1.2.2.2. Conception fondée sur la prédominance de l’Etat et du régime politique.

Dans la lignée de ses travaux consacrés à la question de la hiérarchie institutionnelle, B. Theret (1992) rappelle que la régulation économique est à concevoir comme une mise en cohérence entre les pratiques sociales qui se déploient dans trois ordres distincts : le politique, l’économique et le domestique. C’est dans cette perspective, prône t-il, qu’il convient de  prendre acte de la logique propre du politique comme agent du développement économique39.

En effet, dans la TR, on a souvent tendance à considérer l’Etat comme un simple facteur environnemental et institutionnel du régime d’accumulation.

Pour Marquès-Péreira et Theret (2000), cette banalisation théorique de l’Etat doit être remise en cause. Ils prônent pour cela une approche régulationniste élargie qui pose la prédominance de la logique de l’ordre politique dans la spécificité des déterminations des cinq formes institutionnelles. Les auteurs soulignent en effet qu’excepté la concurrence et le rapport salarial qui sont des formes institutionnelles relevant à priori d'une logique économique, les autres formes institutionnelles intègrent des déterminations immédiates d'ordre politique.

Il en est par exemple ainsi de la monnaie qui est à la fois l'instrument du fisc, du financement public, des finances publiques, unité territoriale de compte et moyen de prélèvement fiscal. Il en est également ainsi du mode d'insertion internationale dont les dimensions d'ordre politique sont aussi importantes que ses dimensions strictement économiques.

Dans leur étude consacrée à une analyse comparative des trajectoires économiques et politiques du Brésil et du Mexique, J. Marquès-Péreira et B. Theret (2000) montrent comment deux formes d’Etat, deux régimes politiques dissemblables, norment différemment chacune de ces grandes formes institutionnelles. L’étude tire des enseignements pour la théorie du développement sous la forme d’hypothèses théoriques concernant les relations entre régimes politiques et régimes (économiques) d’accumulation, hypothèses qui, selon les deux auteurs, sont généralisables à d’autres contextes nationaux.

Dans une perspective analytique, les auteurs distinguent, du point de vue de la régulation sociale, trois grandes formes institutionnelles ou régimes, à travers lesquels la soumission à la logique dominante du politique transparaît nettement.

Le corporatisme est défini comme un mode de contrôle social basé sur l’encadrement durable de la société, centralisé bureaucratiquement dans des organisations nationales, au niveau tant des associations patronales que des syndicats, dont les intérêts sont représentés d’une manière corporatiste, c'est-à-dire en tant qu’intérêts de groupes et non d’individus, dans la prise de décision en matière de politiques publiques.

Au contraire du corporatisme, le clientélisme politique institue une relation directe, sans médiation collective, entre ceux qui personnifient le pouvoir politique et les individus.

Le régime d’accumulation s’appuie ainsi sur des types différenciés de rapport de mobilisation de la population, et donc de la force de travail, et des modes de représentation des intérêts qui présentent des agencements institutionnels particuliers.

Le structuralisme monétaire se distingue par le fait que le régime monétaire est « structurellement de haute inflation », ce qui traduit l’incapacité de l’Etat à maîtriser les conflits redistributifs au sein du rapport salarial clientéliste. Cela témoigne aussi de ce qu’on a fait de nécessité vertu en privilégiant la croissance par rapport à la stabilité monétaire.

A contrario, le monétarisme réside dans le fait que la Banque Centrale joue un rôle limitatif important de l’émission monétaire tant du Trésor que des banques commerciales. Il reflète les modalités corporatistes du rapport salarial, qui permettent, par l’établissement de pactes sociaux, de régler juridiquement et de manière coercitive sans fuite en avant dans l’inflation, les conflits de répartition entre le capital et le travail.

En parallèle, on observe également une opposition concernant les rapports public / privé en matière de financement : contrôle Etatique direct de l’accumulation du capital productif et prédominance du secteur financier privé, au Mexique ; prédominance du capital financier public et une plus large place au secteur privé productif, au Brésil.

Il y a lieu de noter, avec les auteurs, que cette opposition reflète, sur le plan économique, la différence dans les formes de légitimation des régimes politiques : plus grande autonomie décisionnelle d’un côté, nécessité de privilégier une voie économique d’intégration des divers groupes d’intérêts, et donc de manipuler en permanence la redistribution des ressources publiques sous des formes combinées de type patrimonialiste / clientéliste, de l’autre.

En matière de relations internationales, les différences entre les formes institutionnelles de régulation sont liées aux particularités des nationalismes qui prévalent dans chaque pays, et donc aux formes par lesquelles l’idée de nation est mobilisée comme lien social, et non pas seulement au changement ou l’évolution du rôle du secteur exportateur dans l’accumulation.

Notes
39.

Plutôt que de déduire l’Etat de l’économie, comme cela est de tradition dans certaines analyses se réclamant de la TR.