Mgr. Dupanloup

Le renouvellement de la réappropriation de Jeanne chez les catholiques au XIXe siècle, le nouvel intérêt porté à sa personne et les tentatives inlassables des Républicains visant la possession de sa mémoire, en refusant toujours à l'Église son accaparement, tous ces événements ont contribué à la marche de l'héroïne vers la sainteté. En 1855, Mgr. Dupanloup, évêque d'Orléans depuis 1849, a prononcé un panégyrique – devenu célèbre pour la postérité, étant une étape décisive dans l'évolution du culte catholique de Jeanne – dans lequel il parlait de Jeanne comme une sainte et soulignait l'aspect providentiel de son histoire qui faisait d'elle un outil envoyé par Dieu pour sauver la France, sa nation préférée. En 1869, lors des fêtes de la Pucelle à Orléans, encouragé par Wallon – avec qui il a eu une correspondance durant l'année 186731 –, Mgr. Dupanloup a prononcé un deuxième panégyrique, dans lequel il proposait la canonisation de Jeanne. Mais le procès informatif diocésain ne s'est ouvert qu'en 1874 ; il a été suivi, en 1894, de l'introduction de la cause de Jeanne d'Arc par Léon XIII où elle est déclarée vénérable. En 1909, l'Église a proclamé Jeanne bienheureuse. Le 16 mai 1920, Jeanne a été canonisée par le pape Benoît XV.

Mgr. Dupanloup était connu pour sa violence dans la lutte contre le monde moderne, la laïcisation de la société et l'impiété croissante du monde. Pour lui, la religion fait partie du quotidien, c'est pourquoi il faut favoriser la pratique religieuse aux hommes pour garantir leur retour à l'Église. Il considérait les fêtes commémoratives de Jeanne comme un instrument favorable à l'Église pour regagner le plus d'âmes possibles. En fait, depuis 1848, la municipalité de la ville d'Orléans avait imposé des taxes sur la procession publique, ce qui avait rétrécit le rôle exercé par l'Église dans ces fêtes. En accord avec le maire de la ville, Mgr. Dupanloup a réussi à restituer les fêtes de Jeanne d'Arc, ce qui a permis à l'Église de regagner son rôle dans la célébration de la délivrance d'Orléans.

Mais le rétablissement des fêtes à Orléans et le projet de la canonisation de Jeanne avaient, pour Mgr. Dupanloup, des connotations politiques : il le disait lui-même dans la lettre adressée au pape, en 1869, pour qu'il veuille bien procéder à l'introduction de la cause de Jeanne en procès de canonisation :

‘J'ose dire, très Saint-Père, que rien ne sera plus populaire en France, et partout, en même temps que cet acte paraîtrait très opportun dans les circonstances présentes, très honorables au Saint-Siège et à l'Église. Si le Saint-Siège […] venait à le reconnaître à son tour, il y aurait là une proclamation éclatante de cette vérité, aujourd'hui si méconnue et si nécessaire à rapporter, que les vertus chrétiennes peuvent s'allier admirablement avec les vertus civiques et patriotiques : ce serait une réponse indirecte, mais puissante, aux accusations que les ennemis de l'Église prétendent tirer des justes condamnations portées par le Saint-Siège contre les erreurs contemporaines. Bien des gens que le malheur des temps a éloignés de l'Église seraient forcés de reconnaître la sainteté chrétienne dans les vertus qu'ils admirent ; et enfin, très Saint-Père, la popularité du Saint-Siège en France, et dans le monde, en grandirait certainement.32

Restituer l'image de l'Église dans le monde en utilisant la mémoire de Jeanne, voilà, en gros, en quoi consistait le projet de canonisation proposé par l'évêque d'Orléans.

Notes
31.

Ibid ’., p. 168.

32.

Ibid ’. pp. 175-176.