1.3.2. La médiation institutionnelle dans le régime rentier.

De toute évidence, la rente peut être dépensée productivement, c'est-à-dire transformée en formation de capital.

La question est alors de savoir quel rôle devraient jouer les institutions en place dans la conversion de la rente en fonds d'investissement pour financer l'accumulation. La réponse à cette question ne saurait éluder le principe de régulation institutionnelle. En effet, il s'agit de savoir dans quelles conditions la transformation de la rente en capital productif peut-elle être garantie? Et si ces conditions sont réellement réunies, comment faire pour bâtir un processus d'accumulation stable et durable sur une base par nature instable ? (Peguin et Talha, 2001).

Dans le cas du régime rentier, la régulation institutionnelle s'avère de toute évidence une nécessité qui s'impose car l'antagonisme essentiel lié à la rente ne concerne pas seulement sa redistribution entre les rentiers, mais aussi et surtout son partage entre la répartition et la production, la consommation et l'investissement. Un tel antagonisme ne peut être surmonté que grâce à des compromis institutionnalisés dont le rôle est d'en stabiliser, pour un temps, les termes. Ces compromis sont d'autant plus nécessaires que la tension-conflit ressurgit à chaque étape du circuit de la réalisation de la rente, circuit que nous pouvons résumer dans le graphique ci-dessous.

En effet, dans le modèle rentier réel, la circulation de la rente est impossible sans la médiation de la monnaie. La rente n'existe qu'au travers de sa forme monétaire. Ceci confère à la monnaie une place centrale dans le régime rentier.

De plus, la rente est donnée, de prime abord, en monnaie internationale, contrepartie des recettes d'exportation; mais cette monnaie internationale doit être convertie en monnaie nationale pour être appropriée par l'Etat et financer la dépense publique. Ceci implique la définition d’un régime de change qui institue un rapport codifié entre la forme monétaire nationale de la rente et sa forme internationale. Par-delà les questions classiques liées aux modalités techniques de rattachement de l’unité monétaire nationale aux monnaies étrangères, le régime monétaire d’un pays rentier soulève des problèmes particuliers qui nécessitent des médiations institutionnelles spécifiques.

Ainsi, la transformation de la rente de droits d’accès aux biens et services internationaux en droits d’accès aux biens et services nationaux passe par la création monétaire. Celle-ci dépend du montant des réserves de devises fournies par la rente43.

La création monétaire est également contrainte par l’Etat. Le rapport de l’Etat à la monnaie est, dans les régimes rentiers, une question complexe car il y a lieu de distinguer la nature de l’Etat proprement dit et le type de régime politique. Conséquence : l’institution monétaire peut être instrumentalisée par l’Etat dans sa fonction de redistribution de la rente. Ce faisant, la monnaie devient le médium de subordination, de soumission de l’économique au politique.

Enfin, la rente tirée de l'exportation de produits primaires n'est réalisée qu'à travers l'importation. L'importation boucle le circuit de réalisation de la rente et constitue, de ce fait, une ultime modalité de sa réalisation, modalité qui dépend de la configuration institutionnelle du rapport au régime international.

Il apparaît ainsi qu'à chacune des étapes du circuit, les différentes modalités de réalisation de la rente vont s'exprimer dans des configurations institutionnelles spécifiques, liées respectivement à la contrainte monétaire, la forme d'intervention de l'Etat (à travers la dépense publique) et à la forme d'adhésion au régime international.

Notes
43.

On parle à cet égard d’un régime d’ « étalon de change or noir » de fait.