3.1.4. Le Budget :

Comme dans les années 70 et 80, le budget de l’Etat continue de constituer, dans le fonctionnement d’ensemble de l’économie, le point d’articulation entre le secteur des hydrocarbures et le reste de l’économie, non seulement parce que celui-ci demeure essentiellement alimenté par la fiscalité pétrolière, mais aussi parce que c’est toujours par le biais de ce budget que circule l’essentiel de la rente pétrolière, bien que certaines modalités de circulation aient quelque peu changé.

En termes de PIB, les recettes de l’Etat sont passées de 27,5 % en 1993 à 38, 4 % en 2003 et 37 % en 2004, ce qui illustre le poids de la sphère budgétaire dans l’économie.

Structurellement, le budget de l’Etat reste fortement dépendant des prix des hydrocarbures sur le marché mondial. Par le biais de la fiscalité pétrolière, une hausse des prix des hydrocarbures accroît automatiquement les recettes budgétaires alors qu’à l’inverse, une baisse de ces prix réduit mécaniquement les recettes budgétaires.

Ainsi, depuis 1994, la fiscalité pétrolière a vu son poids croître dans les recettes de l’Etat, en raison de la dévaluation137, de la hausse en volume des exportations d’hydrocarbures et du relèvement du prix du baril de pétrole.

Fondamentalement, la structure budgétaire reste donc marquée par le poids de la fiscalité pétrolière, comme le montrent les données du tableau ci-dessous.

Tableau n° 3.6 : Recettes budgétaires 1993-2008 (en milliards de DA).
Années 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Recettes budgétaires
313

434

600

822

926

774

950
Fiscalité
pétrolière

179

222

336

496

564

378

560
Part de la fisc. pét. (en %)
57

51

56

60

61

49

59

(Suite tableau 3.6)

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

1577

1505

1603

1966

2229

3083

3578

3849

5111

1173

956

942

1285

1570

2353

2683

3002

4003

74

63

68

70

71

78

75

78

78

Source : ONS.

On remarque qu’en 2000, la fiscalité pétrolière fournit à l’Etat près de 75 % de ses ressources, contre 57 % en 1993. En 2008, la part de la fiscalité pétrolière dans les recettes totales est de 78 %. Ces chiffres expriment on ne peut mieux la nature économique rentière de l’Etat.

Notons aussi que si la fiscalité pétrolière est sensible aux fluctuations des prix des hydrocarbures sur le marché international, son montant dépend aussi, parce que les recettes sont libellées en dinars, du taux de change de la monnaie138.

Quant à la fiscalité ordinaire, sa contribution relative aux recettes de l’Etat ne cesse de diminuer. Elle ne représente, en 2000, que 9.1 % du PIB, soit un peu moins que ce qui est requis pour le paiement des traitements et salaires de la fonction publique. En 2007, la fiscalité ordinaire couvre à peine 53 % des dépenses courantes139. Par ailleurs, il convient de noter que les impôts sur les revenus du capital et du travail sont bas. En 2007, ils constituent moins du tiers des recettes fiscales ordinaires et moins de 6 % des recettes totales.

Notons enfin que, sur le plan de la législation, la fiscalité a fait l’objet d’une réforme, entamée en 1991, avec la réforme de l’impôt sur le revenu et l’introduction de la TVA. Les activités agricoles continuent cependant d’échapper à l’impôt et les revenus industriels et commerciaux échappent en partie à la fiscalité.

Le boom pétrolier survenu en 2000 a induit une situation nouvelle sur le plan de la disponibilité des ressources budgétaires. Depuis 2000, celles-ci ont en effet plus que doublé, pour atteindre 3512 milliards de dinars fin 2006140. Afin de mieux gérer ce cycle de la rente pétrolière en prévenant les effets de la volatilité du prix du baril, un fonds de régulation des recettes est institué en 2000. Ce fonds, destiné à recevoir les plus value de la fiscalité pétrolière141, a reçu des montants considérables (voir tableau n° 3.7).

Tableau n° 3.7 : Evolution du Fonds de Régulation des recettes. (En milliards de DA)
  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2008
Recettes :
Plus values sur la fisc. Pétrolière

453.2

123.9

26.5

448.9

721.7

1842

-
Dépenses :
Principal de la dette publique

221.1

184.4

170.0

156.0

222.7

699.6

-
Solde annuel 232.1 -61.1 -143.5 292.9 499 1142.4 835,9
Solde cumulé 232 171.5 27.9 320.8 819 1961.4 4280

Source : Ministère des Finances.

Le solde cumulé du Fonds de Régulation des Recettes (FRR) a atteint, en juin 2007, 3195 milliards de DA, soit l’équivalent de 45 milliards de $. En termes de PIB, ce solde est passé de 5.7 % en 2000 à 26 % en 2005, pour atteindre 35 % en 2006. A fin 2008, ces réserves s’élèvent à plus de 4200 milliards de DA, soit 03 années de dépenses d’équipement au rythme de 2007 (Benachenhou, 2009).

Les ressources du Fonds sont destinées exclusivement à compenser les moins values résultant d’un niveau de recettes d’hydrocarbures inférieures aux prévisions des lois de finances ainsi qu’à la réduction de la dette extérieure142.

Du côté des dépenses budgétaires, plusieurs faits méritent d’être signalés.

En premier lieu, une certaine retenue dans les dépenses d’équipement durant les années 90, années marquées par la mise en œuvre du PAS. Durant cette période, les dépenses d’équipement semblent avoir tenu lieu de variable d’ajustement pour amortir les effets des variations subites des recettes de la fiscalité pétrolière.

Tableau n° 3.8 : Dépenses budgétaires 1993-2008. (En milliards de DA).
  1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Dépenses 390 461 589 724 845 876 961
Fonctionnement 289 344 444 550 643 664 774
Equipement* 101 117 144 174 201 211 186

(Suite tableau n° 3.8)

  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Dépenses 1178 1321 1550 1752 1860 2105 2543 3092 4175
Fonctionnement 856 963 1097 1199 1241 1232 1452 1672 2227
Equipement 321 357 452 553 619 873 1091 1420 1948

Source : Ministère des Finances et Banque d’Algérie.
: Non compris les transferts de capital vers les entreprises publiques (ces transferts sont inclus dans la rubrique « opération en capital » du budget d’investissement.

Avec le retournement de la conjoncture pétrolière à partir de 2000 et la forte augmentation des recettes qui s’en est suivie, un infléchissement de la politique budgétaire a eu lieu. Le choix de relancer l’économie par le levier budgétaire s’est imposé. Cela s’est traduit par l’accroissement substantiel des dépenses d’équipement. Ainsi, 7 milliards de $ pour la période 2001-2004 sont annoncés pour être mobilisés dans le cadre d’un « programme de soutien à la relance économique » ; un autre programme, nettement plus important, a suivi, pour la période 2005-2009. Son montant est estimé à plus de 120 milliards de $. Le lancement de vastes programmes d’investissement public a fait que, en pourcentage du total des dépenses budgétaires, les dépenses en capital sont passées de 27 % en 2000 à 44 % en 2007.

Rapportées au PIB, les dépenses d’investissement public (dépenses d’équipement) enregistrent une évolution qui confirme les tendances décrites ci-dessus (voir tableau ci-dessous).

Tableau n° 3.9 : Evolution des dépenses d’investissement public (En % du PIB).
Années 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Invest. Public/PIB
7.3

6.8

7.3

7.5

5.8

7.8

8.4

10.0

10.8

10.5

11.7

Source : Ministère des Finances.

Par secteurs d’activité, l’évolution des dépenses d’investissement public montre un intérêt de plus en plus marqué pour les secteurs de l’agriculture, les infrastructures économiques et administratives, l’éducation et le logement143 et un délaissement manifeste pour celui de l’industrie144.

En second lieu, le secteur public économique continue toujours de constituer une charge très lourde pour le budget de l’Etat qui supporte constamment les pertes des entreprises déficitaires145. Les déficits des entreprises publiques alourdissent les portefeuilles des banques, elles-mêmes publiques, obligeant le Trésor public à recapitaliser périodiquement ces dernières146.

En troisième lieu, le budget de l’Etat continue de prendre en charge de lourdes dépenses sociales, à travers notamment le soutien des prix des produits de large consommation, le financement de la santé et le paiement des pensions et rentes. En 2007, les transferts à partir du budget de l’Etat ont atteint 660 milliards de DA, soit plus de 7 % du PIB (Benachenhou, 2009). Et l’expérience récente, comme l’expérience passée, montre qu’en période budgétaire faste, l’Etat est tenté par des solutions de facilité qui produisent une paix sociale immédiate.

La prise en charge de la forte demande sociale par le recours au financement public pose par ailleurs la question de la « soutenabilité » du budget puisque, en l’occurrence, le financement des dépenses budgétaires courantes est loin d’être assuré par des ressources pérennes, c'est-à-dire moins dépendantes de la fiscalité pétrolière. De ce point de vue, la situation qui a prévalu ces dernières années ne semble guère reluisante et les données du tableau ci-dessous illustrent on ne peut mieux la gravité du problème et l’extrême dépendance du budget envers les recettes de la fiscalité pétrolière.

Tableau n° 3.10 : Recettes et dépenses courantes 1993-2008. (En milliards de DA)
  1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
RC 134 212 264 326 361 396 390
DC 289 344 444 550 643 664 774
TC (%) 46 61 59 59 56 59 50

(Suite tableau n° 3.10)

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
404 549 660 681 737 820 919 963 1022
856 963 1097 1199 1241 1232 1452 1672 2227
47 57 60 56 59 66 63 58 46

Source : ONS et Banque d’Algérie.
RC = recettes non pétrolières ; DC = dépenses de fonctionnement (courantes) ; TC = taux de couverture des dépenses courantes par les recettes courantes.

Enfin, dans un régime où l’essentiel des ressources budgétaires provient de la rente pétrolière, l’Etat est fatalement confronté, à travers les compromis budgétaires, aux deux impératifs classiques : l’impératif économique de financement de l’accumulation et l’impératif politique de redistribution. La question est alors de savoir lequel des deux impératifs a prévalu dans la dynamique budgétaire de ces deux dernières décennies. La réponse à cette question n’est pas évidente parce que la nature du compromis institutionnalisé demeure, à l’image de la rente, ambiguë. En théorie, ce balancement entre les deux impératifs se résout en fonction du degré d’intensité de l’impératif de légitimation du régime politique en place d’un côté, et du degré de la capacité de ce régime à contrôler et à mobiliser la société, de l’autre (Marquès-Pereira et Theret, 2000). En réalité, les choses semblent s’être déroulées différemment. En effet, durant la décennie 90, et alors que la situation politique nécessitait logiquement la mise en avant de l’impératif de redistribution, c’est l’impératif économique de l’ajustement qui l’emportait sur le reste, sans doute en raison des contraintes externes auxquelles le pays était confronté. Ces dernières étant levées à partir de 2000 à la faveur de la reprise des cours du brut, les deux impératifs se sont retrouvés en « compétition », avec cependant un net avantage pour le financement de l’accumulation, puisque dans la répartition de la dépense publique, les dépenses de capital (d’équipement plus précisément) ont crû plus rapidement que les dépenses courantes.

Notes
137.

Entre 1994 et 2000, la dévaluation du dinar a eu pour effet, toutes choses égales par ailleurs, de doubler les recettes de l’Etat (Benabdellah, 2008).

138.

Ceci explique par exemple pourquoi, en 1994, la fiscalité pétrolière a augmenté alors les prix du pétrole ont diminué.

139.

Il s’agit là d’un chiffre moyen puisqu’en fait, de 2000 à 2008, la part de la fiscalité ordinaire dans les dépenses courantes oscille entre 50 et 60%. En 2008, les recettes hors hydrocarbures ne représentent que 20 % du total des recettes budgétaires. Elles ne financent que 24,5 % des dépenses totales et ne couvrent ni les dépenses courantes, (dont elles ne représentent que 45 %), ni même le poste le plus important de ces dépenses représenté par les transferts courants.

140.

Sauf contre indication, les montants en dinars sont donnés en termes courants.

141.

Le fonds reçoit la différence entre les recettes réelles et celles valorisées, en 2000, au prix de 19 $ le baril. Ce prix de référence servira de base à l’élaboration du budget jusqu’en 2007, année où il passe à 37 $.

142.

En 2006, un assouplissement est introduit dans l’utilisation des ressources du Fonds, autorisant le financement direct du déficit du budget non pétrolier.

143.

Selon les chiffres du ministère des Finances, l’ensemble de ces secteurs reçoit, à partir de 1998, plus des 2/3 des dépenses d’investissement public.

144.

De 1990 à 2004, la part de l’industrie dans l’ensemble des dépenses d’investissement public est passée de 7 % à 0 %.

145.

A noter que depuis 1987 le budget de l’Etat ne prend plus directement en charge les investissements productifs.

146.

Depuis 2005, les dotations de l’Etat aux entreprises publiques déficitaires sont inscrites dans la loi de finances. Auparavant, ces dotations sont accordées par le biais du rachat par le Trésor public des découverts bancaires de ces entreprises.