5.3.1.1. Nécessité et spécificité de l’intervention de l’Etat.

Concernant ce premier élément, il est clair que la nature ambivalente et indéterminée de la rente pétrolière fait que rien n’oblige l’Etat à un usage productif de celle-ci, à des fins d’accumulation, si ce n’est des facteurs extra-économiques aléatoires. Si l’Etat est dépendant de la rente, il est autonome par rapport à la société. Forçant le trait, certains auteurs évoquent une double extériorité de l’Etat : par rapport à la société et par rapport au processus d’accumulation (Peguin et Talha, 2001). De ce fait, l’Etat se retrouve dans une situation où, même s’il est le détenteur exclusif de la rente et donc le seul à devoir lui trouver un usage approprié, il n’est soumis à aucune contrainte de nature économique l’obligeant par exemple à la transformer en capital productif.

En général, il est admis qu’entre la nature politique de l’Etat (et les institutions politiques qui en découlent) et la présence de ressources de type rentier il existe un rapport dialectique :

D’un côté, l’abondance de ressources, en l’occurrence les revenus du pétrole, affecte considérablement les institutions politiques, et ce, de différentes manières. A titre d’exemples, l’abondance de ressources aux mains de l’Etat :

  • crée des aubaines fiscales, réduisant du même coup la pression fiscale sur la population et incitant à entretenir des réseaux clientélistes ;
  • donne lieu à un climat où l’opportunité de capture de rentes engendre une réaction de résistance au changement ;
  • affecte la structure sociale en créant ou en renforçant les inégalités sociales.

D’un autre côté, il est admis que la nature politique de l’Etat affecte en retour la gestion de ses revenus, en particulier ceux issus d’une rente minière. L’expérience a montré que trop souvent les politiques économiques nationales visant le bien-être social à long terme entrent en conflit avec la logique politique qui peut viser le maintien ou le renforcement du pouvoir de certains individus, groupes d’intérêts ou coalitions. C’est ainsi que des Etats s’engagent dans des actions politiquement rationnelles, mais économiquement inefficaces.

Un tel rapport dialectique est inhérent à tout régime rentier, quel que soit la nature physique du surproduit dont l’exportation fournit les revenus rentiers. Le schéma précédent ne permet pas de saisir les spécificités nationales, souvent marquées par le poids des héritages sociologiques et des circonstances de l’histoire.

En Algérie, il semble qu’il faille situer l’usage que l’Etat fait de la rente pétrolière dans une conception politique qui trouve sa source dans l’histoire récente du pays et dans l’idéologie politique qui a accompagné le mouvement de libération du pays. En d’autres termes, la mobilisation de la rente à des fins de développement économique et social semble dictée par les besoins de légitimation du régime politique d’un côté, et par les exigences de contrôle, d’encadrement et de mobilisation de la société en vue de sa mise au travail de l’autre côté. L’Etat en Algérie a choisi d’être l’acteur principal de l’accumulation, et dans ce choix, toute l’action économique semble politiquement guidée par les deux impératifs que sont la consolidation de la légitimité du pouvoir politique et la nécessité de contrôle et d’encadrement de la société. Ces deux éléments révèlent en fait que ce n’est pas tant le contenu des choix économiques opérés qui importe, mais bien le caractère compatible ou pas de ces derniers avec les critères politiques de la légitimité et du contrôle. Dans une de ses nombreuses contributions consacrées à l’analyse de la dimension politique de l’action économique de l’Etat en Algérie, L. Addi (1990b) résume la situation en affirmant que l’Etat algérien n’a, en fait, pas de doctrine économique, une doctrine économique cohérente cela s’entend, mais simplement un projet politique qu’il se propose de réaliser, entre autres, par des moyens économiques. Ceci explique sans doute pourquoi, dans les faits, on ne s’embarrassera pas de faire cohabiter les réformes les plus libérales aux mesures les plus contraignantes de contrôle étatique. Le cheminement des réformes offre d’ailleurs, de ce point de vue, le spectacle d’une suite de mesures dont le contenu et les buts sont on ne peut plus contradictoires.