Apprentissage de la langue écrite chez des enfants avec troubles du langage

Dans le cadre de cette thèse nous avons également étudié les capacités des enfants TSL dans l’apprentissage de la langue écrite, et plus particulièrement en lecture de mots isolés ou en contexte, et en orthographe, et les facteurs qui différencient les enfants TSL face à ces épreuves complexes. Le cadre théorique de nos travaux se base sur l’approche psycholinguistique (Stackhouse & Wells, 1997) qui illustre la relation de causalité réciproque entre la conscience phonologique et l’apprentissage de l’écrit. Malgré le grand nombre d’études dans le domaine de l’apprentissage de la lecture auprès des enfants TSL anglo-saxons, en France nous disposons que peu d’études, notamment longitudinales, mise à part celles effectuées par Billard et al. (ex. Billard et al. 2007). Or, il y a une grande nécessité d’études francophones à cause des différences conceptuelles et organisationnelles entre le monde anglo-saxon et francophone se reflétant dans les publications relatives aux TSL. Les critères d’inclusion, par exemple, dans les études francophones sont souvent plus stricts (critère -1.25DS dans les études anglo-saxonnes et -1.65DS dans les études francophones) ce qui pourrait expliquer par ailleurs le nombre plus limité des participants dans les études francophones. Pierart (2004) soutient l’idée que ‘ce ne sont pas tout à fait les mêmes enfants dont on parle’ (p. 8). Comme discuté dans la partie théorique, malgré le grand risque que les enfants TSL éprouvent dans la présentation des déficits en lecture et en orthographe, un certain nombre parmi eux présente des performances en écrit se situent dans la norme. Les études décrites dans le chapitre 6 ont essayé d’étudier cette variabilité.

Dans le but de comprendre les facteurs, langagiers, mnésiques et non verbaux, qui distinguent les enfants à haut risque des enfants à risque minima de présenter de déficits ultérieurs en langage écrit, nous avons réalisé trois études auprès d’enfants TSL présentant différents profils (langagiers et non verbaux) et différents degrés de sévérité. Les deux études longitudinales à court terme, enfants TSL et enfants TnSL, nous ont permis d’étudier le caractère dynamique de la pathologie et ses liens avec les facteurs cognitifs (QIP et MdT phonologique). Les deux populations ne sont pas appariées, cependant dans ces deux études nous avons obtenu deux résultats communs. Le premier concerne les difficultés importantes éprouvées lors d’une tâche de répétition de pseudomots, tâche considérée par la grande majorité des chercheurs comme étant très appropriée pour l’évaluation des compétences dans la MdT phonologique (voir ci-dessous). Le deuxième résultat commun dans ces études, concerne les difficultés majeures des enfants face à des tâches de lecture et d’orthographe. En revanche, le profil développemental en langage oral n’est pas similaire dans les deux études. L’hypothèse d’un effet positif de l’apprentissage des correspondances grapho-phonémiques dans les troubles du langage, inspirée de la relation de causalité réciproque entre ces deux aspects, n’a pas été validée dans les deux études. Les enfants TSL scolarisés dans les premières classes de l’école primaire présentent une amélioration dans les aspects métaphonologiques et lexicaux au cours d’une année scolaire et des difficultés persistantes en compréhension syntaxique et en expression morphosyntaxique. Cette étude a montré qu’à peu près la moitié de l’échantillon réussit bien dans des tâches métaphonologiques, lexicales et morphosyntaxiques sous l’effet de la scolarisation et de la rééducation orthophonique. En revanche, l’étude longitudinale menée auprès d’enfants TnSL a mis en évidence une persistance des troubles langagiers pour l’ensemble de l’échantillon même en début de l’adolescence ainsi que l’absence d’amélioration significative, en métaphonologie et en lexique de réception malgré des nombreuses années de rééducation et de scolarisation.

Les observations expérimentales issues de ces deux études longitudinales nous ont incité à poursuivre une étude comparative dans le but d’étudier les facteurs qui différencient les deux groupes en langage écrit. Les facteurs étudiés sont la sévérité et la persistance des troubles langagiers, les capacités en MdT phonologique et en intelligence non verbale (QIP, échelles de Wechsler). Nous avons comparé un groupe d’enfants TSL à un groupe d’enfants TnSL et un groupe d’enfants ayant un historique des troubles du langage mais qui ne rentrent plus dans la définition des TSL à cause de la récupération des déficits langagiers (TSL-r). Ces derniers ont fait partie d’une étude longitudinale (pendant 20 mois) menée auprès des enfants TSL (Zourou et al sous presse). Lors de la dernière évaluation, lorsque ces enfants étaient âgés de 8 ans, nous avons observé qu’ils ne présentaient plus de difficultés dans les domaines langagiers évalués, la métaphonologie et la morphosyntaxe. L’étude comparative menée dans le cadre de cette thèse a réussi à montrer que 1/ la sévérité des troubles langagiers (enfants TSL > enfants TnSL), 2/ la persistance des troubles langagiers à l’âge scolaire (enfants TSL-r > enfants TnSL), 3/ le profil non verbal (enfants TSL > enfants TnSL) et 4/ le niveau des performances en répétition de pseudomots (enfants TSL > enfants TnSL) se reflètent dans les performances en lecture et en orthographe de mots. Bien que la conscience phonologique en tant que facteur prédictif des compétences en lecture se limite aux enfants DNL, ces quatre facteurs permettent une différenciation des enfants diagnostiqués TSL par rapport à l’apprentissage ultérieur de l’écrite. Nous allons revenir sur ce point à la fin de cette discussion.

A la lumière de ces résultats, plusieurs remarques s’imposent. La première concerne les enfants TSL-r et leurs écarts à la norme importants en orthographe, malgré la récupération de leurs déficits langagiers et des performances dans la norme en lecture. Nous soutenons ainsi, l’idée défendue par Bishop et Clarkson (2003) que le langage écrit est un révélateur des troubles en langage oral. Les traces du déficit précoce en langage oral se manifestant en orthographe mettent en évidence la difficulté des enfants ayant un historique des TSL à généraliser les connaissances acquises en métaphonologie et en morphosyntaxe lors des tâches complexes comme la lecture et l’orthographe. Néanmoins, la dissociation entre le niveau des performances en lecture et en orthographe, n’est pas typique des enfants TSL anglo-saxons qui apprennent à lire une langue opaque en lecture et en écriture. En revanche, le fait que la langue française est une langue beaucoup plus opaque en écriture (correspondances phonèmes-graphèmes) qu’en lecture (correspondances graphèmes-phonèmes) explique pourquoi les enfants TSL francophones éprouvent plus de difficultés en orthographe qu’en lecture de mots isolés (Seymour et al. 2003).

Une deuxième remarque concerne l’inclusion dans nos études des enfants TnSL et des enfants TSL-r. Les critères de la sévérité et de la persistance des troubles langagiers ont été classiquement adoptés pour différencier les troubles graves de développement du langage, persistant au-delà de 6 ans, (trouble structural), des retard simple de langage (trouble fonctionnel) où le développement langagier est en retard, par un rapport au développement typique du langage (Gérard, 1993). La dichotomise entre les retards simples de langage et les TSL a été soutenue majoritairement dans les pays francophones. Pour le courant opposant l’idée d’une dichotomie de type délai ou déviance est rejetée depuis de nombreuses années (Leonard, 1972). Depuis, plus de 10 ans, les chercheurs et les cliniciens francophones commencent davantage à s’accorder avec ce courant. En 1996, Billard et al. parlent des dysphasies utilisant le terme au pluriel. En absence des critères diagnostiques précis et d’étiologies bien définies autour de la pathologie, il est de plus en plus courant de considérer les troubles du langage comme un ensemble de pathologies qui se trouvent dans un continuum et non pas comme une pathologie unique ou des pathologies distinctes (Tomblin & Zhang, 1999) Dans le cadre de cette thèse nous soutenons cette idée, et pour illustrer cela nous avons utilisé le terme TSL au pluriel, comme terme générique couvrant différents niveaux de compétences langagières, qui résultent d’une trajectoire développementale bien dissocié de la trajectoire développementale typique. En effet, nous avons envisagé les enfants TSL-résolus comme présentant des symptômes moins sévères qui se résolvent au cours des premières années de scolarisation et les enfants TnSL comme présentant des symptômes plus sévères en langage oral, s’accompagnant de déficits dans le domaine de l’intelligence non verbale avec un risque majeur de déficits ultérieurs à l’écrit. En d’autres termes, les enfants TnSL sont considérés comme étant dans la limite inférieure du continuum par rapport aux enfants TSL-r. Bishop et Snowling (2004) pour illustrer cette idée ont présenté un modèle bidimensionnel (compétences phonologiques et non phonologiques) pour expliquer les relations entre la dyslexie et les TSL. Par ailleurs, les résultats de notre étude comparative apportent des arguments en faveur de l’idée d’un continuum entre les différents profils d’enfants présentant des troubles sévères en langage oral, dans la mesure où les trois groupes, TSL-r, TSL et TnSL ont présenté des profils en langage oral et écrit quantitativement différents.

Une troisième remarque concerne les marqueurs de la pathologie et l’apport de l’utilisation des tâches de répétition de pseudomots. Bien que l’utilisation des marqueurs comme les compétences en QI non verbal et en répétition de pseudomots, permette de révéler de façon assez précoce le pronostic des enfants TSL, et par conséquent la mise en place des plans d’interventions sera plus efficace, leur utilisation n’est pas suffisante dans le diagnostic différentiel des TSL. En effet, les enfants présentant d’autres pathologies, comme par exemple un retard mental léger, autisme ou ADHD, peuvent présenter des faibles performances sur ces deux aspects. Un marqueur supplémentaire peut constituer l’évaluation des représentations phonologiques des enfants TSL. Très récemment, Claessen et al. (2009) ont proposé l’utilisation des tâches expérimentales évaluant la qualité des représentations phonologiques. Pour ces auteurs, il est important d’étudier non seulement les compétences en conscience phonologique mais aussi la qualité des représentations phonologiques des enfants pour pouvoir prédire les compétences ultérieures des enfants à l’écrit. En effet, les résultats de nos études mettent en évidence que les enfants présentent des déficits en langage écrit, souvent malgré des performances dans la norme dans les tâches métaphonologiques. Les déficits en lecture et en orthographe sont ainsi révélateurs d’une insuffisance de leurs représentations phonologiques. Ce constat révèle en quelque sorte l’insuffisance des tâches classiquement utilisées pour étudier la qualité des représentations phonologiques et la conscience phonologique. Les tâches métaphonologiques classiques telles la suppression et la fusion de phonèmes, et les tâches de répétition de pseudomots, nécessitent une réponse orale. Par conséquent, les difficultés des enfants dans ces types de tâches peuvent refléter des difficultés situées par exemple dans les programmes moteurs du modèle psycholinguistique de Stackhouse et Wells (1997). De plus, les tâches métaphonologiques impliquent également la MdT phonologique, pour le stockage et le traitement des informations verbales, afin de donner la réponse. Dans cette perspective, il s’avère très important par la suite de développer des tâches qui ciblent la qualité des représentations phonologiques en absence de réponse verbale de la part des enfants dans le même esprit que la tâche expérimentale développée par Claessen et al. (ib.).