Pour la TR, les modalités d’insertion de l’Etat-nation dans l’économie internationale constituent une forme institutionnelle dont il convient de tenir compte. D’une façon générale, la forme d’adhésion au régime international se définit comme l’ensemble des règles qui organisent les relations entre l’Etat-nation et le reste du monde, notamment en matière d’échanges de marchandises et de localisation des productions (via l’investissement direct) ou de financement des flux et soldes extérieurs (Boyer, 2004, 39).
Il y a lieu de noter à ce propos que les relations de l’Etat-nation avec le reste du monde résultent de choix politiques147. Ainsi, l’Etat-nation peut décider du choix d’un régime commercial à travers le contrôle des diverses composantes des tarifs douaniers, définir les modalités d’accueil de l’investissement direct, fixer des règles en matière d’investissement de portefeuille, choisir un régime de change, … autant d’options qui définissent la modalité d’insertion internationale, et qui s’introduisent en vue de gérer les relations avec le reste du monde. Ces institutions sont transformées et redéfinies mais ne sont pas détruites par le processus d’internationalisation auquel nous assistons ces dernières années (Boyer, 2004).
Ce rappel nous conduit donc à évoquer dans l’exposé qui suit l’évolution notable qui a lieu dans la codification des composantes liées au mode d’insertion internationale de l’économie algérienne.
Au regard de la position extérieure qui prévaut encore de nos jours en Algérie, l’on est fondé à dire que le pays peine véritablement à trouver un antidote à l’ « intoxication pétrolière » dont il est victime depuis le début des années 70 et dont on a évoqué les traits essentiels dans le chapitre II. Quelques éléments permettent cependant de souligner que comparativement à la situation antérieure, le pays a pu consolider certains paramètres fondamentaux dans sa relation avec l’extérieur.
Une ouverture au pas de charge.
Par rapport à la situation qui a prévalu durant la phase étatiste, où l’économie nationale était mise à l’abri de la concurrence internationale, la décennie 90 sera caractérisée par l’amorce d’un processus rapide et brusque d’ouverture extérieure, souvent le fait de pressions externes. Dès 1991, le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur fut supprimé. Cette ouverture fut renforcée dans le cadre des accords sur le rééchelonnement de la dette extérieure (1994-1998), contraignant le pays à une libéralisation poussée de son commerce extérieur. Pour d’aucuns, l’ouverture commerciale est le domaine où sans doute le changement est allé le plus loin. Ainsi, furent institués :
Ces formes très ouvertes de l’insertion internationale ont fini par rendre l’espace national de moins en moins protégé. Résultat du processus : en 2007, l’Algérie se retrouve parmi les pays qui protègent le moins leur industrie : 9 % de droits de douane en moyenne alors qu’ils sont autour de 15 % dans les pays voisins et de 22 % en Egypte149.
Par ailleurs, les effets de l’intoxication pétrolière sur la structure des exportations sont toujours présents et encore plus manifestes, comme le montrent les données du tableau ci-dessous.
1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 |
96.7 | 94.8 | 93.4 | 96.3 | 96.1 | 96.7 | 97.1 | 97.1 | 96.7 | 98.0 | 97.9 | 98.3 | 98.0 |
Source : ONS.
Ces données montrent on ne peut mieux que le secteur des hydrocarbures demeure le vecteur essentiel de l’insertion internationale de l’économie algérienne, tendance que la politique de libéralisation a, selon toute apparence, accentuée150.
Pendant que se maintient la prédominance des hydrocarbures dans la structure des exportations, l’ouverture commerciale va stimuler de façon inconsidérée les importations, puisque ces dernières passent, en l’espace de cinq (05) ans (2003-2008), de 13 milliards de $ à plus de 28 milliards de $.
La libéralisation externe qui a commencé au début des années 90 est intervenue dans un contexte difficile, caractérisé par l’aggravation des problèmes de la balance des paiements et de la dette extérieure. Le rééchelonnement de cette dernière, appuyé par un plan d’ajustement structurel de quatre (04) ans (1994-1998) avec le FMI a permis de desserrer, moyennant un coût social considérable, la contrainte extérieure151. Avec le retour d’une conjoncture favorable sur le marché pétrolier mondial à partir de 1999, le pays consolide sa position extérieure (voir tableau ci-dessous).
1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | |
Réserves de change (Mds $)* |
4.2 |
8.0 |
6.8 |
4.4 |
11.9 |
17.9 |
RéservesChange /Dette ext. (en %) |
12 |
26 |
22 |
15 |
47 |
80 |
(Suite tableau 3.12)
2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 |
23.1 |
32.9 |
43.0 |
56.2 |
77.4 |
110.1 |
143.1 |
103 |
141 |
196 |
314 |
1290 |
- |
- |
Source : Banque d’Algérie.
* : Or non compris.
Les réserves de change, qui étaient inférieures à 02 milliards de $ depuis 1986, se sont mises à croître régulièrement dès 1994, année de lancement du PAS, atteignant 08 milliards de $ en 1997. Après une baisse due au contre choc pétrolier de 1998 - 1999, la tendance à la croissance a repris et s’est même renforcée avec l’embellie pétrolière survenue en 2000, au point où l’Algérie devient, à partir de 2002, un créancier net sur le reste du monde puisque le montant des réserves de change est désormais supérieur à celui de la dette extérieure152.
Le taux de change appliqué au dinar n’est pas sans rapport avec la situation du solde extérieur du pays. Il en est même l’un des facteurs explicatifs.
En effet, à partir de 1990, le dinar fera l’objet de dévaluations successives qui vont entraîner une forte baisse de sa valeur (voir tableau ci-dessous).
Dates (Au 31/12/….) |
USD | FRF |
1990 | 12.19 | 2.38 |
1991 | 21.37 | 4.13 |
1992 | 22.78 | 4.15 |
1993 | 24.08 | 4.06 |
1994 | 43.08 | 7.98 |
1995 | 52.18 | 10.64 |
1996 | 56.21 | 10.71 |
1997 | 59.30 | 9.87 |
1998 | 60.70 | 10.15 |
1999 | 72.40 | 11.14 |
2000 | 81.68 | 10.92 |
Source : Banque d’Algérie.
La dévaluation est une des principales mesures du PAS, lancé en 1994. Facile à mettre en œuvre, elle a enregistré les plus forts taux en 1991 et 1994.
La série de dévaluations n’a cependant pas débouché sur l’institution d’un marché libre de change153. La convertibilité reste limitée aux seules opérations courantes (commerce extérieur) tandis que la libre convertibilité pour les opérations en capital n’est toujours pas instituée.
Il convient par ailleurs de remarquer que, en raison de la rigidité extrême du système économique et de l’appareil productif en particulier, la dévaluation du dinar n’a pas eu d’effet sur l’évolution des exportations ; mais elle a par contre permis de contenir les importations, ce qui a eu pour effet de dégager un surplus destiné à couvrir le service de la dette.
Ainsi, dans le domaine du commerce extérieur, l’impact de la dévaluation se résume à la réduction des importations à partir de 1996. A titre d’illustration, la valeur des importations de l’année 1998 représente 70% de celle de 1990 (Kenniche, 2001) alors que pour la même période la cotation USD/DA est passée de 12 à 60154.
Il convient enfin de remarquer que manifestement, la politique de change ne s’insère pas dans une logique de protection de l’économie nationale et de stimulation des exportations. Dans les documents officiels émanant des autorités en charge de la politique de change, la seule référence justifiant les décisions prises en matière de taux de change est le maintien du taux de change effectif réel (TCER) à un niveau stable.
L’investissement direct étranger (IDE), autre composante essentielle du mode d’insertion dans l’économie mondiale, fait l’objet, depuis 1999, d’un intérêt politique inédit. Cependant, la présence de ce type d’investissement s’est révélée fort modeste, pour ne pas dire négligeable.
Par secteur, la présence de l’IDE s’est limitée, dans les faits, à des activités « extractives », dont évidemment le secteur pétrolier, mais aussi les services comme les télécommunications, les marchés publics de la construction et des travaux publics, les matériaux de construction et les médicaments. Fait notable, les IDE se sont rarement portés sur le secteur dit des « échangeables ».
Par leur volume, les IDE réalisés demeurent insignifiants au regard des potentialités du pays. De 1999 à 2008, les montants d’IDE effectivement réalisés n’ont pas dépassé 08,5 milliards de $, soit une moyenne annuelle de l’ordre de 01 milliard de $, correspondant à moins de 1 % du PIB par an en moyenne155.
Par origines géographiques, les IDE étaient, au cours des années 2001-2007, pour l’essentiel d’origine arabe (Egypte, Emirats Arabes Unies, Koweït). Ils représentent plus de 60 % des IDE totaux.
Dans le sillage du développement des IDE, un phénomène nouveau est apparu et qui confirme le caractère « extractif » de ces derniers : l’augmentation exponentielle des bénéfices exportés. A titre d’illustration, en 2006, les revenus versés au reste du monde, constitués pour 76 % des bénéfices expatriés par les entreprises pétrolières étrangères, ont atteint prés de 7 milliards de $ !
Choix qui, souvent, sont opérés lors de périodes critiques.
Le démantèlement tarifaire, qui a commencé en janvier 1992 avec la mise en œuvre d’une réforme tarifaire allégeant considérablement la protection de l’économie domestique, s’est poursuivi jusqu’en 2001, année où la structure tarifaire a été une nouvelle fois revue à la baisse. Le processus d’ouverture a culminé avec l’entrée en vigueur, en 2003, d’un accord d’association, signé en avril 2002, avec l’union européenne. Cet accord, qui définit de manière presque « irréversible » un cadre d’insertion de l’économie algérienne dans l’économie mondiale, prévoit une accentuation du démantèlement tarifaire et l’institution, à terme, d’une zone de libre échange.
Situation qui contraste avec la difficulté qu’éprouve le pays à concrétiser la négociation en vue de son accession à l’OMC. D’aucuns ne manquent d’ailleurs pas de souligner la contradiction que constitue la ratification de l’accord d’association avec l’union européenne avant la concrétisation d’un accord d’accession à l’OMC, le premier se révélant nettement plus contraignant que le second. Sur la question de l’accession de l’Algérie à l’OMC, voir en particulier M. Abbas (2008, 2009).
Les chiffres du tableau nous dispensent de nous attarder sur l’évolution des exportations hors hydrocarbures. Ces dernières enregistrent en effet des niveaux insignifiants : de 590 millions de $ en 2000, elles passent, en 2006, à 1.12 milliards de $. Selon l’agence gouvernementale chargée de la promotion du commerce extérieur, 70 % de ces exportations hors hydrocarbures sont constituées de déchets ferreux et non ferreux, de produits dérivés des hydrocarbures (ammoniac, solvants, méthanol, hélium) et de produits miniers (phosphate, zinc…). Les produits industriels finis, c'est-à-dire les produits de l’industrie manufacturière, ont rapporté, en 2007, des recettes d’exportation de 78 millions de dollars sur des recettes d’exportations totales de 60 milliards de dollars !
Ainsi, le rééchelonnement a permis de ramener le ratio du service de la dette aux exportations de 82% en 1993 à 30% en 1996, puis à 25% à partir de 2000. Pour une chronologie des événements liés à la mise en œuvre du programme d’ajustement structurel, on peut consulter Boudjema (2006).
D’aucuns considèrent que le montant des réserves de change, rapporté au PIB (100% en 2007), est anormalement élevé comparé à la situation qui prévaut dans les pays développés et même émergents. Ainsi, ce rapport n’est que de 2 % en France, de 16 % en Norvège, de 26 % en Corée du Sud, de 50 % en Chine, pays où est pourtant pratiquée une politique dynamique de constitution de réserves de change. Pour S. Gouméziane (2007), cet état n’est pas sans rappeler une situation plus connue sous le nom de syndrome mercantiliste, situation historique vécue, dès le XVIème siècle, par certains pays tels que l’Espagne, le Portugal ou l’Italie suite à l’afflux massif d’or et de pièces précieuses qui a suivi la découverte du nouveau monde, et dont le résultat fut l’exclusion, pendant longtemps, de ces pays du formidable essor impulsé par la révolution industrielle.
Depuis le début des années 90, le régime de change repose sur le principe d’un flottement dirigé du taux de change du DA vis-à-vis des principales devises des grands partenaires commerciaux du pays. L’objectif implicite de la politique de change étant d’assurer la stabilité du taux de change effectif réel, il semble que cela soit effectivement le cas depuis 2000, puisque depuis cette année, la valeur réelle du dinar enregistre une certaine stabilité.
Au vu de ces chiffres, on comprend aisément pourquoi il était particulièrement difficile d’utiliser le taux de change comme levier de politique économique, notamment dans le rééquilibrage de la balance commerciale.
A titre de comparaison avec les pays voisins, ce taux était, entre 2001 et 2007, de 4 % en moyenne et par an en Tunisie, 4.5 % au Maroc et en Egypte.