Chapitre II : Le projet etatique de développement ou l’héritage volontariste.

Introduction.

L’Etat algérien a entrepris de construire une économie à l’abri (et l’on pourrait ajouter « à l’encontre ») du marché, écrit L. Addi dans « L’impasse du populisme » (1990). L’expérience volontariste-étatiste de développement, qui s’étale jusqu’à la fin des années 80, pose, par-delà les questions, largement débattues du reste, liées au choix du modèle et des priorités sectorielles, le problème fondamental des relations entre l’économique et le politique, problème qui interpelle, souligne L. Addi, la capacité de celui-ci à faire mouvoir le système productif.

L’un des traits marquants de cette expérience est la volonté de l’Etat de combattre politiquement le marché. Economiquement, cela s’est révélé par trop inefficace. Le présent chapitre a pour but de montrer, sommairement, comment, dans les faits, le mécanisme de marché a pris le dessus sur les desseins économiques de l’Etat, et pis encore, comment  l’opposition explicite entre le capital étatique et le capital privé est devenue une alliance implicite à tel point que celui-ci s’est toujours nourri de celui-là.

Nous verrons dans ce qui suit que la volonté de l’Etat de maîtriser les relations économiques se traduit en premier lieu par la manipulation des prix et leur fixation autoritaire, avec ce que cela entraîne comme effets pervers (section 1). La volonté subjective de l’Etat de se substituer au marché se manifeste également par différentes pratiques à l’origine d’une une configuration particulière des formes institutionnelles, configuration qui constitue en définitive ce qu’on appelle mode de régulation.

Après l’examen de la question de la formation des prix62, nous nous intéresserons aux autres formes institutionnelles à travers la caractérisation, en rapport avec la problématique de l’accumulation, de leurs configurations concrètes63 (section 2). Nous essaierons enfin de montrer comment l’ensemble des procédures institutionnelles mises en œuvre finit par pervertir le régime d’accumulation (section 3).

Notes
62.

Question qui renvoie, dans la théorie de la régulation, à la forme institutionnelle caractéristique des économies de marché : la concurrence. La question des prix est traitée à part car elle résume, à elle seule, les spécificités du mode de régulation à l’œuvre dans l’économie. En effet, la manipulation des prix dans une logique administrative est une pratique constitutive de ce que A. Henni (1992) appelle les stratégies centrales globales.

63.

Il y a lieu de veiller à ne pas perdre de vue un principe fondamental de la TR lorsque l’on examine une architecture institutionnelle dans ses configurations concrètes : le principe de complémentarité. La viabilité d’un mode de régulation tient souvent à l’existence de complémentarités entre deux ou plusieurs formes institutionnelles (Boyer, 2004, 44). Nous aurons l’occasion, ultérieurement, de revenir sur la notion de complémentarité lorsque nous traiterons, dans le chapitre IV, de la compatibilité entre configurations institutionnelles.