a) Les effets réels.

Un choc externe positif, en augmentant le niveau du revenu réel et en modifiant l’allocation sectorielle des ressources a d’abord un impact réel plus que monétaire. Dans ce qui suit, nous ferons donc abstraction des considérations monétaires. Seuls les prix relatifs sont déterminés, le prix du secteur manufacturier servant de numéraire.

Un boom sectoriel entraîne, selon la théorie du Dutch Disease, deux principaux effets réels, « effet dépense » et « effet mouvement des ressources », qui vont se manifester sur le marché des biens et sur le marché des facteurs.

  • L’effet dépense.

Suite à un boom dans B, un « effet dépense » se produit si une certaine part du surcroît de revenu de B est dépensée, soit directement par les titulaires, soit par l’Etat. Au niveau de prix relatif initial, le boom va entraîner une augmentation de la demande de biens non-échangeables. Dans ces conditions, si l’élasticité-revenu de la demande pour les biens du secteur des biens non-échangeables (N) est supérieure à l’unité, le prix de ces biens va croître relativement à celui des biens échangeables.

Sur le graphique ci-dessus, l’axe vertical porte PN, prix de N relativement à celui de L, et sur l’axe horizontal figurent les biens non-échangeables. L’effet dépense se lit à travers le glissement de la courbe de demande de D0 à D1, entraînant une augmentation de PN.

L’effet de dépense, lié à l’augmentation du revenu disponible, entraîne ainsi une augmentation de la demande, laquelle induit une appréciation du taux de change réel25. La demande de travail dans le secteur des biens non-échangeables va augmenter et l’offre de travail étant fixe, ce secteur va drainer une partie de la main-d’œuvre de celui des biens échangeables26. Ce dernier voit donc sa production diminuer et son coût du travail en termes de biens échangeables augmenter. Si le secteur des biens échangeables est le secteur manufacturier, alors un choc positif externe induit, à travers l’effet de dépense, une désindustrialisation.

Notons aussi que le supplément de demande de biens échangeables, engendré par l’effet de dépense lorsque ces biens sont « ordinaires », ne peut être satisfait par la production locale. D’où le recours à l’importation ; ce qui entraînera une augmentation des importations nettes de biens échangeables.

  • L’effet mouvement de ressources.

Cet effet apparaît lorsque surgit un boom sectoriel27. A la suite du boom, le produit marginal du travail augmente en B, de sorte qu’à salaire constant en termes de biens échangeables, la demande de main d’œuvre en B croît, d’où un transfert de main d’œuvre de L et N au profit de B. C’est ce que Corden et Neary (1982) appellent « l’effet de déplacement de ressources ». Selon Corden, cet effet comporte deux éléments :

  • Le transfert de main d’œuvre du secteur L au secteur B réduit la production du secteur en retard L. C’est l’effet dit de désindustrialisation directe28.
  • Le transfert de main d’œuvre du secteur N vers le secteur B à taux de change réel constant. L’effet mouvement de ressource a pour conséquence de déplacer la courbe d’offre de S0 en S1 (figure ci-dessus) et donc de créer une demande excédentaire de biens non-échangeables.

Sur le marché des biens, l’effet de déplacement de ressources engendre une diminution de la production des services et de produits manufacturés. Un excès de demande dans les secteurs produisant ces derniers va s’en suivre. Le taux de change réel va s’apprécier pour éliminer l’excès de demande dans le secteur des biens non-échangeables29.

Au plan de la répartition sectorielle, les deux effets (dépense et déplacement de ressources) réduisent les revenus réels du facteur spécifique du secteur non boomier (L)30 ; ce qui, il convient de le rappeler, constitue le problème essentiel du Dutch Disease. Le secteur des biens échangeables voit, dans tous les cas de figure, sa production chuter alors que celle du secteur N peut croître ou décroître31.

Un cas particulier mérite d’être souligné : c’est celui d’un boom pétrolier lorsque le secteur pétrolier n’emploie pas un facteur mobile dans le reste de l’économie, ce qui signifie que ce secteur constitue une enclave pure. Dans ce cas, le seul effet à l’origine du Dutch Disease est « l’effet dépense ». Le mécanisme clé de la réallocation des ressources est l’appréciation réelle : si une partie des revenus de B est affectée à l’achat des biens non-échangeables, le produit de N sera finalement plus élevé qu’antérieurement.

Notes
25.

Il convient de rappeler les définitions respectives du taux de change réel (TCR) et du taux de change effectif réel (TCER). L’indice du taux de change réel (TCR) se définit comme suit :

TCR = (Pi/Pd)(R/R0)

où :

P: indice des prix des biens internationaux (biens échangeables) à l’étranger ;

P: indice des prix domestiques dans le pays considéré ;

R: le taux de change nominal de la période de base ;

R  : le taux de change nominal bilatéral.

Le TCR est un indicateur utile des comparaisons bilatérales de taux de change et de prix. Son inconvénient est qu’il n’englobe pas l’ensemble des relations commerciales d’un pays. C’est pourquoi on définit un indice de taux de change effectif réel (TCER).

TCER = (Pi/Pd).n

Où n est l’indice du taux de change effectif nominal, ce dernier étant la moyenne pondérée des indices de taux de change nominaux.

Lorsque le TCER s’apprécie (c’est-à-dire baisse), cela signifie, en l’absence de variation du taux de change effectif nominal, que les prix domestiques montent plus vite qu’à l’étranger. Ceci équivaut à une perte de compétitivité de l’économie et la balance commerciale se dégrade.

26.

Cependant, l’effet global sur le salaire réel peut être une augmentation ou une diminution selon la part respective des deux types de biens dans la consommation. Plus la part des biens non-échangeables sera grande, plus le salaire réel aura tendance à diminuer suite à un boom de ressources exogènes.

27.

Cet effet a peu de chance de se produire dans le cas d’une aubaine, à moins de considérer que celle-ci va à son tour provoquer un boom dans un secteur productif.

28.

On parle de désindustrialisation directe car le marché des non-échangeables N n’est pas impliqué et ceci ne nécessite pas d’appréciation du taux de change réel.

29.

PL étant fixé au niveau international, l’excès de demande va se traduire par une augmentation des importations.

30.

Autrement dit, la profitabilité du secteur manufacturier (secteur non boomier) diminue de façon absolue. Dans le cas d’une aubaine, n’entraînant qu’un effet dépense, la profitabilité du secteur manufacturier diminue relativement au secteur non-échangeable (Corden et Neary, 1982).

31.

Soulignons que pour Corden, le secteur en retard peut produire à la fois des « exportables » qui ne font pas l’objet d’un boom et des « importables ». Ce secteur ne recouvre pas obligatoirement la seule industrie manufacturière.