Jeanne dans le monde

Ainsi prend fin la légende de la Pucelle ; la ville de Rouen a prononcé le dernier mot ; Jeanne est brûlée vive. Ainsi de même se clôt un épisode important de l'histoire de la France. Pourtant l'histoire de la Pucelle ne s'arrête pas là. La renommée de Jeanne et de ses exploits ont atteint le monde entier. Partout on lui fait ériger des statues, on lui dédie des églises et des centres de recherche afin d'éterniser son souvenir.

Ce n'est qu'un panorama limité aux quelques villes et villages qui ont pu raconter l'histoire de Jeanne. Toutefois la mémoire de la sainte ne se limitera pas à la seule œuvre architecturale ou sculpturale ; depuis son bûcher à Rouen et jusqu'à nos jours, Jeanne n'a pas cessé d'inspirer des poètes, des romanciers, des dramaturges, des compositeurs, etc. Son image, son histoire ont été exploitées par tous les domaines artistiques, politiques et littéraires, ce qui, loin d'épuiser le sujet, en multiplie les aspects. Ainsi, au-delà des recherches historiques entreprises sur ses origines et sur la nature de sa mission, la légende de Jeanne d'Arc a connu plusieurs adaptations dans différents domaines.

Il est évident que, de nos jours, l'image de Jeanne doit beaucoup plus à la légende qu'à l'histoire. Au fil du temps, les œuvres consacrées à cette figure énigmatique se multiplient ; à chaque nouvelle œuvre, une nouvelle image de la Pucelle vient se superposer à celles qui l'ont précédée. La figure de Jeanne se trouve de ce fait enrichie. Néanmoins, elle n'est pas complète puisqu'elle a toujours quelque chose de nouveau à représenter. Mais il ne faut pas entendre par là qu'il lui manque des traits. Non, ce n'est pas d'un manque qu'il s'agit ; l'image de Jeanne a trop d'aspects pour être saisie de près d'un seul coup. Toutefois, la simple évocation de son nom suffit pour tout dire d'elle : sa légende, ses exploits, son bûcher, son martyre sont tous inhérents à la gloire de son nom. Peu importent les recherches historiques à ce propos ; un simple citoyen ne se préoccupe pas du décalage qu'il pourrait y avoir entre la légende et la réalité historique. Jeanne d'Arc représente toujours pour lui cette simple et petite bergère de Domremy que sa renommée a empli le monde. Tout réside dans le fait que Jeanne, en tant que légende, est susceptible d'incarner une multitude d'aspects, de symboles, de convictions et d'orientations même parfois contradictoires. Voilà le mystère de sa légende.

Au XIXe siècle, la querelle des Républicains et des conservateurs Royalistes est un parfait exemple de la diversité d'idées qu'elle peut représenter. D'un côté les Républicains, de l'autre les partisans de la monarchie et l'Église. Le souvenir de l'héroïne se voit transformé en vrai culte au XIXe siècle. D'ailleurs, la découverte de l'importance du Moyen Âge dans la constitution de la « nation » française a contribué à raviver le souvenir de la libératrice de la France grâce à plusieurs facteurs : c'est d'abord la Révolution française et le rôle que le peuple a joué dans la libération du despotisme monarchique. Jeanne est une fille du peuple, elle est une incarnation de sa grandeur, de sa force, de sa liberté et de sa solidarité. Ainsi elle devient le symbole de l'émancipation du peuple, de la lutte contre toute sorte de tyrannie : peu importe la nationalité de l'adversaire ; seul l'acte libérateur compte. Jeanne représente le peuple qui a décidé de prendre son destin en main.

Le mythe de Jeanne d'Arc qui préside à la naissance du patriotisme français se voit renouvelé à l'aube du XIXe siècle. Il est de même à l'origine de la nation française : avec Jeanne et le renouvellement de la tradition historique de son mythe que son acte a inauguré une fois pour toutes – pour devenir ainsi une référence à tout acte de résistance contre les étrangers et les despotes – c'est la volonté libératrice de tout un peuple qui s'affirme.

La perpétuité de la mémoire de Jeanne est d'ailleurs essentiellement due au renouveau des méthodes de recherches historiques relatives à son sujet ; en 1840, la Société de l'histoire de France confie à Jules Quicherat la tâche d'éditer les deux procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc, œuvre qu'il a réalisée entre 1841 et 1849 et qui comporte cinq volumes ‘ in-octavo ’. Le Livre d'or de Jeanne d'Arc de Pierre Lanéry d'Arc, paru en 1894, représente une documentation bibliographique et analytique des œuvres inspirées par Jeanne.

En 1841, Michelet publie le Ve tome de son ‘ Histoire de France ’ qu'il consacre au règne de Charles VII et à l'épopée de Jeanne d'Arc. Ce dernier épisode consacré à la libératrice de la France, Michelet l'a réédité en 1853 dans un ouvrage à part. La représentation de Jeanne par Michelet est assez connue et marque une étape importante dans la réception du personnage de l'héroïne au XIXe siècle : « Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d'une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu'elle a donné pour nous. »17. Qui ne reconnaît pas dans ces termes la célébration de Michelet qui résume d'ailleurs sa vision par rapport à son héroïne préférée ? Jeanne est l'expression du peuple, de ses sentiments, de ses aspirations, de sa solidarité et de son patriotisme. Elle est de même la personnification d'une patrie et l'expression du sentiment national.

Notes
17.

WINOCK, Michel, ‘ Jeanne d'Arc ’, « Les Lieux de mémoire III. Les France,3. De l'archive à l'emblème », sous la direction de Pierre NORA, Paris : Gallimard, 1992, (Coll. Bibliothèque illustrée des histoires), pp. 701-702.