Les capacités à apprendre des enfants TnSL

Les résultats de la première étude, et notamment l’absence de différences significatives entre les trois profils langagiers distingués lors d’une évaluation psychométrique de l’intelligence avec le WISC-IV, nous ont conduit à chercher d’autres moyens plus pertinents et plus sensibles pour l’évaluation des enfants TSL. Parisse et Maillart (2009) suggèrent qu’une bonne alternative consiste à utiliser le ‘Hiskey Nebrask Test of Learning Attitude’ (HNTLA, Hiskey, 1966, voir 1.6.2), qui pour ces auteurs est particulièrement adapté pour les enfants TSL. Comme évoqué ci-dessus, un certain nombre d’enfants TSL peuvent présenter des scores non verbaux faibles probablement en raison de leurs déficits sévères en langage oral (enfants TnSL). L’absence d’instructions verbales lors de la passation du HNTLA pourrait constituer une bonne alternative pour ces enfants. Hormis cette différence entre le HNTLA et le WISC-IV, tous les deux sont des tests psychométriques classiques, dont le score repose sur ce que l’enfant maitrise déjà au moment de l’évaluation et de ce fait aucun des deux n’offre des indices sur leur potentiel d’apprentissage (PA), autrement dit sur les capacités en devenir des enfants TSL. A l’encontre des tests psychométriques, l’utilisation des tests d’évaluation dynamique des compétences des enfants repose sur une mesure in vivo des compétences acquises. Dans le cadre d’une évaluation dynamique nous avons la possibilité d’observer comment les enfants bénéficient, par exemple, du feedback correcteur donné lors de la phase d’apprentissage. Ainsi, ce que l’on mesure ce sont les changements qui résultent de l’intervention (ex. feedback). Les éventuels changements dans les performances constituent le potentiel d’apprentissage de l’enfant (Gillam & Hoffman, 2004).

Dans cette perspective, nous avons mené une expérience (chapitre 4) auprès d’un groupe d’enfants TnSL dans le but d’étudier leurs capacités à apprendre lors d’une tâche implicite. Certains travaux récents défendent l’idée que les enfants TSL présentent des déficits en apprentissage implicite (voir Evans et al. 2009) et dans les mécanismes généraux d’apprentissage (Gillam & Hoffman, 2004). Le terme d’apprentissage implicite recouvre un ensemble de capacités d’apprentissage (orthographe artificielle, apprentissage statistique, mémoire procédurale etc.). Dans notre cas, nous utilisons le terme implicite pour décrire la tâche proposée dans le sens où l’apprentissage, et notamment le feedback proposé, ne sont pas présentés de façon explicite. Dans le cadre de cette expérience nous nous sommes intéressée à étudier si les enfants TnSL présentent des capacités plus faibles à apprendre et à maintenir l’apprentissage que les enfants au développement normal du langage (DNL) en raison de leurs difficultés verbales et non verbales. Afin de pouvoir conclure sur le rôle du profil non verbal dans les capacités à apprendre des enfants, nous avons comparé les enfants TnSL à un groupe d’enfants avec retard mental léger (RM). Cette expérience a mis en évidence que les enfants TnSL bénéficient de la présence du feedback et maintiennent l’apprentissage acquis (absence de feedback et nouvelle série de stimuli) dans une tâche implicite de détection d’intrus de façon similaire à celle des enfants DNL plus jeunes (appariés en âge de lecture) et ceci dans les quatre types de stimuli proposés (figures géométriques, notes de musique, syllabes et orthographe). Cette observation semble suggérer que les mécanismes généraux d’apprentissage des enfants TnSL sont fonctionnels mais se trouvent en retard par rapport à leur âge chronologique. Des travaux supplémentaires avec la comparaison des enfants TnSL à des enfants DNL de même âge chronologique sont nécessaires pour pouvoir conclure sur les difficultés des enfants TnSL, en raison des scores très élevés (scores plafonds) obtenus dans plusieurs conditions.

Enfin, cette expérience a mis en évidence que les enfants TnSL ne se distinguent pas des enfants avec RM, ni dans leur capacité à bénéficier de la présence du feedback ni dans leur capacité à maintenir l’apprentissage. Ce dernier résultat en particulier semble traduire un décalage dans le profil cognitif entre les enfants TnSL et les enfants RM insuffisant pour mettre en évidence des différences dans leurs capacités à apprendre dans une tâche implicite. Les deux groupes présentent un profil de compétences similaire à celui des enfants DNL plus jeunes. La question que soulève cette observation est la suivante : Est-ce que l’absence de différence significative entre les deux groupes est due à un écart peu important dans leurs capacités non verbales ou est-ce que les enfants TnSL présentent des mécanismes généraux d’apprentissage similaires à ceux des enfants avec RM? Pour étudier cette question, il serait intéressant de comparer les enfants TnSL à des enfants TSL. Si les enfants TnSL présentent des capacités à apprendre similaires à celles des enfants TSL, nous conclurons que les enfants avec troubles du langage, spécifiques ou non spécifiques, présentent des mécanismes généraux d’apprentissage en retard du fait de leurs déficits langagiers. En revanche, si les deux groupes se distinguent, les enfants TSL présentant un profil similaire aux enfants DNL de même âge chronologique, on interprèterait les capacités non verbales faibles des enfants TnSL comme étant non seulement dues à leurs difficultés sévères en langage oral mais aussi aux difficultés dans le traitement des informations et aux mécanismes généraux d’apprentissage moins performants. Le cas échéant il faudrait reconsidérer notre position concernant le continuum entre les deux groupes TSL et TnSL (voir ci-dessus). En résumé, malgré les limites de cette étude (nombreux scores plafonds, absence de mesure des temps de réaction, phase de transfert pas suffisamment longue), les résultats obtenus montrent que les enfants TnSL présentent des capacités à apprendre en retard par rapport à leur âge chronologique.

Les travaux expérimentaux dont nous disposons à ce jour, visant à l’étude des capacités à apprendre des enfants avec troubles du langage sont peu nombreux (pour une revue Hasson & Botting, 2010). De futures recherches ayant le but de développer des tests d’évaluation dynamique, de préférence standardisés, sont indispensables. A notre avis, ces tests pourront compléter les données issues des évaluations psychométriques classiques dans la mesure où ils peuvent offrir des indices plus fins, par exemple, sur les stratégies que les enfants mettent en place pour la résolution d’une certaine épreuve, sur leur capacité à bénéficier d’un feedback ou d’une intervention, sur l’efficacité de leurs capacités sous-jacentes de traitement des informations. Ces informations seraient utiles pour les chercheurs visant à investiguer le profil verbal et non verbal des enfants TSL et des facteurs qui les différencient. Gillam et Hoffman (2004) défendent l’idée que les enfants qui présentent des capacités à apprendre qui ne se distinguent pas de celles des enfants au développement normal du langage ont un meilleur pronostic quant à l’évolution de la pathologie. Ces informations sont fondamentales pour les cliniciens et pour les rééducateurs pour une prise en charge plus efficace en vue aussi du risque important pour des difficultés ultérieures en langage écrit que les enfants TSL présentent (Hasson & Botting, ib.; Hasson & Joffe, 2007)