Jeanne au service des intéressés de la cour

Il existe en effet une autre version de l'épopée johannique qui voit en Jeanne une pure invention des intéressés de la cour pour faire sacrer le roi et mieux gouverner derrière lui. Voilà une nouvelle profanation du récit de Jeanne où tout ce qui appartient à la légende se voit ici battu en brèche, où toute situation d'apparition merveilleuse ou surnaturelle est considérée comme camouflage ou mise en scène, pour mieux se servir de la simplicité du peuple, en assimilant le sort d'une simple jeune fille à celui des plus grands héros de l'histoire ; c'est la gloire qui va à la rencontre des plus faibles créatures, c'est le miracle que Dieu a conçu pour le salut de la France qui doit passer par le sacrifice et le martyre d'une jeune fille de dix-neuf ans.

Cette version qui s'est répandue du vivant de Jeanne et qui continue à rencontrer des partisans jusqu'à nos jours prétend rétablir la vraie histoire de Jeanne que la version officielle a faussée. Dans ce cas, Jeanne ne serait pas une bergère, mais la fille bâtarde d'Isabeau de Bavière et du duc Louis d'Orléans. Elle serait, de ce fait, la sœur du futur roi Charles VII dont la légitimité de succession au trône a été longtemps contestée – Charles VII ne serait pas le fils de Charles VI, mais le fruit d'une union illégitime de la reine Isabeau24.

Une des premières mises en scène serait donc de faire passer Jeanne pour une bergère pour rapprocher son cas de celui du Christ afin de donner plus de force à son histoire et s'assurer ainsi de l'ancrage de ce premier trait à caractère merveilleux dans la conscience populaire.

L'épopée de Jeanne serait une invention de la reine Yolande d'Aragon, belle-mère de Charles VII, pour garantir la royauté à son gendre et mieux gouverner derrière lui. Ce serait à elle que reviendrait le soin d'éduquer Jeanne et de la former dans plusieurs domaines pour mener ses desseins à bien25.

En effet, une des objections faite à la légende classique se trouve résolue dans cette version de la légende ; les connaissances militaires d'une simple bergère dont les activités journalières se limitaient à la garde des moutons dans le jardin de son père et à la prière. Est-ce le fruit d'un miracle ? Non ! Jeanne aurait été formée militairement avant de partir sur le champ de bataille accomplir sa mission.

De même, les voix qu'elle aurait entendues s'expliqueraient par des visions qu'elle aurait eues, ou peut-être tout simplement qu'elle n'aurait rien entendu et qu'elle mentait parce qu'on le lui aurait demandé.

Il en est de même du bûcher à Rouen ; ce ne serait pas Jeanne qui a été brûlée sur la place du Vieux Marché : une autre fille l'aurait été à sa place. Jeanne ne serait donc pas morte. En fait, quelques années plus tard, l'apparition d'une certaine dame des Armoises a donné de la force à cette hypothèse. La famille d'Arc avait reconnu que cette dame était bel et bien Jeanne. Ainsi, avec une telle version, l'épopée de Jeanne ne serait qu'une succession de mises en scène imaginées pour tromper la simplicité du peuple crédule.

Notes
24.

LAMY, Michel, ‘ Jeanne d'Arc : Histoire vraie et genèse d'un mythe ’, Paris, Payot, 1987, p. 51.

25.

Ibid ’., pp. 137-140.