Conclusion et perspectives

Dans le but d’affiner nos connaissances sur les troubles du langage, spécifiques ou non spécifiques, les différents travaux réalisés dans le cadre de cette thèse ont tenté, à l’aide d’une approche méthodologique variée, d’étudier les caractéristiques langagières et cognitives d’enfants TSL francophones, leurs capacités à apprendre, la spécificité de leurs troubles en mémoire de travail ainsi que leurs profils d’apprentis lecteurs.

A travers la classification ‘écologique’ effectuée, un des aspects importants mis en évidence est une relative insuffisance du WISC-IV, en raison de l’absence de renseignements sur ce que les enfants peuvent apprendre au delà du score dans une batterie psychométrique. Nous avons montré que les enfants présentant des profils langagiers différents ne se différencient pas lors de leur évaluation psychométrique. Grace à une analyse qualitative, il est apparu que les enfants TSL présentent des faiblesses en vitesse de traitement, dans les praxies (constructives et/ou gestuelles) ainsi qu’en mémoire de travail phonologique. Dans cette perspective, il serait intéressant dans de futures recherches, de développer d’autres moyens d’évaluation plus dynamiques permettant d’étudier les capacités à apprendre (potentiel d’apprentissage) des enfants et de spécifier leurs processus cognitifs fonctionnels et déficitaires. Par ailleurs, dans la revue de la littérature, nous avons évoqué le fait que le profil verbal et non verbal des enfants TSL change avec le temps. Les résultats des nos études longitudinales ont renforcé cette idée, montrant des changements développementaux dans le profil langagier des enfants avec troubles du langage, spécifiques (TSL) ou non spécifiques (TnSL). L’appréciation du fonctionnement du système cognitif et de sa dynamique sur le plan développemental permettrait une différenciation plus précise des enfants réunis aujourd’hui sous le même nom générique TSL en fonction de leurs profils spécifiques (classification dynamique). Ainsi, il serait possible de trouver un ensemble de facteurs explicatifs différenciant les enfants qui permettrait de formuler un pronostic de la pathologie et un plan d’intervention plus adapté et plus approprié.

Nos observations nous conduisent à défendre la nécessité d’une actualisation des critères diagnostiques pour étudier la variabilité des enfants avec troubles du langage, sans exclure par exemple des enfants ayant un profil non verbal inférieur à la norme (TnSL). L’existence d’une différence qualitative entre les enfants TnSL et les enfants présentant des compétences non verbales dans la norme (TSL) est remise en cause. La comparaison des performances en écrit (lecture et orthographe) de ces deux groupes d’enfants renforce cette idée, mettant en évidence une différence seulement quantitative entre eux. Les enfants TSL ont présenté des performances supérieures aux enfants TnSL en lecture et en orthographe dues à leurs compétences non verbales et en mémoire de travail phonologiques supérieures. Cependant, les deux groupes d’enfants utilisent le langage dans le versant réceptif et productif de façon similaire. De futures recherches sont nécessaires pour étudier le système cognitif dans sa globalité auprès de ces deux groupes d’enfants, à travers des moyens d’évaluation dynamiques permettant de rendre compte de différences sur leurs capacités à apprendre et à choisir une stratégie, sur la mémoire visuospatiale, etc. Cependant, notre position est que les différences observées quant au pronostic de ces enfants dépendent de leurs capacités de compensation du système cognitif, de l’influence environnementale, de la prise en charge précoce et de la présence d’autres troubles (ex. les déficits en mémoire de travail). Ainsi, les futures études devraient s’orienter vers une considération des troubles du langage dans un continuum et adopter des critères diagnostiques plus optimaux comme des marqueurs psycholinguistiques (ex. les performances en répétition de pseudomots).

A ce propos, nous avons mis en évidence à plusieurs reprises les difficultés importantes que l’ensemble de l’échantillon étudié présente dans la mémoire de travail, notamment lors du stockage et du traitement du matériel verbal. En complément de l’utilisation d’une tâche de répétition de pseudomots classique, des futures recherches devraient développer de nouvelles mesures (ex. tâches expérimentales) permettant une évaluation de la qualité des représentations phonologiques minimisant l’influence de l’input et sans production verbale. Nos travaux ont suggéré que l’évaluation des compétences métaphonologiques à travers des tâches classiques, comme la suppression de phonèmes, ne suffit pas pour expliquer la variabilité des performances face aux épreuves d’évaluation de l’écrit. Certes, avec l’apprentissage de la lecture, la conscience phonologique s’améliore. Mais tant que les habiletés phonologiques s’appuient sur des représentations phonologiques restées imprécises, nous trouverons des séquelles importantes dans des tâches exigeant une manipulation précise des phonèmes. Nos travaux ont montré que les enfants ayant un niveau dans la norme dans les tâches métaphonologiques, présentent des difficultés importantes en lecture et en orthographe. Cette observation d’une part évoque la nécessité de développer des tâches expérimentales pouvant nous renseigner directement sur la qualité des représentations phonologiques, afin d’établir un pronostic sur les compétences ultérieurs face à l’écrit. D’autre part cette observation évoque la nécessité d’agir en utilisant des méthodes différentes pour améliorer la qualité des représentations phonologiques. Améliorer les habiletés phonologiques des enfants avec troubles du langage à travers la prise de conscience des phonèmes et l’apprentissage des correspondances grapho-phonemiques, ne s’avère pas suffisant. Quelques travaux récents suggèrent l’utilisation des méthodes plus spécifiques de communication pour contourner les déficiences phonologiques des enfants TSL (Leybaert, & van Reybroeck, 2004 ; Wijkamp, Gerritsen, Bonder, Haisma & van der Schans, 2010), comme par exemple, la méthode Ledan basée sur des gestes représentant l’alphabet (Dantinne-Lovenfosse, 1993), la méthode Makaton basée en plus des gestes et des signes sur des symboles graphiques pour soutenir la communication (The Makaton Charity, 2008), ou la méthode phonetico-gestuelle Borel-Maisonny où des gestes sont associés à des sons (Borel-Maisonny, 1979). Inspirés des données issues des études menées auprès des enfants sourds ayant appris la Langue Parlé Complété (LPC), Leybaert et van Reybroeck (ib.) ont effectué des travaux auprès des enfants TSL francophones ayant appris la méthode Ledan. Ils ont ainsi démontré que la méthode Ledan permet aux enfants TSL d’exploiter les signaux visuo-kinestésiques et de les mettre en rapport avec le code alphabétique, leurs permettant d’améliorer leurs performances en orthographe. Il est probable que des représentations gestuelles sont stockées pour les mots fréquents. Toutefois, ces représentations ne semblent pas être activées lorsque l’enfant est testé dans une autre modalité (oral ou imagée). Ainsi, il est défendu que l’exposition régulière aux gestes codés ait un effet bénéfique sur le stockage de représentations orthographiques précises. Il est indispensable, dans des recherches futures, d’explorer la possibilité d’utiliser ces méthodes de communication avec les enfants TSL et d’examiner la possibilité pour ces enfants d’exploiter davantage l’information fournie par la lecture labiale.

En résumé, les perspectives ouvertes de notre travail sont dans la recherche des facteurs prédictifs, dans l’amélioration de la qualité des représentations phonologiques et le lien avec l’apprentissage de la langue écrite, capacité fondamentale dans la société moderne, l’évaluation dynamique des domaines préservés sur lesquels peuvent s’appuyer les enfants TSL lors des apprentissages et l’étude des aspects qui différencient les enfants ayant un bon pronostic des enfants dont les difficultés perdurent dans le temps. Apporter des réponses à ces questions permettra la précision de dispositifs d’aide thérapeutiques nécessaires à ces enfants tant sur le plan orthophonique, que cognitif et pédagogique. Ces conditions réunies, il sembleque l’on pourra progresser dans la description destroubles, affiner notre compréhension au plan développemental, proposer des entrainements et des programmes de rééducation plus efficaces.