2.1.4. Statut des prix dans le modèle de développement.

Dans les débats académiques ayant accompagné la formulation de ce qu’on a convenu d’appeler « la stratégie algérienne de développement », la question des prix, en tant que catégorie de l’échange marchand, est souvent abordée en termes de modèle de développement à mettre en œuvre.

En effet, l’Algérie a opté pour un modèle de développement industriel reposant sur la notion de « pôle de croissance ». Comme nous le savons, la finalité d’un tel modèle est le noircissement de la matrice interindustrielle.

Cette approche en termes de « pôle de croissance » part de l’hypothèse selon laquelle la logique du marché et le système de prix reproduisent le sous-développement. Elle préconise donc une démarche qui « contourne » les contraintes imposées par le profit et les prix et ce, en privilégiant la mise en place de flux en valeur, indépendamment du système de prix.

Par-delà l’ambiguïté qui caractérise cette approche, ambiguïté qui consiste à vouloir se dégager du système de prix et de ses contraintes sans pour autant se débarrasser de l’approche implicite par les prix qui sous-tend son discours72, celle-ci se propose de dépasser la logique du développement inégal à travers la mise en œuvre d’une planification appropriée. C’est donc une intervention de l’Etat qui est préconisée, celle-ci devant se traduire par la mise en place de branches industrielles qui n’obéiraient pas à la loi du profit maximum.

Partant de l’idée que la logique du profit dans une branche s’oppose à celle de la maximisation du taux d’accumulation dans l’économie entière, l’approche de F. Perroux remet en cause la structure des taux de profit. Pratiquement, cela reviendrait à identifier les branches susceptibles de jouer un rôle moteur pour l’économie. Ces branches, identifiées, offriraient des externalités positives pour l’ensemble de l’économie, et ce, grâce au transfert de valeur, véhiculé par un système de prix qui ne lui correspondrait que partiellement, auquel elles donneraient lieu.

Reposant sur la notion d’économie externe et sur la distinction entre l’espace de prix et l’espace de valeur, cette approche perd de sa consistance lorsqu’elle s’applique à un ensemble économique en construction, où tout l’environnement à créer est susceptible de s’ériger en goulot d’étranglement. Dans ce contexte, en effet, il est difficile, sinon impossible, de fixer des critères sur la base desquels le planificateur déciderait que telle branche ou tel secteur peut constituer des économies externes pour le reste de l’économie.

La programmation d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises, susceptible de constituer des économies externes pour d’autres entreprises pose, par ailleurs, deux problèmes majeurs : le premier réside dans l’identification des branches pouvant jouer le rôle d’économie externe. Cette identification n’est pas aisée car la notion (d’économie externe) n’est pas opératoire (Addi, 1990, 179). Le second problème renvoie à la question du financement de l’entreprise déficitaire jugée économie externe. Il est en effet impossible de généraliser la notion d’économie externe dont le mécanisme ne peut fonctionner que pour une branche ou un ensemble de branches et non pour l’ensemble de l’économie (Addi, 1990, 179).

Par rapport à la logique de rendement sur laquelle repose l’idée de production, il semble, à la lumière de ce qui précède, qu’il est illusoire d’appréhender la pratique économique de l’Etat en Algérie sans que le raisonnement économique ne déborde le cadre qui est le sien. La logique économique étant une logique de reproduction, un investissement quelconque qui, à moyen ou à long terme, ne se reproduit pas est, en effet, un investissement qui n’avait pas de raison d’être à l’origine.

Ceci nous amène à conclure que si dans les économies de marché, une rationalité du déficit est à l’œuvre, celle-ci n’est cependant pas de même nature que la rationalité du déficit dans une économie comme celle de l’Algérie. En effet, tandis que la première est d’essence économique, la seconde, elle, est essentiellement d’ordre politique.

Notes
72.

Cette ambiguïté provient, en fait, de la confusion entre système de prix et structure des taux de profit. Dans la page 178 de L’impasse du populisme, L. Addi (1990) en fournit une illustration édifiante.