Les déficits en mémoire de travail sont ils spécifiques ou non au langage ?

Une question importante posée dans ce travail concerne la spécificité des difficultés observées dans la mémoire de travail (MdT) chez des enfants TSL. Plus particulièrement, nous avons cherché à savoir si les déficits sont propres aux informations linguistiques ou pas. Pendant longtemps, la mémoire visuospatiale n’a suscité que peu d’intérêt dans le cadre des troubles du langage, comparée à la mémoire phonologique, avec un grand nombre de travaux expérimentaux confirmant la présence de déficits en mémoire de travail (MdT) phonologique chez les enfants TSL. La formulation de l’hypothèse explicative des capacités limitées de traitement pour les troubles du langage a conduit Archibald et Gathercole (2006b) à défendre l’hypothèse de ‘double jeopardy’ invoquant l’implication de l’administrateur central dans les difficultés mnésiques observées chez les enfants TSL. Pour les défenseurs de l’hypothèse des capacités limitées de traitement la nature du matériel à traiter (verbal ou non verbal) n’est pas importante (Ellis-Weismer, 1996 ; Johnston, 1991, 1994). Dans cette perspective, nous pouvons nous attendre à trouver des difficultés dans le traitement et dans le stockage des informations visuospatiales chez les enfants TSL. En vue du nombre limité d’études dont nous disposons à ce jour, de leurs différences dans les méthodologies employées (ex. tâches de rappel immédiat vs rappel différé, tâches de rappel séquentiel vs rappel simultané) et de leurs résultats contradictoires, nous ne sommes pas en mesure de conclure sur la présence de déficits en MdT visuospatiale chez les enfants TSL. Pour Archibald et Gathercole (2007), par exemple, les difficultés observées en cas de double tâche impliquant un traitement visuospatial et un stockage verbal, font preuve d’un déficit situé dans l’administrateur central du modèle tripartie de Baddeley et Hitch (1974) et non pas dans le calepin visuospatial (lieu spécifique pour le traitement et le stockage des informations visuospatiales). Pour Parisse et Mollier (2008), les difficultés des enfants relèvent du processus d’encodage des informations qui est plus difficile dans le cas d’une présentation séquentielle des stimuli visuospatiaux (ex. blocs de Corsi) que simultanée (ex. tâche des patterns visuels). Enfin, pour Hoffman & Gillam (2004) les enfants TSL présentent des difficultés dans le calepin visuospatial car leurs performances en cas de double tâche visuospatiale (traitement et stockage de stimuli visuospatuax) et verbale (traitement et stockage de stimuli verbaux) ne diffèrent pas.

Dans le cadre de cette expérience, nous avons étudié les compétences des enfants en MdT visuospatiale dans un contexte de capacités non verbales faibles (enfants TnSL). Nous avons utilisé deux tâches expérimentales, une tâche de rappel et une tâche de reconnaissance de stimuli visuospatiaux, impliquant des niveaux d’encodage différents (la tâche de reconnaissance plus facile que la tâche de rappel). Les résultats obtenus dans la tâche de rappel immédiat et libre (l’ordre d’apparition des stimuli n’est pas importante lors de la restitution) ont montré que les enfants TnSL ne se distinguent pas des enfants DNL plus jeunes. La présentation des stimuli dans la tâche de rappel proposée dans notre expérience est simultanée comme dans celle proposée par Hick et al. (2005) ce qui permet un traitement global des informations. Bien que cette tâche soit considérée plus facile qu’une tâche nécessitant un encodage séquentiel des informations visuospatiales (Parisse & Mollier 2008), nos résultats ont mis en évidence des limitations dans le stockage et dans le traitement des informations dans le calepin visuospatial chez des enfants TnSL. Pour la tâche de reconnaissance, nous avons utilisé différentes conditions expérimentales, impliquant des processus d’encodage variant dans le degré de difficulté. Certaines conditions ont nécessité un dénombrement des items (condition identique et condition différent nombre) tandis que d’autres non (condition différent emplacement) impliquant une perception globale. Il a été démontré que les performances en MdT visuospatiale augmentent avec l’âge. Dans cette perspective, les résultats obtenus ont mis en évidence que les enfants TnSL présentent un retard développemental, leurs performances ne se distinguant pas de celles des enfants DNL plus jeunes de 3 ans. De plus, les deux groupes ont présenté des profils similaires dans l’ensemble des conditions indépendamment du degré de difficulté dans le processus d’encodage exigée.

Il serait très intéressant de compléter cette expérience en comparant les enfants TnSL à des enfants TSL afin d’étudier si les deux populations présentent un profil similaire. Le cas échéant, les difficultés des enfants TnSL dans cette tâche refléteront plutôt des limitations de stockage et de traitement liées à leur profil non verbal faible. La comparaison des enfants TnSL à des enfants RM a pourtant mis en évidence une différence significative entre les deux populations appariées en QI verbal, âge de lecture et âge chronologique, probablement due au profil non verbal plus faible des ces derniers. Pickering (2004) évoque quatre mécanismes possibles, qui pourraient être liés au développement de la mémoire visuospatiale : l’évolution des connaissances, des processus stratégiques, la vitesse de traitement et la capacité attentionnelle. Les difficultés des enfants TnSL dans le cadre de notre expérience pourraient ainsi refléter des troubles cognitifs associés au trouble du langage, comme par exemple des difficultés attentionnelles que nous n’avons pas mesurées. La poursuite des études dans ce domaine, étudiant ces différents facteurs affinera assurément nos connaissances. Les données contradictoires de la littérature évoquent aussi la nécessité d’étudier la nature des mécanismes mesurés dans les différentes épreuves proposés (ex. présentation simultanée ou séquentielle des stimuli).