A - Une pédagogie issue d’une production d’acteurs : la pédagogie de la communication de Vinérier (1994).

Dans son ouvrage intitulé Combattre l’illettrisme : Permis de lire, permis de vivre… Guide pratique et méthodologique, Vinérier (1994) expose les principes d’une pédagogie qu’elle appelle « pédagogie de la communication ».

En effet, les personnes en situation d’illettrisme présentent des difficultés à communiquer, tant à l’oral qu’à l’écrit. Elles ont notamment du mal à communiquer avec les « lettrés ». La pédagogie de la communication que propose Vinérier (1994) vise à restaurer cette communication difficile avec le monde des lettrés, tant sur le plan oral qu’écrit.

Pour ce faire, elle s’appuie sur « trois éléments qui sont apparus fondamentaux à la lumière de l’expérience décrite dans ce livre »71 :

  • L’importance de la relation pédagogique : Vinérier (1994) insiste notamment sur l’écoute attentive, la mise en confiance, l’attitude positive, l’attitude vraie, l’attitude vigilante. Concernant ces trois attitudes, l’auteur réfère aux travaux de Rogers72.
  • L’importance des moteurs d’apprentissage : « Ce sont les sujets qui vont déclencher un apprentissage et l’entraîner dans sa durée »73. Ces sujets sont moteurs dans la mesure où ils constituent un facteur de motivation pour l’apprenant. Par ailleurs, Vinérier (1994) souligne que ces moteurs s’ancrent dans la vie quotidienne des personnes en situation d’illettrisme. Elle cite les exemples suivants : le logement, le travail, l’argent, la santé, la famille, les déplacements, les démarches administratives.
  • L’importance de l’univers verbal : il existe un décalage entre le capital linguistique des personnes en situation d’illettrisme et des lettrés. L’objectif de la formation est de développer l’univers verbal de l’apprenant, sous forme de mots-clés qui prennent sens dans un contexte motivant ; autrement dit, le but est que la personne en situation d’illettrisme apprenne des mots-clés nécessaires à la résolution de problèmes qu’elle rencontre dans sa vie quotidienne. Ainsi, si le logement constitue le moteur d’apprentissage d’un apprenant, les mots-clés pourront être « aide personnalisée au logement, allocation logement, bail, caution, charges, locataire, location, louer, propriétaire, … »74.

A partir de ces trois éléments fondamentaux, Vinérier (1994) dégage une méthodologie d’aide à la mise en place de contenus. Celle-ci se décompose en 10 étapes qui ne sont pas toutes forcément chronologiques.

Tableau n°8 : Les différentes étapes composant la méthodologie d’aide à la mise en place de contenus
Tableau n°8 : Les différentes étapes composant la méthodologie d’aide à la mise en place de contenus p. 216. .

Les deux premières étapes se réalisent par le biais d’un entretien avec l’apprenant et d’un questionnaire qu’il remplit : il s’agit, d’une part, de dégager ses souhaits d’apprentissage, d’autre part, d’évaluer (de manière approximative – le questionnaire ne se veut pas un test standardisé) son niveau en lecture-écriture.

En troisième lieu, il s’agit de faire émerger le thème moteur, « vital pour l’existence de l’apprenant, il émerge de ses préoccupations quotidiennes »76, thème sur lequel seront basées les différentes séquences pédagogiques. Ce thème doit à la fois être source de motivation pour l’apprenant et également générateur d’apprentissages (tel que les thèmes logement, argent, travail, …).

En quatrième lieu, le formateur amène l’apprenant à découvrir toutes les possibilités d’apprentissage que le thème choisi peut générer. Le thème est alors découpé en rubriques et en items, chaque item donnant lieu à une séquence pédagogique. Par exemple, pour le thème logement, différentes rubriques peuvent être dégagées, telles que : « déposer une demande de logement », « les petites annonces », « le budget pour un logement », … Pour la rubrique « déposer une demande de logement », les items peuvent être : « je sais où m’adresser pour faire une demande de logement », « je sais dans quel service public aller pour déposer une demande de logement », « je sais remplir un dossier de demande de logement », …

La cinquième étape a pour but de constituer un programme de formation, un outil de référence pour chaque séquence pédagogique. L’apprenant est amené à situer son degré de savoir relativement à chaque rubrique et item dégagés précédemment. « L’expérience montre que cette étape est extrêmement importante car elle permet de responsabiliser les apprenants dans leurs apprentissages »77.

Chaque séquence pédagogique fait appel aux étapes 5, 6, 7, 8, 9 et 10, étapes qui ne se réalisent pas forcément dans cet ordre chronologique, contrairement aux étapes 1, 2, 3, 4 et 5 qui se suivent chronologiquement.

L’étape 6 vise à évaluer le niveau de connaissances de l’apprenant concernant le thème moteur travaillé par le biais d’un questionnaire.

L’étape 7 aide le formateur à bâtir une liste de mots-clés indispensables pour l’acquisition du thème moteur.

Lors de l’étape 8, le formateur liste les notions fondamentales permettant une acquisition durable de connaissances. « Ces notions concernent notamment la situation dans l’espace et le temps, la construction du nombre, la logique »78. Peut-être peut-on faire un rapprochement entre ces notions fondamentales et les opérations logiques qu’a décrites Piaget.

A l’étape 9, le formateur est amené à s’interroger sur les supports qu’il utilise lors des séquences pédagogiques. Vinérier (1994) insiste sur la nécessité de confronter les apprenants à de vrais écrits.

Enfin, le déroulement d’une séquence pédagogique est décrit à l’étape 10. Chaque séquence pédagogique comprend trois phases :

  • A. Lire en parlant, en agissant. L’apprenant est amené à débattre par rapport à l’item abordé : que connaît-il de cet item ? De quels mots-clés dispose-t-il ? Quels mots-clés doit-il acquérir ? Le formateur peut également entreprendre des démarches (par exemple administratives) avec l’apprenant. Dans ce cas, une notion fondamentale est introduite.
  • B. Lire en parlant, écrivant, comptant. La démarche entreprise auparavant peut servir de support de parole et / ou d’écriture. L’apprenant peut remplir des imprimés, écrire une lettre. Il peut également travailler des notions mathématiques.
  • C. Lire en s’exerçant. Afin de systématiser les apprentissages réalisés lors des deux phases précédentes, des exercices systématiques sont introduits.

Vinérier (1994) insiste sur l’importance d’un temps de bilan à la fin de chaque séquence.

Voici un tableau récapitulatif de ces 10 étapes :

Tableau n°9 : Présentation de la fiche pédagogique, support et synthèse de la pédagogie de la communication de Vinérier (1994).
Tableau n°9 : Présentation de la fiche pédagogique, support et synthèse de la pédagogie de la communication de Vinérier (1994).

Notes
71.

VINERIER, A., Combattre l’illettrisme : permis de lire, permis de vivre… Guide pratique et méthodologique. Paris : L’Harmattan, 1994, p. 209.

72.

ROGERS, C., Le développement de la personne. Paris : Dunod, 1968

73.

VINERIER, A., Combattre l’illettrisme : permis de lire, permis de vivre… Guide pratique et méthodologique. Paris : L’Harmattan, 1994, p. 211.

74.

p. 260-264.

75.

p. 216.

76.

p. 226.

77.

p. 231.

78.

p. 235.