Vers une nouvelle classification des enfants TSL

Compte tenu de l’hétérogénéité importante observée chez les enfants diagnostiqués porteurs des TSL, l’identification et la classification de cette population constituent un défi universellement reconnu et continu tant pour les cliniciens et pour les chercheurs. La première étude (chapitre 3) avait pour but de déterminer les profils langagiers et non verbaux d’enfants francophones qui consultent en Centre de Référence pour les Troubles des Apprentissages et portent le diagnostic des TSL. Cette étude part de la nécessité de connaître les profils verbaux et non verbaux des enfants sur lesquels se basent nos études et il s’agit d’une de classification ‘écologique’ de type épidémiologique. Dans cette tentative de typologie nous avons pris en compte non seulement le profil langagier et la sévérité des troubles langagiers des enfants mais aussi leurs profils cognitifs. L’inclusion de ce dernier aspect (profil non verbal) dans la typologie a été inspirée du travail de Parisse et Maillart (2009). Le postulat de base de ces auteurs est que les troubles précoces en langage oral, même s’ils sont initialement spécifiques ne pourront pas le rester toujours. Le langage a des fonctions cognitives et socioculturelles à remplir. Ainsi un déficit langagier spécifique engendrera des difficultés sur le plan cognitif et social, des difficultés mnésiques, attentionnelles, praxiques et/ou socio-affectives, qui influenceront par la suite le développement des enfants. Par conséquent, le profil langagier doit être associé à d’autres composantes notamment cognitives.

Notre travail a été réalisé à partir d’une base de données construite à partir des données psychométriques issues des évaluations effectuées au sein du service par les professionnels de l’équipe lors de la première consultation de l’enfant. L’échantillon de cette étude est constitué d’enfants diagnostiqués dans le Centre de Référence. Cependant, il est important de remarquer que les enfants qui consultent le plus souvent en Centre de Référence en France sont souvent des enfants qui présentent des troubles cognitifs associés, comme par exemple des déficits importants en mémoire de travail, attention ou autres, et/ou présentant une sévérité importante des troubles langagiers nécessitant l’intervention outre de l’orthophoniste d’autres professionnels (psychologique, neuropsychologue, neuropédiatre etc.) pour une évaluation plus complète ou une orientation scolaire. En France, de nombreux enfants sont diagnostiqués TSL sans passer obligatoirement par un Centre de Référence. Dès lors, l’échantillon de cette étude n’est pas représentatif de la population d’enfants TSL francophones mais plutôt des enfants accueillis en Centre de Référence et diagnostiqués avec des TSL.

En résumé, cette étude a confirmé que les enfants TSL francophones présentent souvent des troubles cognitifs associés aux troubles du langage oral, le plus souvent en mémoire phonologique de travail (MdT). Nos observations ont mis en évidence l’existence de difficultés importantes en MdT et ceci indépendamment du profil langagier spécifique de chaque enfant. Avec une méthode de classification automatique (K-means clustering) sur deux facteurs (lexique en production et en réception) nous avons pu distinguer trois groupes d’enfants (A, B et C), qui se distinguent significativement en profil (le groupe A présente des déficits sur les deux facteurs tandis que le groupe B ne présente des difficultés qu’en lexique de production) et en sévérité des troubles langagiers (le groupe A présente de déficits en lexique en production plus importants que le groupe B). Selon nos analyses ces trois groupes ne se distinguent pas de manière significative lors d’une évaluation psychométrique de l’intelligence. Cependant, ils présentent tous des difficultés importantes en MdT phonologique. Enfin, d’un point de vue qualitatif, nous avons observé que les trois groupes présentent des différences subtiles concernant leurs troubles cognitifs associés, en plus du caractère déficitaire de la MdT phonologique. Plus particulièrement, les enfants présentant un profil ‘mixte’ (groupe A avec difficultés en lexique de production et réception) et une sévérité plus importante que les deux autres groupes, manifestent également des difficultés praxiques. Les enfants présentant un profil ‘expressif’ (groupe B avec difficultés en lexique de production) présentent des difficultés en vitesse de traitement. Ces résultats sont compatibles avec un vaste ensemble d’observations relatives à l’hétérogénéité du profil langagier et des déficits en MdT phonologique qui caractérisent la population d’enfants TSL. A notre avis cette étude, malgré ses nombreuses limites, présente un certain intérêt dans le sens où nous avons montré dans une population francophone l’hétérogénéité des profils langagiers et les déficits en MdT phonologique, aspects établis dans des études anglo-saxonnes (ex. Botting & Conti-Ramsden, 2004 ; Briscoe & Rankin, 2009).

Il est très important de rappeler qu’à contrario de nos intentions initiales, nos analyses portent sur un petit échantillon par rapport à la population originalement étudié (de 208 dossiers à 40 dossiers) et sur un nombre limité de facteurs langagiers. A cause d’un nombre de facteurs liés au fonctionnement des Centres de Référence (ex. grand nombre d’enfants, évaluation WISC couteuse en temps), souvent il est demandé que l’évaluation orthophonique soit effectuée à l’extérieur du service. En conséquence, les évaluations orthophoniques dont nous disposions étant effectuées avec divers tests (ex. ODEDYS, N-EEL, ELO, TCGR-C etc) et souvent n’étant pas complètes (seulement les aspects langagiers jugés pertinents par les orthophonistes pour chaque enfant étant évalués) ou purement qualitatives, nous avons pu introduire dans nos analyses seulement l’évaluation du lexique en production et en réception, aspects communs à tous les participants de cette étude. Ainsi, bien que le service dispose d’une grande base de données, cette dernière s’est avérée malheureusement en grande partie inexploitable du point de vue de la recherche. La mise en place d’un protocole d’évaluation unique des aspects langagiers et cognitifs des enfants TSL en Centre de Référence permettrait une meilleure caractérisation de leur hétérogénéité et une meilleure prise en charge des enfants TSL francophones.

Aujourd’hui, la recherche autour de la pathologie a marqué une progression considérable. D’un point de vue développemental, nous savons que le profil langagier des enfants TSL évolue et change au fil du temps. Botting & Conti-Ramsden (2004) ont mis en évidence des changements notamment dans les capacités phonologiques et lexicales des enfants TSL. Dans le développement langagier atypique des enfants TSL, comme dans le développement typique du langage, les différents aspects langagiers n’évoluent pas de manière linéaire ni homogène. De nombreux travaux apportent des arguments en faveur d’une conception intégrative de l’acquisition du langage (Bassano, 2007) en montrant, par exemple, que l’émergence de la grammaire (au moins de certains aspects) est liée à certains aspects du développement lexical et phonologique. Dans la même perspective, il est très probable que les modifications de profils langagier d’enfants TSL soient dues au développement et aux déficits spécifiques qui auront aussi un impact sur des aspects langagiers non déficitaires, par exemple un déficit morphologique peut apparaître à cause de troubles phonologiques. Outre la nécessité dans les futures classifications de prendre en compte un profil langagier dynamique s’inspirant de la classification de Botting et Conti-Ramsden (ib.), il s’avère important d’inclure également le profil non verbal des enfants, comme dans la classification de Parisse et Maillart (2009, 2010). En effet, de nombreux chercheurs défendent l’idée que l’application du critère des capacités non verbales (QI performance > 85 SS) qui exclut les enfants (TnSL) présentant des capacités non verbales plus faibles (QI performance < 85 SS mais > 70 SS) n’est pas forcement justifiée (Miller et al. 2008, Parisse & Maillart, 2009 ; Tomblin & Zhang, 1999) dans la mesure où le profil langagier et l’efficacité de la rééducation du langage est similaire entre ces deux populations (TSL et TnSL). Les scores faibles dans les capacités non verbales des enfants TnSL pourraient être dus à la persistance de leurs difficultés langagières qui pour certains auteurs résultent à la détérioration du QI, même non verbal (Bishop et al. 2000). Nous allons revenir sur cette distinction entre TSL et TnSL à la suite de cette discussion. Enfin, comme discuté dans la partie théorique et montré aussi dans le cadre de cette étude il est courant que les enfants TSL présentent un certain nombre de troubles associés (par exemple, un déficit attentionnel ou du système exécutif, un trouble de mémoire, etc.). La prise en compte des troubles cognitifs associés est important dans la mesure où ‘certaines combinaisons de critères langagiers et non langagiers pourraient être utilisées comme des marqueurs efficaces pour réaliser des diagnostics différentiels et améliorer le pronostic concernant le développement de l’enfant’ (Parisse & Maillart, ib., p.112).

En rapport avec toutes ses considérations, il nous semble important, du point de vue de la recherche et de la clinique, de réaliser une classification de grande échelle des enfants TSL francophones, inspirée des classifications de Parisse et Maillart (2009) et de Botting et Conti-Ramsden (2004). Il est important de pouvoir évaluer un large échantillon d’enfants TSL francophones sur un protocole (langagier et non verbal) unique et quantitatif dans le but d’appréhender nos connaissances concernant la dynamique de la pathologie (étude longitudinale) et de distinguer des sous-groupes d’enfants présentant des forces et des faiblesses similaires. La réalisation d’une classification à cette échelle exige la collaboration entre différentes équipes de recherche et établissements cliniques français pour atteindre ses objectifs et enrichir nos connaissances sur les troubles du langage chez les enfants dans le but d’établir des plan d’intervention aussi adaptés que possible aux ressources cognitives de chaque enfant TSL.