Première partie
Jeanne d'Arc, de l'histoire à la légende

Premier chapitre
Vérité historique et vérité légendaire

‘[…] Chaque jour apporte une pierre de plus dans la construction de ce monument de gratitude, d'admiration, édifié par la France au caractère qui personnifie le mieux l'héroïsme patriotique et qui couronne par le martyre l'épisode le plus merveilleux de notre histoire comme de toutes les histoires.5

De nos jours, nous sommes encore bien loin de pouvoir donner une image définitive, indubitable et non sujette à des débats de tout ordre de la personne de Jeanne d'Arc. D'autant plus que les recherches historiques se multiplient de siècle en siècle, la figure de la petite bergère de Domremy intéresse de plus en plus historiens, hommes de lettres, religieux et hommes politiques. Qu'ils contestent ou non l'origine et la nature de sa mission, ils s'accordent tous sur le fait que Jeanne est une figure qui a marqué le XVe siècle français, et l'histoire de la France toute entière dans des domaines qui jouent un rôle important et décisif dans la représentation de la France.

Jeanne d'Arc est ainsi présente dans les débats politiques, religieux, philosophiques et littéraires. Au sein de chaque clan – et compte tenu de la mentalité des gens et des orientations de pensée de chaque époque – Jeanne se voit attribuer des rôles ou des faits qu'elle n'a pas assumés ni accomplis. De même, l'accent est parfois mis sur un seul fait ou un seul trait de caractère jusqu'à en effacer les autres et devenir ainsi un symbole du courant de l'époque ou de ceux qui voudraient se l'approprier et accaparer sa mémoire ou, en revanche, de ceux qui la rejettent et contestent l'origine de sa mission.

Au XVIIIe siècle, l'esprit philosophique et le mépris du clergé inspiraient le mépris de Jeanne ainsi que le surnaturel que contient son récit. C'est dans cet état d'esprit que Voltaire a écrit sa Pucelle d'Orléans où il se moque de Jeanne en la traitant de “pauvre idiote” et en contestant sa virginité. Jeanne reste toujours un sujet de débat entre crédules et sceptiques. Le retour aux sources et l'examen des actes des procès de condamnation et de réhabilitation laissent néanmoins la porte ouverte à des questions sans réponses. Au lieu de s'accorder sur une histoire unique et officielle – officielle dans le sens d'une vérité historique incontestable et certifiée –, les historiens ne font que multiplier les versions qui s'accordent parfois sur quelques faits pour en nier d'autres. Ces divergences sont essentiellement dues aux préjugés d'une époque, aux convictions et orientations d'un auteur, d'un parti ou d'un clan.

C'est ainsi que l'histoire de Jeanne dédouble en quelque sorte celle de la France : celui qui veut traiter de l'histoire de la France en matière politique, religieuse, philosophique et littéraire, sera naturellement confronté à la figure de Jeanne d'Arc, à la fois fille et « patronne » de la France. L'étude de l'histoire de Jeanne à travers les siècles, de son vivant jusqu'à nos jours, permet en outre de constituer, à travers les siècles, une histoire de la mentalité du peuple français.

Notes
5.

Pierre Lanéry d'Arc, le livre d'or de Jeanne d'Arc.