3.2.1. Une croissance dominée par les hydrocarbures.

L’examen des données fournies dans la section précédente montre à l’évidence un rétablissement des équilibres macroéconomiques et financiers, notamment en matière d’équilibre budgétaire, de reconstitution des réserves de change et d’amélioration de la balance des paiements. Ainsi, depuis 1999, la balance des paiements et le budget sont excédentaires, et les réserves officielles de devises en continuelle augmentation.

Cependant, et en contraste avec l’évolution de la sphère monétaire et financière, l’économie réelle n’a pas connu d’évolution positive, bien au contraire.

Après la phase de récession qui a caractérisé la première moitié de la décennie 90, la croissance économique est revenue à partir de 1995.

Tableau n° 3.14 : Evolution du PIB (1994-2008) (En %).
Année 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Croissance -0.9 3.8 3.8 1.1 5.1 3.2 2.2

(Suite du tableau 3.14)

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
2.7 4.2 6.9 5.2 5.1 1.8 3 2.4

Source : ONS et Banque d’Algérie.

Mais c’est une croissance fragile, essentiellement tirée par le secteur des hydrocarbures. Elle n’est pas le fait d’une reprise de l’investissement ou d’un accroissement de la productivité dans les secteurs productifs hors hydrocarbures. Cette tendance vers une croissance dominée par les hydrocarbures se trouve renforcée avec le raffermissement continu des cours du brut à compter de 1999.

Tableau n° 3.15 : Part des hydrocarbures dans la structure du PIB (en %).
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
30 33.9 32.5 35.6 38 44.4 45.9 44.3

Source : ONS.

Ainsi, depuis 2000, la part du secteur des hydrocarbures dans la richesse du pays produite annuellement n’a cessé de croître pour atteindre, en 2007, plus de 44 %. En 1990, cette part n’était que de 20%.

Le secteur manufacturier, théoriquement source de la croissance à long terme156, a vu, quant à lui, sa contribution relative au PIB décroître157. Depuis 1990, ce secteur est sur une dynamique récessive, notamment dans le secteur public qui, en dépit des mesures d’assainissement dont il n’a cessé de bénéficier, n’a pu endiguer cette descente aux abîmes158. L’embellie financière des années 2000 ne semble pas avoir eu des effets sur cette dynamique régressive puisque ce secteur continue à enregistrer des taux de croissance négatifs.

Tableau n° 3.16 : Croissance hors hydrocarbures (2001-2007) (En %).
  2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Croiss hors hydroc 5 6 6 6.2 4.7 5.3 6.3
Croiss. manufacturière publique -1 -1 3.5 -1.3 -4.5 -2.2 -6.5

Source : ONS.

Le secteur manufacturier est donc loin de constituer un moteur de la croissance. Celle-ci demeure très dépendante des performances du secteur des hydrocarbures et de celle des services. Ainsi, à titre d’illustration, 50 % de la croissance enregistrée en 2005 était l’œuvre du secteur des hydrocarbures, 35 % des services, 12 % de l’agriculture et seulement 2.5 % était générée par l’industrie manufacturière (Djoufelkit-Cottenet, 2008), chiffres qui reflètent, globalement, la structure sectorielle du PIB durant cette même année 2005.

Tableau n° 3.17 : Répartition sectorielle du PIB en 2005 (en %).
  Part des secteurs dans le PIB (prix courants) Part des secteurs dans le PIB hors hydrocarbures
  2004 2005 2004 2005
Agriculture 9.4 7.7 15.2 14.0
Hydrocarbures 37.9 44.7    
Industrie dont 6.2 5.3 9.9 9.7
Indust. Manuf. 4.9 4.3 7.9 7.7
BTPH 8.3 7.5 13.3 13.6
Services marchands 21.1 19.6 33.9 35.5
Services non marchands 9.9 8.5 15.9 15.4
TVA+DT/M 7.3 6.6 11.7 11.9
TOTAL 100 100 100 100

Source : ONS.

Par secteur d’activité, la croissance du PIB se caractérise par de grandes disparités entre différents secteurs.

Tableau n° 3.18 : Croissance du PIB par secteurs d’activité (1990-2008) (En %).
  1990 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Hydrocarbures 4.3 - - - 6.3 6.0 4.0 7.8
Agriculture -9.3 -3.7 -9.0 15.0 21.3 -13.5 11.4 2.7
Energie, Eau - - - - - 3.9 8.7 7.0
Industrie manuf. - - - - - -7.6 9.2 -0.8
Indus. sect. privé - - - - - 5.0 5 8
BTP -1.0 - - - 4.5 2.5 2.5 1.4
Services -5.0 - - - 2.4 2.4 5.4 3.5

(Suite tableau n° 3.18)

  2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Hydrocarbures 4.9 -1.6 3.7 8.4 3.3 5.8 -2.5 -0.9 -2.3
Agriculture -5.0 13.2 -1.3 17 3.1 1.9 4.9 5.0 -5.3
Energie, Eau 2.4 5.0 4.3 6.6 5.8 9.5 3.4 6.0 -
Ind.manuf. pub -1.9 -1.3 -1.0 -3.3 -1.3 -4.5 -2.2 -6.5 -
Ind. sect. privé 5.3 3 6.6 2.9 2.5 1.7 2.1 3.2 -
BTP 5.1 2.8 8.0 5.5 8.0 7.1 11.6 9.8 9.8
Services 2.1 6.0 5.3 4.5 4.0 3.0 3.1 6.5 7.8

Source : Banque d’Algérie et ONS.

Ainsi, outre la croissance vigoureuse que connaît le secteur des hydrocarbures159, on doit noter le dynamisme appréciable des secteurs des services, bâtiment et travaux publics et énergie. Ce dynamisme s’explique grandement par la disponibilité de financements importants, apportés par le secteur des hydrocarbures par le biais de la fiscalité pétrolière.

Remarquons, par ailleurs, que le poids très important du secteur des hydrocarbures dans le PIB contraste vivement avec sa contribution à l’emploi. En effet, seul 01 % de la population active est employée par ce secteur. Les gisements d’emplois se situent essentiellement dans les services (42 % de la population active), l’agriculture (16 %) et la construction (9 %). L’industrie manufacturière n’emploie, quant à elle, que 7 % de la population active160.

Des comparaisons internationales sont de nature à nous permettre de prendre toute la mesure des contreperformances économiques de l’Algérie durant les décennies 90 et 2000. Celles-ci peuvent se faire en comparant l’évolution du PIB par habitant à celles d’autres pays qui, il n’y a pas longtemps, présentaient des configurations similaires en la matière.

Ainsi, pour ne retenir que les comparaisons les plus significatives et, en l’occurrence, les plus frappantes, considérons le Portugal et la Corée du sud, pays dont le PIB par tête était, en 1985, inférieur de 15 à 20 % à celui de l’Algérie. En 2002, le PIB par tête de ces deux pays représentait respectivement 6.8 et 5.7 fois celui de l’Algérie.

Une comparaison avec les pays voisins fait ressortir le même déclin. Bien que ne disposant pas de la même capacité d’investissement que l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont enregistré des taux de croissance beaucoup plus élevés. A titre d’exemple, en 1994, le PIB par tête de la Tunisie représentait 1.3 fois celui de l’Algérie, alors qu’en 1985, il n’en représentait que la moitié.

Cette comparaison peut être complétée en considérant la contribution du secteur industriel à la croissance. L’Algérie est l’un des rares pays en développement qui a connu une forte chute de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée globale161.

Tableau n° 3.19 : Contribution des industries manufacturières à la valeur ajoutée globale (En %).
  1990 1995 2005
Algérie 15.0 11.7 5.3
Tunisie 16.9 18.8 17.8
Egypte 17.8 17.4 18.9
Turquie 19.5 20.6 13.3

Source : Benachenhou (2009).

En termes de produit industriel par tête, l’Algérie est passée, ces dernières années, à la dernière place des trois pays du Maghreb (Benachenhou, 2009).

Le recul de l’industrie est considérable. C’est ce qui ressort nettement de l’analyse des performances sectorielles.

Notes
156.

De façon générale, l’évolution du produit manufacturier permet de fournir, à elle seule, l’indication la plus fiable sur le cours de l’accumulation. Ainsi, la crise, quand elle se produit, se traduit toujours par le ralentissement de la croissance ou une contraction du produit manufacturier. Le recours à cet indicateur industriel pour repérer l’accumulation s’explique entre autres par le fait que c’est le plus sûr et le plus homogène, mais aussi parce que le PIB (ou le PNB) n’a pas un sens évident puisque celui-ci mesure surtout l’intensité des échanges marchands et salariaux. La littérature sur la Comptabilité nationale regorge de paradoxes qui en résultent.

157.

De 15 % en 1990, la part du PIB manufacturier dans le PIB total est passée en dessous de 10 % depuis 1997, pour atteindre en 2004 moins de 06 %.

158.

Le secteur privé n’est pas en reste puisque, en dépit du dynamisme qu’on lui prête habituellement, celui-ci enregistre des performances tout aussi médiocres.

159.

Le chiffre de 2001 est dû aux pannes importantes qui ont touché les équipements.

160.

Chiffres relatifs à l’année 2005.

161.

Il convient de préciser ici, au risque de noircir davantage le tableau, que dans le secteur industriel hors hydrocarbures sont comptabilisées des branches telles que « énergie, mines et carrières ». Selon les données de l’ONS, ces dernières ont vu leurs poids dans la production industrielle passer de 8 % en 1989 à 16 % en 2000 et 19 % en 2005. En d’autres termes, la régression de la production des industries manufacturières est beaucoup plus importante que celle du secteur de l’industrie dans sa globalité.