Grâce à l'Incarnation, Dieu n'est plus cet être glorieux dans son ciel lointain ; il est Jésus. Il participe à l'univers humain et en connaît tous les secrets. Dans ce monde habité par le Mal et habitué à l'injustice, l'homme ne se sent plus seul. Dieu a compris toutes les faiblesses de la nature humaine, il s'est rapproché de l'homme et a partagé son expérience. Il a de même connu la détresse et l'angoisse, il s'est affolé de la désespérance humaine. Il a désespéré plus que les hommes eux-mêmes en les dépassant dans leur propre malheur. Mais c'est surtout de cet excès de misère que jaillit la Rédemption ; la misère n'est plus une pure expérience humaine ; en la partageant, Jésus a assumé toute la misère humaine ; il l'a consacrée et, en tant que Dieu, il a connu la grandeur humaine.
Face au Mal universel, au dépérissement, à la damnation et à l'injustice humaine, les personnages de Péguy se sentent concernés et impliqués. Ils essaient de trouver un remède au malheur, mais pas une seule fois, ils ne sont tentés de fuir leur condition humaine. Pour sauver les âmes des damnés, Jeanne va jusqu'à invoquer sur elle la damnation éternelle. Même Hauviette qui ne semble pas préoccupée par les malheurs des autres autant que l'est Jeanne, n'a jamais été tentée par l'évasion : elle mène la vie d'une chrétienne de l'espèce ordinaire, elle fait sa prière et s'en remet à la volonté divine :
‘On fait ses deux prières comme on fait ses trois repas. […]. On ne mange pas toute la journée. On ne fait pas sa prière toute la journée.285 ’ ‘Je suis dans la main du bon Dieu. Nous sommes dans la main du bon Dieu, tous, et la terre, entière, est dans la main du bon Dieu.286 ’Pour Péguy, il ne s'agit donc aucunement de fuir sa condition humaine, mais de l'assumer pleinement. Jésus rendu homme a, d'un seul coup, assumé toute la misère de la terre. Et c'est exactement cette misère, cet abaissement de la condition humaine qui fait la grandeur de l'homme, car l'Espérance est un fruit de l'Incarnation ; elle résulte du fait de donner un éternel au temporel, c'est-à-dire, sacraliser tout le décor de la vie.
PÉGUY, Charles, ‘ Le Mystère des Saints Innocents ’, ‘ op. cit. ’, p. 692.
PÉGUY, Charles, ‘ Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc ’, ‘ op., cit ’., p. 374.
‘ Ibid. ’, p. 377.