b) Inefficiences en matière de régulation des échanges.

Outre le « gel » des mécanismes d’allocation optimale des ressources, la manipulation du système de prix dans une logique administrative a pour effet de provoquer un éclatement progressif, mais inexorable, de l’espace économique en un « marché » officiel et un marché parallèle.

L’apparition d’une économie parallèle de distribution est, en effet, étroitement liée aux deux facteurs suivants :

  1. L’existence des prix administrés rigides qui ne permettent pas d’assurer l’équilibre entre la production et la demande solvable ;
  2. L’existence d’une demande solvable supérieure à la valeur administrée de l’offre ou, autrement dit, l’existence de revenus dont l’origine n’est pas une production de biens et services. La source de ce déséquilibre provient donc d’une demande en inadéquation avec l’offre. Ceci veut dire que le système administré des prix des facteurs de la production est, en réalité, à l’origine de ces perturbationsAjoutons à cela que l’organisation sociale du marché des facteurs de la production fait que si un produit manque, il n’est pas possible d’entreprendre immédiatement sa production. La demande de ce produit se trouve d’autant plus importante que les prix des autres produits sont, grâce au système de prix en vigueur, bas..

L’économie parallèle de distribution présente cette caractéristique que, contrairement à l’économie parallèle de production (dite aussi « souterraine ») qui ajoute de la valeur, elle ne consiste qu’en un transfert de valeur entre deux marchés dans une même économie. N’ajoutant aucune valeur, elle se nourrit de rentes spéculatives, favorisées par une émission monétaire sans rapport avec la production.

L’éclatement de l’espace économique en un « marché » officiel et un marché parallèle se manifeste par l’existence de doubles prix : administrés et libres. Ce qui veut dire que l’argent, expression du caractère social homogène de la valeur, se trouve dans un rapport différent aux mêmes marchandises, perdant de ce fait son statut d’équivalent général (Amarouche, 2006).

En effet, l’existence d’un double système de prix fait qu’il n’y a pas d’équivalent général mais unité de compte administrée et unité de compte parallèle : la même marchandise vaut X dans le système administré et (X+nX) dans le système parallèle et la quantité X de monnaie circulant dans le système administré a la même valeur que la quantité (X+nX) circulant dans le système parallèle. Ainsi, une valeur X du signe monétaire émise à travers le circuit administré se trouve reprise par le circuit parallèle et « émise » à une valeur (X/(1+n))69.

En réutilisant à une autre valeur la monnaie émise par la Banque Centrale, l’économie parallèle de distribution va donc fonctionner sur la base de sa propre émission monétaire. Quelle est, dans ces conditions, la valeur de l’unité monétaire ? Est-ce X ou (X/(1+n)) ? Cette question, qui renvoie, à l’évidence, à la capacité du pouvoir d’Etat d’imposer un seul cours forcé à sa monnaie, soulève la difficulté qu’il y a à évaluer les revenus quand ces derniers ne sont pas payés dans la même monnaie. Le problème est que, comme le note A. Henni, «  face à une offre évaluée en valeur sur la base des prix administrés, on ne peut opposer une demande évaluée en revenus administrés. Les revenus nominaux peuvent être égaux à cette valeur mais les revenus réels sont beaucoup plus importants. L’équilibre de la valeur de l’offre et la somme des revenus distribués ne peut être réalisé même si nominalement il existe  » (Henni, 1991, 70).

Une telle proposition permet de dire qu’il ne peut y avoir équilibre entre une offre et une demande que si les revenus sont évalués avec la même monnaie que les prix, autrement dit, que s’il y a « monétarisation générale des revenus ».

Notes
69.

Tout se passe en fait comme s’il existait deux systèmes d’émission : un système officiel administré et un système parallèle. Ce dernier prend les billets émis par la Banque Centrale et les fait circuler de façon autonome.