1.3.4. Retour sur la question de la hiérarchie institutionnelle.

Le régime rentier présente une double caractéristique : économie sous-développée, d'un côté, économie tirant l'essentiel de son financement de la rente, de l'autre. Cette dualité conduit à envisager la possibilité d'une double hiérarchie institutionnelle : soumission à l'insertion internationale d'un côté, et prédominance de l'Etat de l'autre.

La prédominance de l'insertion internationale découlerait de la caractérisation même du sous-développement, proposée par la TR, comme résultante de l'absence de la section de production des moyens de production. Ceci entraîne trois conséquences qui sont en rapport direct avec la question des formes institutionnelles propres aux économies sous-développées.

La nécessité d'importer les biens d'équipement apparaît comme la principale contrainte extérieure. Elle multiplie les potentialités de dépendance, et du même coup, donne à la relation au marché international une importance majeure qu'on ne retrouve pas dans les sociétés de type "fordiste", ou "post-fordiste".

Sur un plan méthodologique, il nous semble que cette conception du sous-développement est sujette à critique, d'abord parce que le raisonnement économique qui la sous tend pèche par la confusion qu'il établit entre l'espace des "valeurs d’échange" et l'espace des "valeurs d'usage" ; ensuite, parce que, comme nous le verrons plus loin, une telle définition conduit à une impasse dans la mesure où elle ne permet pas d'expliquer, dans le cadre de la problématique régulationniste, pourquoi, à partir de contraintes majeures communes, certains pays produisent des agencements propices à une sortie du sous-développement, et d'autres non.

En effet, si l'institution dominante qu'on vient d'identifier est commune à l'ensemble des pays sous-développés, puisque le raisonnement est ici d'ordre général, comment expliquer que certains pays parviennent à sortir de la trappe du sous-développement alors que d'autres, au contraire, ne cessent de s'y enfoncer? Même en admettant que, l'institution dominante étant donnée, la hiérarchie entre les institutions varie selon le pays et l'époque, on ne pourrait rechercher la réponse dans la configuration d'ensemble de l'architecture institutionnelle puisque cela ne fait que nous renvoyer à la question première évoquée ci-dessus.

A l'évidence, la définition du sous-développement que donnent certains auteurs se réclamant de la TR ne permet pas à celle-ci d'apporter des réponses à cette vaste question qui renvoie, avant tout, au problème de la genèse et de l'évolution des institutions, ce qui nécessite de s'interroger sur la capacité des sociétés à générer des institutions légitimes et leur aptitude propre à favoriser l'émergence d'une dynamique d'innovation institutionnelle endogène, indépendamment du changement technique.

Dans l'hypothèse d'une prévalence de la logique de l'ordre politique dans la détermination des formes institutionnelles, le mode d'insertion internationale serait, à l'instar du régime monétaire et du rapport salarial, dépendant de la forme politique de l'Etat. Ceci nous amène à distinguer deux types différenciés de gestion de l'insertion extérieure guidés, l'un par la logique corporatiste, l'autre par la logique clientéliste.

Schématiquement, un régime du type clientéliste mettrait en œuvre un nationalisme d'ordre économique, lequel va donner lieu à une forme d'alliance caractérisée par le contrôle stricte du capital étranger par l'Etat; et inversement, un régime de type corporatiste développerait un nationalisme essentiellement d'ordre politique, conduisant à une gestion plus ouverte de l'insertion extérieure aux capitaux étrangers.

Cependant, confronté à la réalité changeante des rapports de force à l'échelle internationale, ce schéma perd de sa pertinence. Même si l'Etat intervient à coup sûr dans le changement, il est en effet difficile, en raisonnant seulement dans l'abstrait, d'estimer l'importance de son rôle.

En résumé, deux positions apparemment divergentes peuvent être distinguées. D'un côté, la définition régulationniste du sous-développement qui postule l'hypothèse de la prévalence du mode d'insertion internationale par rapport à un rapport salarial peu développé. De l'autre côté, l'approche régulationniste élargie qui met en avant la prédominance, dans le régime rentier, du politique, et donc de l'Etat, dans la définition d'une hiérarchie institutionnelle.