B – La lutte contre l’illettrisme : des savoirs de base vers les compétences clés.

Dans les années 80, les actions de lutte contre l’illettrisme visaient l’insertion et le traitement social du chômage. Avec les années 2000, nous entrons dans la société de l’information et c’est dans ce cadre que prend son sens le terme « littératie ».

Entre 1998 et 2002, l’OCDE mène le programme DeSeCo – définition et sélection des compétences clés - « dans le but de créer un cadre conceptuel et permettant d’identifier les compétences clés de manière fondée et d’améliorer la qualité des évaluations internationales des compétences des adolescents et des jeunes adultes »²⁶.

Ce groupe DeSeCo met en évidence trois compétences clés :

• agir de façon autonome ;
• se servir d’outils de manière interactive ;
• fonctionner dans des groupes socialement hétérogènes.

Puis, le 18 décembre 2006, le Parlement européen et le Conseil formulent une recommandation sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie. Ils définissent dans ce cadre 8 compétences clés :

• communication dans la langue maternelle ;
• communication dans une langue étrangère ;
• culture mathématique et compétence de base en sciences et technologies ;
• culture numérique ;
• apprendre à apprendre ;
• compétences interpersonnelles, interculturelles et compétences sociales et civiques ;
• esprit d’entreprise ;
• sensibilité culturelle²⁷.

La question de départ du projet de l’OCDE était la suivante : « Quelles sont les compétences importantes à acquérir pour mener une vie réussie et collaborer à la création d’une société démocratique qui fonctionne bien ? »²⁸. Dans cette perspective, ces compétences sont utiles à « l’épanouissement et au développement personnels des individus, à leur inclusion sociale, à la citoyenneté active et à l’emploi »²⁹.

Cette recommandation s’inscrit dans une politique de formation tout au long de la vie. Quel public vise-t-elle ? Tout citoyen européen est concerné par celle-ci mais plus particulièrement les groupes désavantagés dans leur formation. « Il s’agit notamment des personnes ayant des connaissances de base faibles, des personnes quittant l’école prématurément, des chômeurs de longue durée, des personnes handicapées ou des migrants, etc. »³⁰. Les personnes en situation d’illettrisme font partie de ces groupes désavantagés dont le potentiel d’apprentissage doit être soutenu.

Quelle définition peut-on donner de la compétence ? Selon Le Boterf, « le professionnel n’est pas celui qui possède des savoirs ou des savoir-faire, mais celui qui sait les mobiliser dans un contexte professionnel. […] La compétence est toujours compétence – d’un acteur – en situation »³¹. Si les compétences de base prennent en considération les contextes personnel et social, les compétences clés quant à elles rajoutent le contexte professionnel.

Une des propriétés de la compétence réside en son caractère relatif : « contrairement à un objectif qui est formulé pour être atteint, une compétence n’est pas « atteinte » parce qu’elle n’est jamais aboutie : elle se développe tout au long de la vie »³². Nous pouvons faire un lien avec la visée de la recommandation du Parlement européen et du Conseil de 2006 : celle-ci développe 8 compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie.

Chaque compétence clé peut se décliner en 3 composantes :

« - les connaissances : savoirs déclaratifs, connaissances théoriques ;

• les aptitudes : savoir faire concrets ;
• les attitudes : savoir être relevant du psycho affectif, du comportement et des représentations »³³.

Cet ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes sont appropriées au contexte.

Nous avons pointé l’évolution de la terminologie en matière de lutte contre l’illettrisme, depuis les termes « savoirs de base » dans les années 80 vers ceux de compétences de base puis de compétences clés dans les années 2000. Quelles sont les différences entre ces termes ?

Lister les savoirs de base ou les compétences clés revient à se poser la même question : quelles sont les connaissances de base nécessaires à l’adaptation à la vie en société ? L’existence sociale peut se découper en différents contextes tels le contexte professionnel, le contexte social et le contexte personnel. On peut se centrer sur telle ou telle dimension, l’adaptation sociale revêtant alors des sens et des objets différents. C’est ainsi que la formation aux savoirs de base s’est attachée pendant longtemps à l’adaptation sociale avec par exemple la compréhension des administrations ou des droits sociaux et civiques. Aujourd’hui, avec les compétences clés, l’accent est davantage mis sur l’adaptation à l’emploi, dans le cadre d’une logique économique et administrative. « Le cadre européen suggère de prendre en compte toutes les facettes de l’individu et de son intégration positive dans la société : les dimensions sociales, culturelles, économiques et citoyennes »³⁴.

On peut pointer ensuite que les savoirs de base comme les compétences clés font tous deux référence plus ou moins explicitement aux savoirs enseignés en formation initiale. La façon d’aborder ces savoirs diffère selon que l’on se place du point de vue des savoirs de base ou des compétences clés. Le tableau ci-dessous extrait du site du CAFOC³⁵ permet d’introduire cette différenciation et présente l’avantage de faire figurer les compétences de base, terme intermédiaire entre les savoirs de base et les compétences clés.

Les savoirs de base se centrent sur 3 grandes dimensions à enseigner en formation :

• la sphère du langage oral et écrit : lire, écouter, écrire, parler ;
• la sphère des nombres : calculer, opérer sur les quantités et grandeurs ;
• la sphère du raisonnement : raisonner, appréhender l’espace et le temps.

Ces 3 grandes dimensions sont reprises dans les compétences de base, avec une terminologie et des processus de formation différents. Les compétences clés reprennent également ces dimensions en en rajoutant deux autres : la sphère de la culture numérique et la sphère des compétences sociales et culturelles. Si les compétences de base prennent en considération les contextes personnel et social, les compétences clés rajoutent le contexte professionnel dans le cadre d’une logique d’adaptation à l’emploi.

Parmi les 8 compétences clés figure la communication dans la langue maternelle, notamment par écrit, ce qui correspond au sujet de notre présent travail. Que recouvre cette compétence d’après le cadre européen ? Cela renvoie à « la faculté d’exprimer et d’interpréter des concepts, pensées, sentiments, faits et opinions oralement et par écrit (écouter, parler, lire et écrire), et d’avoir des interactions linguistiques appropriées et créatives dans toutes les situations de la vie sociale et culturelle »³⁷. Au-delà des savoirs de base que sont l’écouter, parler, lire et écrire, cette compétence place l’individu dans une dimension sociale et culturelle d’adaptation et d’intégration à un ensemble déterminé.

Enfin, soulignons une dimension des compétences clés qui rejoint le sujet de notre travail, à savoir la dimension de l’apprendre à apprendre. Cette dernière nous renvoie à la sphère de la métacognition, la manière par laquelle l’apprenant prend conscience de ses stratégies d’apprentissage. L’explicitation s’inscrit pleinement dans ce travail de métacognition comme nous le verrons dans cette première partie.

Après avoir défini l’illettrisme en le distinguant de l’analphabétisme et avoir parcouru l’évolution des terminologies en matière de lutte contre l’illettrisme, nous allons dans le point suivant nous centrer sur une étude statistique descriptive de ce phénomène, en livrant des données chiffrées actuelles.