3.1.1. Liberté des prix et institutionnalisation de la concurrence.

Dans le chapitre 3 consacré à l’exposé de l’héritage volontariste, nous avons considéré la manipulation des prix dans une logique administrative comme l’expression première du volontarisme économique en tant que mode de régulation. Il nous semble par conséquent naturel de commencer par l’institution « formes de la concurrence »101 pour identifier les changements institutionnels qui ont lieu depuis le début des années 90.

Dictée par l’accentuation de la contrainte extérieure suite à la chute des prix du pétrole en 1986, la réforme des prix, entreprise avec l’adoption, en 1989, d’un nouveau cadre réglementaire102, annonce une rupture avec la logique administrative qui a toujours guidé la politique des prix en Algérie103. Cette rupture s’est traduite dans les faits par un processus accéléré d’ajustement des prix à tous les stades de leur formation104.

La libéralisation des prix a donné lieu à un mouvement d’alignement progressif des prix officiels sur ceux en vigueur sur le marché parallèle ; le but implicite d’un tel ajustement étant la récupération, au profit de certaines entreprises du secteur public, des rentes spéculatives réalisées auparavant par le secteur informel105.

Pour les entreprises publiques, confrontées à d’importants déficits structurels et à une raréfaction en matière de financement, ces ajustements de prix obéissent, très souvent, à la nécessité de couvrir les coûts de production et d’assurer un équilibre relatif.

L’absence de concurrence met cependant ces entreprises à l’abri de toute forme de pression en vue de maîtriser les coûts de production et donc des prix. Tout se passe comme si le nouveau système de prix substitue aux rentes spéculatives réalisées sur le marché informel des rentes de monopole.

Faute d’entraîner une relance de la production et de l’investissement dans le secteur public, les revenus supplémentaires tirés des ajustements de prix serviront, à la faveur d’une « autonomie de gestion », à financer des augmentations de salaires ; augmentations qui, très souvent, ne correspondent pas à une croissance de la productivité.

Mais, s’il en est ainsi, c’est parce que, telle que conçue et mise en œuvre, la réforme des prix élude une question essentielle : celle des coûts de production. Celle-ci constitue, quelle que soit l’optique d’analyse considérée, un élément essentiel dans la formation des prix106.

En effet, la segmentation de l’économie en monopoles de branche fait que le prix fixé pour un bien peut s’accommoder de n’importe quel volume de production, et donc de coût.

Outre qu’elle contrarie, en maintenant inélastique l’offre, le rôle régulateur des prix, la segmentation de l’économie en monopôles de branche se traduit par la persistance de rentes s’exprimant sous forme de productivités marginales positives.

Il va sans dire que la libéralisation des prix a eu pour effet immédiat une compression drastique de la demande dans un contexte caractérisé par une rigidité des structures de l’offre107.

L’absence de structures économiques concurrentielles semble donc être le principal obstacle sur lequel bute la réforme des prix. Or, comme le note A. Benachenhou (1999), la mise en place de ces structures concurrentielles est plus facile à légiférer qu’à traduire dans les faits.

Ainsi, même si une loi sur la concurrence est adoptée108, sa mise en œuvre demeure problématique en raison du phénomène de concentration économique109.

Notes
101.

Rappelons que par «forme de la concurrence », il faut entendre le processus de formation des prix qui correspond à une configuration-type des relations entre les participants au marché. Dans la théorie de la régulation (TR), la forme de la concurrence indique, d’une façon générale, comment s’organisent les relations entre un ensemble de centres d’accumulation fractionnés dont les décisions sont à priori indépendantes les unes des autres (Boyer, 2004, 39). Pour la TR, l’analyse des formes de la concurrence devrait s’attacher à expliciter les logiques qui président à la formation des prix et des profits.

102.

Loi n° 89-12 du 05 juillet 1989, relative aux prix. Tout en consacrant le principe de la liberté des prix, cette loi n’en prévoit pas moins la possibilité d’une régulation par les prix puisqu’elle institue un régime de prix réglementés, à travers des mécanismes de garantie (des prix ou des marges) et de plafonnement (des prix ou des marges). En principe, la garantie est destinée à fournir un encouragement, une protection ou une stimulation à certaines activités alors que le plafonnement est appliqué aux biens et services qui font l’objet d’une préférence économique ou sociale de l’Etat.

103.

La manipulation, dans une optique volontariste, du système de prix était, il convient de le rappeler, étroitement liée à la disponibilité d’un surplus pétrolier interne.

104.

Il convient de remarquer que ce processus d’ajustement intervient dans des conditions marquées par la dépréciation de la monnaie nationale. Rien qu’en 1991, celle-ci a fait l’objet d’une dévaluation de près de 97%. Résultat : de 1989 à 1994, les prix à la consommation ont globalement triplé tandis que les prix à la production industrielle ont connu des hausses considérables (67% en 1991, 30% en 1992).

105.

Selon des chiffres avancés par le directeur de la concurrence et des prix lors d’une conférence de presse, les rentes ainsi récupérées sont estimées à 11 milliards de DA en 1990, 16 milliards en 1991 et 20 milliards en 1992. Voir le quotidien « L’OPINION » n° 539 du 28 avril 1994.

106.

Rappelons que, dans la théorie microéconomique, la production optimale correspond au point d’intersection de la courbe du coût marginal et du prix sur le marché. L’entreprise fixe sa production au niveau qui égalise le coût marginal et la recette marginale.

107.

Dans ces conditions, toute action qui viserait à accroître la demande serait, en outre, inefficiente.

108.

Ordonnance de 1995. Celle-ci consacre le principe de la liberté des prix et définit aussi les règles de la concurrence et interdit les positions dominantes et monopolistes.

109.

Quelques chiffres pour illustrer le phénomène de concentration : en 1990, au sein du secteur industriel, 110 entreprises concentrent 78 % de l’emploi industriel total et 70.5 % de la valeur ajoutée, tandis qu’à l’autre extrême, 20550 entreprises de moins de 10 salariés occupent 7 % des travailleurs et réalisent 20 % de la valeur ajoutée. 40 des 51 branches industrielles possèdent des coefficients de concentration de 100 % (Benachenhou, 1999).