à présenter des déficits en suppression de phonèmes, en lexique de production et de réception et en compréhension syntaxique. Ces résultats révèlent que les enfants TnSL de cette étude, âgés de 10 ans 7 mois en moyenne, présentent une persistance de leurs troubles langagiers, malgré l’effet de l’apprentissage des correspondances grapho-phonemiques et de la rééducation orthophonique. Un facteur explicatif de ces résultats pourrait être le temps relativement court entre les deux évaluations (8 mois) qui, dans un contexte de sévérité importante des troubles langagiers, de difficultés non verbales et de déficits sévères en MdT phonologique (voir ci-dessous), ne nous a pas permis d’observer une progression significative dans les compétences de langage oral.

Les résultats obtenus dans les épreuves évaluant la MdT phonologique ont mis en évidence des déficits importants en répétition de chiffres à l’endroit et à l’envers, et en répétition de pseudomots. Les analyses effectuées ont mis en évidence une stabilité des performances en répétition de chiffres à l’envers et en répétition de pseudomots entre les deux évaluations. De plus, les performances des enfants en répétition de chiffres à l’endroit en T2 baissent significativement. D’un point de vue plus qualitatif, les résultats obtenus révèlent que la grande majorité de l’échantillon présente des déficits en MdT phonologique (stockage et traitement d’informations) majeurs et persistants à l’âge de 10 ans 7 mois. Comme évoqué dans la discussion de l’étude longitudinal menée auprès d’un groupe d’enfants TSL, les déficits en MdT phonologique manifestent un dysfonctionnement de la boucle phonologique et une insuffisance du processus d’autorépétition du modèle de Baddeley et Hitch (1974) ainsi qu’une qualité faible de représentations phonologiques. Or, la MdT est un élément indispensable pour le développement métaphonologique, langagier et morphosyntaxique et pour l’apprentissage des correspondances grapho-phonemiques. Si ces données ne nous permettent pas de conclure sur des relations de cause à effet avec les troubles du langage oral, elles sont toutefois importantes car à notre connaissance il n’y a pas, à priori, d’études longitudinales francophones menées jusqu’à ce jour auprès d’enfants TnSL.

Enfin, nos résultats ont révélé un faible niveau dans l’ensemble des épreuves utilisées pour étudier les compétences en lecture (lecture de mots en contexte, lecture de mots réguliers, irréguliers et pseudomots, temps de lecture) et en orthographe (mots irréguliers, réguliers et pseudomots). Plus de 70% de l’échantillon présente un déficit dans ces aspects en T2. Les enfants de l’échantillon présentent plus de 3 ans et demi de retard en lecture de mots en contexte, autrement dit, leurs performances en lecture sont comparables, pour la majorité, à celles d‘enfants normo-lecteurs scolarisés en CP. De plus, la mesure du temps de lecture à révéler une lecture très lente de mots réguliers, irréguliers et de pseudomots. Ces résultats ne sont pas tout à fait attendus compte tenu des déficits importants en langage oral (suppression de phonèmes, lexique de production, compréhension syntaxique) et en MdT phonologique (répétition de chiffres à l’endroit et à l’envers et répétition de pseudomots) obtenus dans cette étude. La qualité faible des représentations phonologiques (tâche de répétition de pseudomots) et le niveau bas de conscience phonologique (tâches métaphonologiques) sont deux facteurs indispensables pour l’apprentissage de la langue écrite (Claeesen et al. 2009). Dans ce contexte, les enfants TnSL ne peuvent que présenter des déficits en lecture et en écriture, et ce malgré l’apprentissage formel des correspondances grapho-phonémiques, plus de 3 ans de scolarisation et des années de rééducation orthophonique.

En résumé, les résultats de cette étude ont mis en évidence que les enfants TnSL présentent des déficits importants sur le plan langagier mais aussi des déficits sévères en MdT phonologique, en lecture et en orthographe. De nombreux chercheurs suggèrent que les déficits en MdT phonologique sont également liés aux déficits dans les capacités non verbales (Archibald & Gathercole, 2007; Bavin et al. 2005; Hick et al. 2005; Parisse & Maillart, 2009, 2010). Notre étude a mis en évidence des déficits sévères en MdT phonologique chez des enfants présentant de faibles capacités non verbales, néanmoins elle ne permet pas de conclure sur cette hypothèse en raison des faibles performances langagières également obtenues. Ainsi, de futures études sont nécessaires pour étudier cette question. De plus, Silva, Williams et McGee (2008), dans une étude de grande échelle, ont démontré que les enfants TSL avec un faible profil d’intelligence non verbale présentaient de difficultés plus importantes en lecture que les enfants TSL sans difficultés non verbales. Catts et al. (2002) défendent que le risque de déficits ultérieurs en langage écrit chez des enfants TnSL est de 1.5 à 2 fois plus important que celui des enfants TSL. L’identification et la prise en charge précoce des enfants TnSL s’avèrent ainsi indispensables pour leur pronostic. Les deux études longitudinales à court terme conduites ici nous ont renseigné sur le profil développemental de deux groupes d’enfants présentant des troubles du langage mais dont le profil était différent. Les groupes d’enfants n’étant pas comparables ni en âge chronologique, ni en profil langagier ni en MdT, nous ne pouvons pas conclure sur les facteurs prédictifs qui les dissocient dans leur pronostic. L’étude comparative qui suivra nous permettra d’appréhender nos connaissances sur cet aspect.